Bretagne, culture, diversité et… audiovisuel


Les cinéphiles de Bretagne connaissaient Caroline Troin comme programmatrice de films à Douarnenez. Elle vient de changer de casquette à l’occasion du lancement de la plateforme audiovisuelle Bretagne et Diversité qu’elle a créée, en partenariat avec l’association Bretagne Culture Diversité. Genèse de cette nouvelle aventure numérique.

– Comment est née la plateforme Bretagne et Diversité ?

En 2010, usée par l’événementiel, je décide de quitter le Festival de Douarnenez, après 15 ans de co-direction avec Erwan Moalic. Avec quelques copains, je crée alors l’association Rhizomes afin de relier des pratiques artistiques différentes, art et littérature, littérature et cinéma, peinture et cinéma, artistes et chercheurs… Ce qui me plait, c’est la transversalité. En 2011, alors que je cherche du travail, je vais voir Ronan Le Coadic, sociologue et professeur à l’Université de Rennes 2. Mon idée, c’est de transmettre aux étudiants en sociologie, en ethnologie et en cinéma toutes les découvertes accumulées pendant le Festival de Douarnenez qui dispose d’un centre de ressources. Mais les pratiques changent et je m’inquiète de la disparition de toute cette mémoire, de ces 37 années de programmation de films et de rencontres avec des réalisateurs. Par ailleurs, j’avais aussi constaté que, sur les bases de données universitaires, il y a des bibliographies mais très rarement des ressources audiovisuelles. Puis je rencontre Charles Quimbert qui travaille alors à la préfiguration de l’association Bretagne Culture Diversité. Trois mois plus tard, l’association BCDIV est créée, Ronan Le Coadic en est le président et Charles Quimbert le directeur. Ils sont intéressés par mon projet et souhaitent une base avec beaucoup de films à visionner.

– Comment avez-vous construit cette plateforme ?

Nous avons travaillé en complicité avec Charles Quimbert. L’éditorial de la plateforme BED est axé sur les peuples minoritaires, en  adéquation avec le travail de Ronan Le Coadic sur les minorités et les identités en Bretagne et ailleurs. A partir de novembre 2013, j’ai d’abord mené une enquête auprès des producteurs bretons sur la question de la diffusion des films en ligne : un producteur est-il prêt à voir les films de son catalogue diffusés en ligne ? Puis j’ai contacté les centres de ressources afin de ne pas reproduire ce qui existe déjà. J’ai décidé d’allier des images et des portraits de réalisateurs car je trouve que c’est vraiment ce qui manque dans les bases de données existantes, ce côté humain, la parole et le parcours du réalisateur. Je voulais que ce soit un outil complémentaire au site du Festival de Douarnenez qui vient d’être refait. Dans la base telle qu’elle existe aujourd’hui, il y a des films et des réalisateurs qui ne sont pas venus à Douarnenez. On a souhaité s’adresser non seulement aux étudiants mais aussi au grand public, aux programmateurs de cinéma, aux médiathèques qui veulent travailler sur la diversité culturelle. C’est un projet qui a évolué au fil des six mois de travail que la mise en place de la plateforme a nécessités.

– Quels sont les recoupements avec la Base Films de la Cinémathèque de Bretagne ?

La Base Films de la Cinémathèque a un objectif patrimonial, celui de recenser toute la production bretonne et donc d’être exhaustive, ce qui n’est pas notre intention. Dans la plupart des bases et plateformes, nous apprenons peu de choses sur les réalisateurs et c’est véritablement ce qui nous en différencie.

– Comment avez-vous fait votre choix parmi les réalisateurs ?

J’ai réalisé 33 interviews de réalisateurs bretons et 33 de réalisateurs étrangers. J’insiste sur la subjectivité de ces choix. Le défi n’étant pas d’être exhaustif et de présenter les parcours dans leur totalité,  mais d’évoquer des réalisateurs pour qui la notion de diversité est fondamentale, même si je conçois que cette notion est toujours à géométrie variable. J’ai commencé par des films qui m’ont marquée, mais bien évidemment d’autres films incontournables sur la diversité vont s’imposer d’eux-mêmes, dans les mois qui viennent, puisque ce travail doit se prolonger. J’ai notamment sélectionné les réalisateurs bretons qui vont tourner à l’étranger, comme Emmanuel Audrain, Philippe Baron, Corto Fajal… Et aussi Céline Dréan qui fut la première réalisatrice bretonne à faire du web-documentaire, ou Maël Cabaret qui a fait deux films en Guyane.

J’ai ainsi répertorié leur filmographie de façon la plus complète possible. Ensuite, j’ai interrogé les producteurs pour savoir s’il était possible de mettre les films en intégral sur le site. La législation des droits d’auteurs en France, qui permet de rétribuer le réalisateur à chaque diffusion du film, complique la chose. Dans notre éco-système audiovisuel, je comprends les réticences des producteurs. Cent-vingt films actuellement sont cependant diffusés dans leur intégralité comme Léon, Henri et Jo de Charles Véron ou les films de l’Aborigène Wayne Barker, Le voyage exploratoire de Catherine de Grissac  ou deux films de Patrick Prado. Dans les deux premiers cas, les films étaient sur VHS et cassette U-matic et le fait de les numériser et de les diffuser sur la plateforme leur donne une seconde vie.

– Et l’entrée Peuple breton ? 

J’ai choisi volontairement des films qui documentent la Bretagne, des films très différents, des documentaires, des films d’études, des films d’artistes, des films d’atelier. Je pense à Jean-Jacques Rault qui a fait trois films de suite sur le monde rural, à Marie Hélia qui en a réalisé cinq sur Douarnenez, à des réalisateurs qui font des films issus d’ateliers de formation comme Régis Blanchard et Françoise Bouard. J’ai pu faire figurer des films de réalisateurs bretons qui ne reflétaient pas la notion de diversité telle que je l’ai abordée mais qui font partie de l’histoire du cinéma en Bretagne. J’ai fonctionné avec les réalisateurs qui jouaient le jeu et j’ai respecté tous les producteurs qui ne souhaitaient pas diffuser les films dans leur intégralité. On trouve alors des extraits de chaque film et les contacts pour se procurer le DVD.

– Quant à la mémoire du festival de Douarnenez, comment avez-vous imaginé la transmettre ?

Il y a bien les archives des 37 programmations sur le site du festival de Douarnenez, mais cela ne constitue pas véritablement la mémoire du festival. Je voulais relater une petite histoire du festival, les événements, les films qui ont marqué chaque édition. J’ai fait appel à Erwan Moalic qui a fait la programmation des 12 premières années, ainsi qu’à Nicolas Le Gac et Virginie Pouchard qui ont pris le relais depuis 2010. Yann Stephant, le nouveau directeur, y apportera son concours.

Lorsque nous avons fait l’édition sur le Caucase en 2009, deux journalistes caucasiennes ont été assassinées avant de venir chez nous, nous leur rendons hommage. En 1983, une édition sur les Rroms fait venir Tony Gatlif. Il présente son tout premier film Les Princes. Personne n’y croit, puis finalement il fait la carrière que l’on connaît. Il me semble que ce sont aussi ces récits qui font l’histoire du festival. Nous avons également choisi un film emblématique de chaque édition comme Babakiueria sur les Aborigènes ou le film d’animation Britannia de la galloise Joanna Quinn.

– La plateforme Bretagne et Diversité a-t-elle vocation à évoluer ?

Actuellement, lorsque l’on additionne toutes les entrées possibles sur la plateforme, on aboutit à un réservoir de 400 films tous répertoriés dans l’onglet « tous les films » avec une recherche possible par mots-clés. Le site est bilingue, français et breton, et c’est important pour nous, c’est un énorme travail du traducteur Divi Kervella. Nous discuterons bientôt de la suite des événements avec BCD. Je souhaite que le site vive et soit entretenu. Personnellement, j’aimerais l’étoffer d’autres peuples et de portraits de réalisateurs en attente. Je songe aussi à une page actualité pour pouvoir animer la plateforme puis pour mettre les films en résonance. Ma mission est de documenter au mieux la plateforme. Ce ne sont jamais les idées qui manquent !

Propos recueillis par Pauline Burguin

Photo de Une : copyright Vincent Carelli, Video Nas Aldeias (Brésil)

Photogrammes du diaporama : Léon, Henri et Jo de Charles Véron, Vague à l’âme paysanne de Jean-Jacques Rault, Le temps des frontières de Gulya Mirzoeva, Le testament de Tibhirine d’Emmanuel Audrain et Les filles de la sardine de Marie Hélia. 

Lien(s) en relation avec ce sujet : Le site de BED