Depuis le 6 avril, une trentaine de cinémas proposent de découvrir « Eva ne dort pas » de Pablo Agüero. 4ème long métrage d’un réalisateur argentin vivant en France, il a trouvé un soutien précieux en Bretagne via le Breizh Film Fund. Une coproduction internationale à laquelle est associée la société douarneniste Tita B.

 

Le film fait ses premiers pas dans les salles françaises depuis mercredi dernier. Devancé par un joli parcours en festival (1), il est porté par des critiques enthousiastes : des « séquences asphyxiantes et euphorisantes » qui s’appuient sur une « esthétique minimaliste et racée ». Certains y voient du cinéma de genre, « un thriller onirique », « un film d’épouvante politique », d’autres un « formidable travail de représentation de l’histoire » (2).
La rédaction de Films en Bretagne partage cet enthousiasme pour cet objet cinématographique aux choix artistiques marqués : Eva ne dort pas est un film fort, étrange sans être intello, plutôt sensoriel. Mais laissons aux critiques le soin de révéler le talent de son réalisateur Pablo Agüero pour revenir sur sa production et comprendre comment « Eva ne dort pas », un film a priori très argentin, est arrivé sur les rivages bretons.

 

A l’origine, un solide compagnonnage

 

Pablo Agüero a déjà marqué les esprits, d’abord avec ses courts-métrages dont Primera Nieve, Prix du Jury au Festival de Cannes en 2006, puis avec son premier long Salamandra présenté à la Quinzaine des réalisateurs, qui fonde sa collaboration avec les producteurs Marianne Dumoulin et Jacques Bidou de JBA Production. En Argentine, il est un des cinéastes majeurs de sa génération, chacun de ses films a été récompensé au Festival International de Buenos Aires (BACIFI) ou nominé aux Condor (Les César argentins, ndlr).

Marianne Dumoulin se rappelle combien « ce nouveau projet de Pablo avait tous les ingrédients que nous affectionnons chez JBA : le regard d’un argentin sur son pays, des faits de haute volée, avec en toile de fond la politique tourmentée du XXème siècle. » La société initie régulièrement des premiers films, produit surtout des cinéastes étrangers, et est experte en coproduction internationale. Elle s’engage donc sur « Eva ne dort pas ». Le début d’un compagnonnage qui va durer sept ans.

Le scénario, « très classique au départ » est convaincant. Il fait parler de lui dans les festivals et les marchés de coproduction. Il séduit des jurys (3), est lu au festival Premiers Plans par Jeanne Moreau et Denis Lavant (qui, dans le film, incarne le colonel argentin chargé de déplacer le corps embaumé d’Eva Perón). Suivi de près par plusieurs structures d’accompagnement de cinéastes émergents, Pablo participe au Torino Film Lab et est résident du Groupe Ouest (pour un autre projet en écriture). Il revient plusieurs fois à Brignogan, au calme, pour écrire. « J’ai fait trois résidences là-bas, il paraît que je suis l’auteur qui est le plus venu en Bretagne. Cela m’a permis de déconnecter, d’avoir un cadre pour m’isoler et chercher des solutions pour ce scénario, » confiait il y a peu Pablo Agüero à la journaliste de l’émission d’actualité L’instant T sur Tébéo.

 

Le soutien du CNC Aide au cinéma du monde, allié à celui du distributeur Pyramide, étaye des financements argentins et espagnols. Mais malgré un fort intérêt pour le projet tout au long de son écriture, la production n’obtiendra pas l’engagement des télévisions. Le budget initial est loin d’être atteint : « sur les 3 millions d’euros de départ, nous n’avons pu escompter qu’un million, » déplore Marianne Dumoulin. « Pablo Agüero a été formidablement réactif face à ce cruel manque de financements. Il a transformé cette contrainte en propositions artistiques radicales. » Le plan de travail tombe à vingt jours de tournage, dont quelques-uns seulement avec les stars engagées sur le projet : le mexicain Gael Garcia Bernal et Denis Lavant. « J’ai retravaillé mon script et épuré narrativement. J’ai découpé le film en 20 séquences avec l’idée d’en tourner une par jour. Entièrement chorégraphiées, on les a répétées, au détail près avec mon équipe argentine, et à distance avec les comédiens. » Un travail préparatoire colossal pour rendre possible cette démarche  de création de « vingt tableaux ». Une ré-invention cinématographique qui lui vaut tant de belles critiques aujourd’hui. « Passé ce tournage incroyable, et la collecte d’une telle matière, l’argent manquait pour la transcender en post-production. Les intentions de Pablo notamment du côté du son étaient très abouties et demandaient du temps. » Donc de l’argent.

 

Le Breizh Film Fund & Tita B : la dynamique bretonne

 

Et c’est ici qu’entrent en matière les producteurs douarnenistes Fred Prémel et Laurence Ansquer de Tita B suivant un « joli concours de circonstances ». Ils connaissent Marianne Dumoulin et Jacques Bidou depuis de longues années depuis une formation à la coproduction internationale avec Eurodoc (4). Depuis, Tita B a multiplié les expériences notamment sur des films sud-américains. Et c’est ce qui vaut aux producteurs bretons d’être régulièrement invités à participer aux dispositifs incitatifs à la coproduction du festival CinéLatino de Toulouse : ciné en développement et ciné en construction. Aux cotés d’autres partenaires européens sensibles à l’aventure de la coproduction, ils rencontrent des porteurs de projets sud-américains en écriture ou en cours de fabrication. « Palma Real Motel s’est consolidé dans ce cadre. CinéLatino se tient à Toulouse et la même équipe se retrouve six mois plus tard à San Sebastian pour un second temps de présentations de projets. « Palma Real Motel » a participé à l’édition espagnole de 2013, allant au devant de distributeurs et d’acheteurs. »
En mars 2015, Fred Prémel et Laurence Ansquer sont donc à Toulouse. Pablo Agüero et ses producteurs aussi, ils présentent « Eva » à l’étape du montage et dévoilent des séquences. « Une grosse claque ! », se rappelle Fred Prémel. « J’avais rencontré Pablo, deux mois plus tôt à La Sélection de la Fondation Gan et du Groupe Ouest. Antoine Le Bos m’avait présenté ce cinéaste comme un talent à suivre, et effectivement ses images m’ont soufflé. »

Le Breizh Film Fund s’intéresse au film s’appuyant sur le repérage de talents émergents effectué par Le Groupe Ouest. Avant l’été, le fonds de dotation décide de soutenir « Eva ne dort pas » au titre d’une aide à la coproduction d’un montant de 30 000 euros et associe la structure bretonne dont il connaît le penchant pour le cinéma latino. Le fonds de dotation remplit ainsi son cahier des charges : développer une filière d’avenir pour la région, grande ouverte sur le monde.

Cet appui même tardif reste déterminant pour le film. « Notre plan de financement rassemble beaucoup de « petits » montants, dont celui apporté par le Breizh Film Fund et ils sont tous très importants ! », Marianne Dumoulin ajoute que « l’arrivée du Breizh Film Fund et de Tita B a été un vrai appel d’air financier pour la post-production. Et aujourd’hui c’est un relais indéniable et précieux au moment de la sortie du film. » Fred Prémel précise : « Nous privilégions un travail de proximité avec le sentiment qu’il a une vraie valeur pour un film atypique comme celui de Pablo. Il a besoin de visibilité. Et avoir un coproducteur breton lui permet d’être éligible au dispositif d’accompagnement Zoom Bretagne. Le film a donc bénéficié d’un pré-visionnement auprès d’exploitants du territoire, deux salles le proposent en sortie nationale (Ciné-TNB à Rennes et Les Studios à Brest) et une huitaine de salles bretonnes accueilleront le film fin avril ». La tournée portée par Zoom Bretagne permettra à Pablo Agüero d’accompagner son film, comme il l’a fait lors de l’avant-première brestoise et d’une Master Class auprès des étudiants d’Arts du Spectacle de l’Université de Rennes 2.

« Le Breizh Film Fund nous permet d’être un partenaire attractif. Sans ce soutien financier, JBA n’avait a priori pas besoin d’un partenaire breton. Et aujourd’hui, au delà de cet important coup de pouce en numéraire, nous avons à cœur d’apporter notre connaissance du territoire. Nous travaillons, en collaboration avec le distributeur, sur la sensibilisation de la presse, des salles locales et donc du public. Nous espérons que l’effet boule de neige sera réel. »

A l’heure de sa première semaine d’exploitation, toujours déterminante pour les films, le message est clair, tous en salles au chevet d’« Eva ne dort pas »!

Elodie Sonnefraud

(1) Après le Festival international du film de Toronto et  le Festival de San Sebastian en 2015, « Eva ne dort pas » a été présenté en ouverture de la Semaine de la Critique de Berlin en 2016.

(2) Sources : Première, Transfuge, Les Collections de l’Histoire (numéros d’avril 2016)

(3) Il obtient le Grand Prix Sopadin du Meilleur Scénariste, le prix Ciné+ et Cinéma en Construction à Toulouse, le prix du Fonds d’aide au développement du scénario du Festival d’Amiens.

(4) Eurodoc est un programme de formation destiné aux producteurs de documentaire qui souhaitent développer leurs projets dans une perspective internationale, ainsi qu’aux chargés de programme des unités documentaires des chaînes de télévision et des institutions de financement. Fred Prémel y participe il y a dix ans, à l’époque Jacques Bidou encadre la formation.

 

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Communiqué du Breizh Film Fund

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