Arnaud Bordelet n’avait pas vraiment prévu de devenir compositeur de musique de films d’animation. Pourtant, c’est bel et bien devenu une spécialité pour ce musicien autodidacte, originaire de Rennes. A ce jour, il a signé la conception sonore et musicale d’une quinzaine de séries ou courts métrages d’animation produits dans la capitale bretonne. Gros plan sur l’itinéraire discret et appliqué d’un musicien aux multiples registres, aujourd’hui installé à Plérin, dans les Côtes d’Armor.
Après la création de l’univers sonore de Malo, la nouvelle série d’animation de Benjamin Botella produite en 2012 par JPL Films, c’est l’ambiance musicale de La Maison de Poussière, le court métrage de Jean-Claude Rozec, en préparation à Vivement Lundi !, qui occupe actuellement Arnaud Bordelet. Une vocation, la musique de film d’animation ? Pas tout à fait. Même si les sollicitations sont désormais régulières, pas d’arrivée en fanfare : c’est petit à petit, par des détours, que l’homme a tracé sa route, avec assiduité et patience.
« Il y a dix ans, lorsque j’ai envoyé une démo à plusieurs labels, ça n’a pas marché : on m’a répondu que l’ensemble était trop hétéroclite, qu’il fallait que je choisisse un style et que je l’approfondisse. Or ce que j’aime, c’est créer différents univers. De défaut, mon côté touche-à-tout est devenu un atout dans le domaine de l’audiovisuel, où la musique doit s’adapter et refléter l’ambiance particulière de chaque film. » Belle revanche donc pour Arnaud qui n’a jamais pris de cours de musique. A quinze ans, il découvre la guitare avec un voisin qui lui enseigne les bases. Quelques tablatures plus tard, le voilà guitariste dans un groupe. L’un des membres pratique la musique assistée par ordinateur. Arnaud se passionne tout de suite pour cet outil, qui offre de nombreuses possibilités pour la composition musicale.
Après le bac, à côté des petits boulots qu’il enchaîne pour gagner sa vie, il continue la musique, notamment dans le groupe Aérostaff qui réalise un album autoproduit, aux tonalités Trip Hop: quand il n’est pas à la guitare, Arnaud bidouille, transforme, et crée des arrangements aux manettes d’un ordinateur et d’un expandeur*. Après l’autoproduction de deux albums solo, Arnaud se sent bridé dans ses élans créatifs, à cause de ses lacunes en informatique. Alors il décide de suivre en un an un BTS de gestionnaire informatique à Nantes. « Evidemment, pour intégrer la formation, je me suis bien gardé de révéler mes véritables motivations ! Le BTS avait pour but de former à la programmation de logiciel, à la maintenance informatique, à la création de sites web… et pas à la musique ! » s’amuse Arnaud. Au lieu de cela, il peaufine des compétences qui lui permettront en 2002 d’obtenir un poste d’animateur multimédia à la MJC de Bréquigny, avec la spécialité « Musique Assistée par Ordinateur ». Médiateur auprès d’un public varié, Arnaud découvre le rôle puissant de la création artistique en tant que lien social. Une fonction qu’il lui plaît d’occuper. Parallèlement, il persévère dans ses projets personnels, en compagnie d’un nouveau groupe, Le Grand Miniature, qui parvient à autoproduire quelques titres.
Mais finalement, rien ne vaut une bonne partie de football entre copains, pour donner un nouveau souffle à sa carrière…c’est la balle au pied qu’Arnaud rencontre en 2004 un certain Benjamin Botella. Technicien de l’animation, celui-ci travaille depuis quelque temps déjà à JPL Films. Le courant passe bien entre les deux trentenaires, et Benjamin imagine tout de suite des images animées sur la musique d’Arnaud, mélange d’instruments classiques et de sons synthétiques. Il incite donc son ami à proposer ses morceaux au producteur de JPL films, Jean-Pierre Lemouland. Ce dernier lui propose alors de créer la musique de quelques spots publicitaires pour des commerces locaux, diffusés au Cinémanivel à Redon. Arnaud s’attelle à la tâche et signe dix partitions différentes de trente secondes chacune, le tout livré en avance. L’accueil est bon, la machine est lancée. Quelques publicités encore, mais surtout plusieurs séries d’animation diffusées sur France 3, qui marquent dès 2006 le début d’une fidèle collaboration avec un certain nombre de réalisateurs à JPL films : Benjamin Botella bien sûr, mais aussi Pierre Bouchon, Rodolphe Dubreuil, Matthieu Millot…
D’abord aux commandes des musiques de générique et de corps d’épisode, très vite, il assure en plus la conception des bruitages pour des séries comme La Cour des Gants, Les Shlaks, Kwazit, Tendres Agneaux… Attentif aux attentes du metteur en scène, la diversité de son répertoire lui permet de rebondir efficacement. « Sur une série, chaque réalisateur fonctionne à sa manière. Par exemple, Benjamin explique ce qu’il veut en insistant sur l’intention de chaque scène : décalage ou illustration de l’émotion. Ça lui arrive même de chanter des airs qui lui viennent à l’esprit ! De mon côté, je propose trois ou quatre mélodies puis on discute. Souvent, je finis par mélanger deux propositions, pour aboutir à une base pour le générique et à un thème général pour l’épisode. Ce motif est ensuite arrangé de différentes manières selon la tonalité de la scène, le caractère du personnage, etc… »
L’année 2009 lui permet d’élargir encore ses horizons. Avec Monstre Sacré (JPL Films), dont il signe la musique et les bruitages, Arnaud goûte au court métrage d’auteur et entame une nouvelle collaboration, cette fois avec le réalisateur Jean-Claude Rozec. Il potasse alors les partitions classiques afin de soigner les orchestrations. Entre scènes intimistes et poursuites effrénées, Monstre Sacré bénéficie d’une bande originale nuancée. Un an plus tard, Jean-Claude lui confie la tâche de traduire en musique la mélancolie enfantine de Cul de Bouteille, produit par Vivement Lundi !. Les deux films obtiennent plusieurs prix internationaux, et même une pré-sélection aux oscars d’Hollywood pour le second. D’autres auteurs vont faire appel à lui, comme Victoria Vancells pour Tati Ramitsu (JPL films-2011), court métrage loufoque et vitaminé, dont Arnaud crée l’ensemble de l’environnement sonore. Le film a lui aussi été sélectionné dans plusieurs festivals.
« Sur une série, tout va plus vite, il faut être efficace rapidement. Pour un film, on peut chercher, tâtonner plus longtemps. L’univers sonore s’élabore plus progressivement, et plus en amont : dès la naissance du projet, on discute de l’univers musical. Puis le réalisateur me donne des éléments graphiques qui me permettent de m’imprégner du projet. Dès le début, mes idées sont donc étroitement liées au visuel du film. Au cours de cette période, je suis à l’affût de tous les sons susceptibles de contribuer au climat du film. Je les compile, ne sachant pas trop à ce moment-là s’ils vont me servir».
Ensuite, Arnaud s’efforce d’épurer au maximum ses trouvailles. Selon lui, l’efficacité d’une mélodie passe par la simplicité : « Je pense par exemple au thème écrit par Lalo Schifrin pour Bullit, de Peter Yates, ou à la musique de Badalamenti pour Twin Peaks, de David Lynch, avec ses nappes sonores basses et un peu éthérées qui sont particulièrement réussies. J’aime aussi la valse toute simple, triste et élégante de In the Mood for Love de Wong Kar-Wai, composée par Shigeru Umebayashi ». Trouver les quelques notes qui, habilement combinées, vont servir le propos du film et en enrichir l’atmosphère. Ce qui, bien sûr, est loin d’être facile. « En tout cas, je cherche à ce qu’il y ait au maximum une complémentarité réciproque entre la musique et les images ».
Une façon de composer, qui avec le recul, correspond bien à la sensibilité d’Arnaud. Un hasard, la musique de film ? Peut-être pas tant que ça. « Même avant lorsque je composais, j’avais besoin de m’inventer une histoire à chaque morceau. Aujourd’hui, je n’en ai plus besoin, elle est déjà là ! Je n’ai plus qu’à m’immerger dans le récit existant, pour tenter d’en donner une interprétation musicale. Ainsi, j’ai l’impression de raconter moi aussi l’histoire, mais à ma manière. Lorsqu’en plus le thème me touche personnellement et correspond à ce que j’ai envie de dire, c’est génial ! »
A quarante ans, Arnaud a des projets plein la tête. Même s’il continue d’improviser régulièrement avec quelques copains, c’est aujourd’hui la musique de film qu’il veut pouvoir continuer à créer, un univers vaste qui répond bien à ses goûts éclectiques. De la série à la fantaisie cartoonesque, en passant par le film d’auteur, grave ou burlesque, tout l’intéresse, même l’idée de pouvoir explorer un jour de nouveaux territoires : la prise de vue réelle, le documentaire, et pourquoi pas le long métrage, un grand rêve. Ce qui le motive ? « La vision de l’auteur, l’intérêt artistique du projet ». La musique au service des images.
Solène Quintin
* générateur de sons