ANAÏS CLERC-BEDOUET : Tous talents confondus…


Après un Master en histoire, elle suit une formation à l’Académie du Film de Prague (FAMU), en réalisation. À son retour en France, elle travaille comme documentaliste-recherchiste pour l’historien Pascal Blanchard, puis comme médiatrice culturelle « cinéma » pour la Ligue de l’Enseignement… Puis elle devient enseignante, et participe à la production, pour le plaisir, à différents courts métrages associatifs et auto-produits, dont les siens. En 2017, elle quitte l’Éducation nationale et se spécialise dans l’éducation aux images avec l’idée de passer progressivement à la production de courts métrages. S’ensuivent une formation de technicienne à l’ESRA Bretagne, un certificat de pilote de drones, des formations successives chez Films en Bretagne… avec toujours, autant d’envies et de désirs de films… et un parcours qui se dessine pour Anaïs Clerc-Bedouet.


Films en Bretagne : Passionnée de cinéma, tu as eu l’occasion de pratiquer plusieurs métiers, aussi bien techniques, que créatifs, en passant par l’éducation aux images. Peux-tu nous raconter ton parcours et ce qui anime ton désir de cinéma ?

Anaïs Clerc-Bedouet : J’ai attrapé la cinéphilie pendant mon adolescence et c’est, somme toute, une pathologie bien agréable. Le cinéma m’a accompagnée tout au long de mes études, d’abord en Allemagne où j’ai étudié le droit et l’histoire pendant mes deux premières années de licence, puis à Paris et enfin en Italie où j’ai rédigé un mémoire de Master sur la représentation de l’Histoire au cinéma.
C’est justement pendant mes années de Master que j’ai découvert le monde des tournages, à Bologne, en 2007. Parallèlement à la rédaction de mon mémoire, je passais le plus clair de mon temps à travailler sur les tournages organisés par un collectif de jeunes vidéastes, Elenfant Film. Sur un projet j’étais scripte, sur un autre je devenais assistante à la caméra, sur un autre encore je prenais le rôle d’assistante de production, toujours bénévolement. Passionnée, je ne me figurais même pas que l’on puisse vivre de ces activités.

J’aimais tellement l’ambiance des tournages que j’ai décidé de réaliser des courts métrages à mon tour. Master en poche, je suis allée à Prague, à la FAMU, pour suivre une formation à la réalisation de fiction. Je me suis inscrite dans un cursus international avec des étudiants venus des quatre coins du monde, tous animés par la même passion que moi. En dehors des mes propres projets, j’ai adoré entrer dans les univers des autres en participant à leurs créations, derrière et même parfois devant la caméra. La deuxième année, j’ai réalisé mon film de fin d’études, une comédie musicale tournée sur pellicule 16mm. Il était temps pour moi de rentrer en France et de devenir autonome financièrement.

Petit aparté : puisque l’argent est le nerf de la guerre, comment donc ai-je financé mes études ?
En Allemagne, j’étais bénéficiaire d’une bourse de l’Université Franco-Allemande. Par ailleurs, je donnais des cours de français et j’ai rendu quelques services de traduction ponctuels à des enseignants, à l’université. Mes parents complétaient mes revenus à hauteur des aides sociales que recevait ma colocataire française. À Paris, je travaillais en tant que vacataire à la bibliothèque universitaire et hôtesse d’accueil dans l’événementiel. En Italie, j’étais bénéficiaire d’une bourse de l’Université Franco-Italienne et, pendant une année, d’une bourse Erasmus. Mes parents complétaient. En République Tchèque, j’ai contracté un prêt étudiant et je donnais des cours de français.

A mon retour en France, en 2010, j’avais deux idées en tête : continuer à participer à des tournages et rédiger une thèse de doctorat. Mais bien sûr, les choses se sont passées autrement ! J’ai d’abord travaillé comme recherchiste au sein de la société de production Les Bâtisseurs d’Images dirigée par l’historien Pascal Blanchard. J’avais pour mission d’effectuer des recherches de sources audiovisuelles puis négocier les tarifs et contrats, depuis la France, à l’international – jusqu’au Japon – dans le cadre de différents projets de films documentaires.

Parallèlement, j’étais médiatrice culturelle « cinéma » au sein de la Fédération parisienne de la Ligue de l’Enseignement. J’intervenais auprès de classes de la maternelle au lycée pour présenter des films aux élèves et les initier à l’éducation à l’image. Cette même année, j’ai également décroché un petit contrat pour monter un court métrage documentaire à la demande de l’Office franco-allemand pour la jeunesse.

Et puis je me suis dirigée vers l’enseignement. Un superviseur des effets visuels, rencontré à Prague, m’avait dit, un jour : « Si tu veux tourner tes propres courts métrages, ne t’embête pas à travailler sur les projets des autres, c’est chronophage. Et si tu devenais prof ? Tu aurais du temps pour écrire puis pour tourner pendant les vacances scolaires ». J’ai suivi son conseil.
Je suis entrée à l’Éducation nationale en 2011 avec l’envie d’enseigner en section « Cinéma et Audiovisuel » (CAV). J’ai enseigné l’histoire puis l’allemand puis le français au collège, au lycée et à l’université, le tout pendant sept années, en région parisienne, en Guyane, à Grenoble et en Suisse. Si j’ai obtenu la certification CAV dès la première année, je n’ai jamais obtenu de poste dans ma spécialité. L’envie d’enseigner au sein de l’Éducation nationale s’est évaporée. Mon envie de réaliser des courts métrages, elle, est restée.

En 2015, mon compagnon et moi avons créé une association dans le but de produire et réaliser des courts métrages : Les Caméléons Vagabonds. Le plus abouti de nos projets est Leipzig Fairy Tale, tourné en Île-de-France et en Allemagne. J’ai eu le privilège de l’accompagner dans quelques festivals dont Chéries-Chéris, à Paris, où j’ai pu m’asseoir incognito parmi les spectateur·rice·s et, avec grand plaisir, écouter leurs commentaires.

En 2018, j’ai quitté l’enseignement pour travailler en tant que chargée d’édition et de rédaction chez Zéro de conduite, à Paris. J’avais pour mission de monter des dossiers pédagogiques sur commande de sociétés de distribution. Je me suis dit que c’était l’occasion de rédiger une thèse sur les pratiques cinématographiques amateurs dans l’enseignement… Mais le sort en a de nouveau décidé autrement. Mon projet n’étant a priori pas viable pour l’entreprise, j’ai été licenciée pour motif économique en 2019.

Lorsqu’on est licencié·e pour motif économique, le Pôle emploi déroule le tapis rouge des formations. En 2019, je me suis dit que c’était l’occasion de me former aux métiers techniques de l’audiovisuel. En effet, j’avais l’impression d’être comme une cheffe d’orchestre qui ne sait jouer d’aucun instrument. En accord avec mon conseiller Pôle emploi, j’avais prévu de commencer une formation de monteuse, à Montreuil, en avril 2020… Mais le Covid en a décidé autrement.

En 2021, je me suis installée en Bretagne et j’ai suivi une formation de cadreuse-monteuse en Formation Professionnelle Continue à l’ESRA. Pendant cette formation, des cours de production m’ont été dispensés par la productrice Déborah Gillet – De Fil en Films –, les producteurs Thomas Guentch et Brewenn Hellec – Blue Hour Films – et le réalisateur Hubert Budor. Leurs enseignements ont attisé mon appétence pour la production. En sortant de l’ESRA, j’ai également passé mon Certificat d’Aptitude Théorique de Télépilote de drone (CATT). 

Fraîchement certifiée, je suis entrée dans l’équipe de Ludovic Fossard, producteur chez Les Films de Traverse, à Plumaugat, qui produit, entre autres, le magazine Littoral, sur France 3 Bretagne. J’ai étalonné des magazines TV, rédigé des dossiers, monté des vidéos courtes, une bande annonce, un documentaire, et me voici sur le point de réaliser mon premier magazine documentaire.

 

Films en Bretagne : Après avoir fait des études de cinéma à Prague et en France, tu continues à te former avec Films en Bretagne. Peux-tu nous parler des formations que tu as suivies récemment ? Quelle est, selon toi, la valeur ajoutée des formations de FeB ?

Anaïs Clerc-Bedouet : J’ai participé à trois formations organisées par Films en Bretagne :

– « Eco-prod : Transition écologique de l’audiovisuel », en novembre 2022 et janvier 2023

– « Administration de production », du 14 mars au 28 avril 2023

– « Direction de production », du 15 mai au 28 juin 2023

Mon parcours de formation avec Films en Bretagne a commencé par l’éco-production. L’éco-manageuse et formatrice Mado Le Fur nous a présenté les principes et enjeux de l’éco-production. Elle nous a ensuite mis·es en situation avec des exercices pratiques permettant d’élaborer des stratégies, de trouver des solutions concrètes et de mettre en place des plans d’action spécifiques à chaque projet.

Grâce à cette formation, j’ai mieux cerné l’imbrication des enjeux environnementaux, économiques, réglementaires et commerciaux de l’éco-production. Puisque la production de films participe à la surexploitation des ressources, à l’érosion de la biodiversité et au dérèglement climatique, je me suis sentie soulagée de constater de manière tangible qu’il était tout à fait possible de réduire considérablement l’impact de la création cinématographique et audiovisuelle sur l’environnement et ce, de façon rentable d’un point de vue économique.

Avec Lucie Trémolières, nous avons participé collectivement à une Fresque du climat. J’ai adoré ce moment de partage avec le groupe, lorsque nos cerveaux s’allient pour décrypter des situations et leur donner du sens.

Pendant cette formation, j’ai également appris à utiliser un outil très concret, le Carbon’ Clap, qui ne demande qu’à être pris en main, utilisé et critiqué de manière constructive en vue de son développement.

Avec les différent·e·s formateur·rice·s et les participant·e·s, j’ai aussi et surtout aiguisé ma répartie et constitué un répertoire de chiffres et arguments précis pour dialoguer avec les personnes sceptiques quant à l’utilité des actions écologiques mises en place sur un tournage.

J’ai ensuite suivi la formation « Administration de production » en présentiel et en distanciel, avec Valérie Malavieille – Vivement lundi ! – et Yann Pichot – administrateur de production en intermittence. J’ai été initiée aux joies des déclarations sociales nominatives, de la récupération de la TVA, du crédit d’impôt ou encore de la daillisation des créances. Les formateur·rice·s et intervenant·e·s ont répondu à toute les questions que je me posais sur les coulisses administratives des tournages de grande ampleur : mais comment fait-on pour payer tout le monde en temps et en heure ? Comment fait-on pour n’être jamais à court de trésorerie ? Comment optimiser les dépenses et anticiper les sommes qui seront reversées ?

Je suis consciente que peu de personnes se sentent suffisamment compétentes et enthousiastes pour prendre en charge ces responsabilités. Ce que j’ai appris pendant la formation est complexe et, avec les participant·e·s, nous formons désormais un réseau d’entraide : si l’un·e de nous a une question, il·elle la pose au groupe et l’intelligence collective se réactive avec entrain et bienveillance.

Enfin, j’ai suivi la formation « Direction de production » qui vient de se terminer, le 28 juin 2023, avec Claire Jan-Kerguistel – Tita B Productions – comme formatrice référente. Sous sa supervision attentive, nous nous sommes penchés sur des scénarios de courts métrages de fiction et des traitements de documentaires TV afin d’établir un budget prévisionnel.

Claire a également animé une discussion avec Frédéric Goupil venu parler de la relation entre la production et la réalisation. Selon la définition de Claire, j’en retiens tout particulièrement que les directeur·rice·s de production sont des « diplomates interespèces » (Baptiste Morizot, Les Diplomates. Cohabiter avec les loups sur une autre carte du vivant, 2016) qui ont une excellente connaissance des ressources, besoins et conflits potentiels non seulement de leur propre territoire mais également des territoires avec lesquels il leur faut dialoguer (Bruno Latour, Où atterrir ?, 2017).

Élise Pillet, de l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail, est  intervenue pour former le groupe à réagir aux violences sexistes et sexuelles. J’en ressors avec des chiffres, des textes de loi et des décisions de jurisprudence précises qui mettent des mots sur un combat qui me tient à cœur.

Les trois formations que j’ai suivies chez Films en Bretagne m’ont permis de créer des liens forts avec les autres participant·e·s et de rencontrer des professionnel·le·s aux parcours divers et variés dont les retours d’expérience me confortent dans l’idée que je suis là où j’ai envie d’être, et au bon moment.

 

Films en Bretagne : Comment envisages-tu ton avenir professionnel à moyens termes ? Comment se joue l’équilibre entre ce métier-passion et la réalité du monde professionnel ?

Anaïs Clerc-Bedouet : C’est drôle de se projeter de cette manière à la fin d’un cycle de reconversion, à bientôt 38 ans. Je rirai probablement encore plus lorsque je relirai ces lignes dans quelques années !

Au moment où j’écris, au début de l’été 2023, je m’apprête à réaliser mon premier magazine documentaire pour lequel toutes mes qualités et compétences, humaines et techniques, sont mobilisées. J’espère que c’est le début d’une collaboration fructueuse avec Les Films de Traverse et Ludovic Fossard.

J’ai également (au moins) un court métrage auto-produit à terminer : Pénurie. Je l’ai produit, réalisé, monté, étalonné et il me reste la musique à composer et enregistrer… Sauf que mes compétences ne vont pas jusque là donc il va falloir que mes ami·e·s musicien·ne·s se dévouent.

Quoi qu’il en soit, j’aimerais que ce court métrage auto-produit soit le dernier. J’ai pris une résolution concernant mes prochains courts métrages de fiction : soit je les tourne de manière improvisée dans le cadre d’un Kino Kabaret, soit je suis accompagnée par un·e producteur·rice. À ce sujet, je rejoins entièrement les propos de Marion Barré – La Cellule Productions – qui, lors de son intervention pendant la formation « Direction de production », expliquait qu’elle choisissait ses réalisateur·rice·s en fonction de la qualité de la relation humaine bien plus qu’en fonction de la qualité des projets. Selon ce même critère, je serais heureuse de travailler avec Déborah Gillet, qui m’a formée aux rudiments de la production à l’ESRA et que j’ai eu le plaisir de retrouver en formation, cette fois en tant que camarade de promo.

Cependant, je n’ai pas envie de devoir vivre du métier de réalisatrice. Si je réalise un film de temps en temps, tant mieux, mais j’aime aussi accompagner les projets des autres et souhaite mettre mes qualités et compétences au service d’univers qui ne sont pas les miens. Mes qualités et compétences étant assez éclectiques, je me laisse porter au gré des rencontres pour proposer et intégrer des projets.

En tant que cinéphile et pédagogue invétérée, je continue à rédiger régulièrement des dossiers pédagogiques pour Zéro de conduite, ce que je vais faire tout l’été. J’aimerais bien développer ma collaboration avec Vital Philippot, le rédacteur en chef. Puisqu’il est également réalisateur, je me vois bien en tournage à ses côtés. Mais rien ne presse, cela se fera quand l’occasion se présentera. En attendant, rien ne m’empêche d’intervenir ponctuellement comme formatrice en éducation à l’image, auprès de l’association Clair Obscur, par exemple.

En cette fin de cycle de reconversion, j’arrive au bout de mes droits au chômage et il est temps que ma situation financière se stabilise. Peut-être est-ce le moment de me poser quelque temps pour reprendre mon souffle et m’investir dans une seule et même structure, en CDI.

À moins que le sort n’en décide à nouveau autrement…

 

Propos recueillis par Caroline Le Maux, Films en Bretagne – juillet 2023