
Après avoir commencé sa carrière en Amérique Latine, Amélie Quéret se forme à l’Atelier Paris–Ludwigsburg de la Fémis, où elle se spécialise en coproduction européenne. Elle travaille ensuite comme directrice de production.
En 2014, Amélie fonde respiro productions en Bretagne. A ce jour, elle a produit plus de vingt films courts tous primés en festival et diffusés à la TV et développe plusieurs longs-métrages. Son premier long-métrage en tant que productrice délégué, Dans la cuisine des Nguyen réalisé par Stéphane Ly-Cuong, sort en salle le 5 mars 2025.
3 QUESTIONS À AMÉLIE QUÉRET
Films en Bretagne :
Tu as créé Respiro productions en 2014, tu as donc fêté les 10 ans l’année dernière… Peux-tu nous raconter ton parcours et ce qui t’a conduit à créer cette société ?
Amélie Quéret :
Au départ, j’ai fait des études de lettres et civilisation allemandes, ce qui m’a conduit en toute logique à faire une année d’échange Erasmus à Barcelone afin d’apprendre une nouvelle langue… 😂 Après Barcelone, je suis partie en Argentine où j’ai commencé à étudier le cinéma à Rosario. La vie m’amènera un peu plus tard en Uruguay où je ferai mes premières armes dans la production cinématographique à plusieurs postes : clap et traductrice sur un long métrage, assistante à la réalisation, assistante de production… À mon retour en France, je suis sélectionnée à la formation de l’Atelier Paris-Ludwigsburg, une formation à la coproduction européenne entre la Fémis à Paris et la Filmakademie, en Allemagne. Cela permettait enfin d’allier mes études et capacités linguistiques au cinéma…
J’y produirai pour Arte un court métrage écrit par Thomas Cailley et réalisé par Bojina Panayotova. J’ai ensuite travaillé en tant que directrice de production pour différents projets. Après avoir produit sans société le court métrage tourné au Guatemala Cuando Sea Grande de Jayro Bustamante, j’ai monté ma société en parallèle de mon activité de directrice de production afin de pouvoir mieux accompagner les réalisateur·ices que je rencontrais et leurs projets.
En 2015/2016, j’ai participé en tant que jeune productrice à Estran 6, le dispositif de Films en Bretagne qui m’a permis de produire le premier court métrage de Clémence Dirmeikis, Danse, poussin. En parallèle, le premier film entièrement produit par Respiro productions, Feuilles de printemps était un court métrage de Stéphane Ly-Cuong.
Films en Bretagne : Dans la cuisine des Nguyen de Stéphane Ly-Cuong sort en salle le 5 mars. Tu as également produits ces deux précédents court métrages. Peux-tu nous raconter la genèse de ce projet et ce qui t’a amené à produire ce film ?
Amélie Quéret :
Depuis ses débuts, Respiro est une société qui aime (se) questionner sur l’identité. J’essaie de porter des projets ayant à la fois un véritable parti pris cinématographique et un message fort. J’ai notamment produit Exotique et Vitiligo de Soraya Milla (2015 et 2019) sur le thème de la couleur de peau, Féeroce de Fabien Ara (2019) sur la question du genre ou encore plus récemment Fait d’amour (2024) de Clémence Dirmeikis, un conte sur la procréation dans un couple lesbien.
La rencontre avec Stéphane Ly-Cuong a été un déclic. Le premier film sur lequel nous avons travaillé ensemble, Feuilles de Printemps, nous plongeait dans l’univers de deux êtres, un jeune Français d’origine vietnamienne et une vieille dame vietnamienne, que tout séparait et qui, malgré leurs différences d’âge ou leur conception différente du pays d’origine, finissaient par se comprendre.
Quand Stéphane m’a proposé de produire un deuxième court métrage Allée des Jasmins, j’ai retrouvé l’intelligence d’un propos transposable à la situation de beaucoup de migrants quels que soient l’époque, le pays d’origine ou d’arrivée. Dans tous ses projets, il porte un regard de cinéaste empli de justesse, grâce à sa manière d’aborder des sujets difficiles sans aucun misérabilisme, avec pudeur et délicatesse, sans hésiter à se moquer gentiment des contradictions de ses personnages…
Lorsque s’est présentée l’opportunité de collaborer de nouveau avec Stéphane, je n’ai pas hésité. En plus de notre expérience commune passée, j’avais vu au théâtre, il y a quelques années Cabaret Jaune Citron, une comédie musicale qu’il a écrite et mise en scène qui m’avait totalement surprise et enchantée : un sujet fort sur l’identité et la double culture, traité avec subtilité et humour. L’idée de retrouver encore une fois ce ton, cet univers qui lui est propre, dans le projet Dans la cuisine des Nguyen m’a convaincue de me lancer dans cette aventure.
Films en Bretagne : C’est le premier long métrage que tu produis…nous imaginons bien que ce n’est pas un long fleuve tranquille ! Quels ont été les « grands défis » à surmonter et ce que tu en retires de positif ? As-tu d’autres projets de long-métrages à venir ?
Amélie Quéret :
Le principal défi aura probablement été de produire le film seule. J’en retire bien sûr une forme de fierté, car il est assez rare que les premiers longs d’un·e producteur·ice soient produits par une seule société, mais produire une comédie musicale aura imposé quelques difficultés supplémentaires : en effet, cela demande un travail beaucoup plus important en développement ou avant le début de la production ; il ne s’agit pas seulement d’écrire le scénario et de le peaufiner, mais il faut aussi écrire la musique qui doit être composée et maquettée très tôt, afin de pouvoir montrer (ou faire écouter) quel sera le style, la patte du film. Il faut aussi créer les chorégraphies en amont. Nous avons lancé un casting de danseurs presque 5 mois avant le début du tournage, et ce pour des rôles secondaires. C’est donc évidemment une période gourmande en budget. À l’étape de l’écriture et du développement, nous avons été soutenus uniquement par le CNC mais sur un petit montant, ainsi il aura fallu assumer le risque seule avec Respiro.
Evidemment convaincre une société de distribution qu’à la sortie de la Covid un film aussi ambitieux qu’une comédie musicale, « sans cast » en rôle principal soit réalisé par un réalisateur dont c’était le premier long et produit par une productrice dont c’était le premier long ne fut pas la tâche la plus simple… Heureusement Sarah Chazelle et Etienne Ollagnier de Jour2Fête ont tout de suite compris le projet et l’importance de ses enjeux ! Tous les deux ont été super excités par la proposition et le sont encore aujourd’hui à quelques jours de la sortie.
Ce que j’en retire de positif : le film bien sûr dont je suis très fière et qui a dépassé mes attentes. Je chéris de tout coeur de beaux souvenirs de tournage : une équipe qui malgré les énormes enjeux et des journées parfois compliquées chantait entre les prises. Ces moments là et le bonheur partagé à tourner ce film sont inoubliables. L’ambiance sur le tournage m’a permis d’ oublier tous les moments de stress que j’ai pu vivre avant (c’est peut être un peu comme la douleur de l’accouchement qu’on oublie en regardant son enfant…) Mais surtout que c’est beau d’entendre des éclats de rire dans une salle.
Et puis, le film est la preuve qu’il est possible de défendre un cinéma singulier sans acteur·ice « bankable » sans venir de ce milieu et arriver à le financer car nous avons été accompagnés pour la production par l’Avance sur Recettes, les Régions Ile-de-France et Bretagne, Canal +, Ciné +, la Sacem, Images de la diversité et Jour2Fête… Il est donc encore possible aujourd’hui de faire un cinéma différent et d’être soutenu dans cet effort.
J’ai d’autres projets de long métrages. Certains sont encore en discussion donc je ne peux pas encore en parler, mais beaucoup sont des projets qui feront voyager les spectateur·ices. En ce qui concerne les projets dont je peux parler et qui sont déjà en cours de travail, il y a un projet de long métrage Temporary Lives écrit par une réalisatrice syrienne, Wessam Hachicho basée à Oslo. C’est une très belle histoire entre un père et son fils qui se déroule entièrement en Norvège. Il y a aussi le prochain projet de Stéphane Ly-Cuong co-écrit par Marie-Christine Courtès Saigon Song qui sera un road movie en partie tourné au Vietnam.
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Propos recueillis par Lubna Beautemps pour Films en Bretagne, mars 2025.