Administratrice à la SCAM : le goût du collectif



Brigitte Chevet, autrice et réalisatrice rennaise de documentaires, est administratrice de la SCAM depuis 2015. Récemment élue présidente de la commission audiovisuelle, elle représente, avec ses 21 coadministrateurs, 45 000 sociétaires. Dans le « petit » monde des auteurs du réel, la SCAM, est surtout perçue comme une société qui distribue des droits d’auteur, ou des aides culturelles. Ses missions de défense des auteurs sont moins connues. C’est un combat à mener sur le terrain et dans les (hautes) sphères du pouvoir. Brigitte Chevet en fait actuellement l’expérience.

La Société Civile des Auteurs Multimédia (SCAM) est créée en 1981 par 24 auteurs et autrices, membres de la Société des Gens de Lettres (SGDL). Charles Brabant en est le premier président. Le nom de cet organisme reflète la dimension pluridisciplinaire des activités de ses sociétaires. Il collecte et redistribue des droits non seulement aux auteurs de documentaires audiovisuels et radiophoniques, mais aussi à tous ceux qui sont dans le champs de la non-fiction : journalistes, écrivains, photographes, vidéastes institutionnels, youtubeurs, dessinateurs de presse, et traducteurs. « Sur ce périmètre du réel, la SCAM est actuellement la plus grande société de perception de droits au monde », précise Brigitte Chevet.

Composé de 22 autrices et auteurs, le conseil d’administration décide de la politique de la société. Le C.A est élu pour quatre ans et renouvelé de moitié tous les deux ans. Six commissions assistent le conseil d’administration. Composées d’auteurs, elles représentent les différents répertoires de la SCAM. La commission audiovisuelle est la plus importante, avec une trentaine de membres. 

Concernant les budgets, chiffres d’affaires et analyses des répartitions aux ayants droit, tout est accessible en ligne. Notons qu’en 2018, la SCAM a collecté 105,6 millions d’euros de droits d’auteur et en a reversé 103,8. Ses comptes sont vérifiés par la Cour des comptes, et son bon fonctionnement par un Comité de Surveillance, élu aussi tous les deux ans.

Le parcours d’une administratrice de la SCAM

En 2015, Brigitte Chevet se porte candidate au poste d’administratrice de la SCAM après s’être investie pendant trois ans dans la commission télévision. Elle loupe le fauteuil de quelques voix, puis est finalement cooptée par le CA, à la suite de la démission d’un administrateur. La première administratrice de la SCAM “non issue de Paris” devient la référente Région de la SCAM. Elle œuvre à la prise en compte des auteurs en Région, un bon quart des adhérents, et introduit le fait régional dans les débats sur l’audiovisuel. « Ces quatre dernières années, j’ai travaillé avec les associations régionales. Nous avons lancé “Les étoiles en Région”, d’abord à Rennes¹ avec Comptoir du doc, puis à Strasbourg et Nantes. Nous serons à Marseille en 2020. Le tropisme parisien bouge. Bien sûr que dans l’idéal, cette distinction n’a pas lieu d’être… nous sommes tous des auteurs, peu importe là où nous habitons. Sauf qu’historiquement notre pays est très jacobin, et ceux qui font des films sans habiter Paris étaient un peu vus comme des martiens, ou des auteurs de seconde zone. Cela change, à l’ère d’internet et du replay, cette centralisation excessive va s’atténuer, je pense. On ne peut plus raconter le monde uniquement de Paris. Cette évolution est palpable lors des journées « Territoires et création » qui se tiennent régulièrement depuis 2015, et attirent députés, sénateurs, responsables de chaînes. La question de l’inversion des modèles de France 3  (de la logique de décrochage au profit des antennes régionale ndr) est clairement défendue par la SCAM aujourd’hui. Le local et le régional sont des maillons démocratiques essentiels. »

En 2017, Brigitte Chevet se représente, elle est cette fois largement élue au CA, pour un mandat de quatre ans. En octobre 2019, elle élargit son champ d’action avec de nouvelles responsabilités : « Comme présidente de la commission audiovisuelle, je représente tous les auteurs et autrices de documentaires et reportages, quels que soient leur origine géographique et leurs styles de films. Au sein de cette commission, mon projet est de lancer et d’accompagner trois groupes de travail : celui de la charte tripartite auteurs/producteurs/diffuseurs. Car il est important de définir ensemble les bonnes pratiques, afin de baliser des rapports de force compliqués. Il y a le groupe des auteurs en région, de plus en plus nombreux à la commission.  Et enfin, le documentaire au cinéma, moins aidé que la fiction. Comment aider les auteurs de longs métrages documentaires à passer d’un film à
l’autre ? ”

 

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© Matthieu Raffard

 

Les prérogatives des élus

La prédominance des femmes dans l’actuel conseil d’administration est nette : 14 élues et parmi elle, la présidente, Laëtitia Moreau, troisième femme à ce poste. Le phénomène est assez remarquable pour être relevé puisque la proportion féminine parmi les sociétaires de la SCAM est de 37 %. Convoqués une fois par mois pour siéger à Paris, les élus ont des prérogatives aussi vastes que complexes. « Nos conseils sont assez formels, très intenses, ils durent cinq heures. La SCAM est une grande maison de cent salariés avec un budget important, des problématiques de gestion financière et budgétaire. Nous votons les nouvelles adhésions, les classements, les recours des auteurs. Nous travaillons sur les statuts, les barèmes, les aides culturelles, les jurys, les bourses, l’information de nos membres, tant sur le plan juridique que social. Pour autant, nous ne sommes pas un syndicat professionnel, même si nous nous intéressons à la problématique des revenus et à la précarisation croissante du métier. Il y a des idées reçues sur la SCAM. Notre société ne vit pas de taxes automatiques, ou alors à la marge. Elle doit négocier des accords avec chaque diffuseur, y compris avec TF1 ou France Télévisions, et bien sûr les nouveaux comme Netflix ou Youtube. Au terme parfois d’assez longues négociations, ils versent des droits… parce que c’est la loi française. C’est un gros travail pour les salariés de la maison. Une fois que cet argent est rentré, il faut le répartir et c’est également un travail de fourmi, avec nos 45 000 membres !  Enfin nous sommes amenés à prendre des positions politiques, par exemple sur les GAFA, l’action à l’international, pour défendre ce modèle hexagonal formidable du droit d’auteur. Nous sommes aussi mandatés pour représenter la SCAM dans divers évènements, ou en festival. Par exemple à l’IDFA à Amsterdam, la SCAM invite chaque année des auteurs susceptibles de se lancer dans des coproductions internationales. En tant que présidente de la commission audiovisuelle, je suis sur pas mal de fronts en même temps. La semaine dernière, j’ai passé tout mon temps à Paris. Mais c’est important que ceux qui font des films soient à cet endroit-là… Et je me sens bien dans cet éclectisme de qualité que défend la SCAM. J’y rencontre des gens formidables, je suis en prise directe avec la création, et cela me fait avancer dans mon métier. »

La SCAM est un interlocuteur naturel du Ministère de la Culture, du CNC. Le statut des lanceurs d’alerte, la loi sur l’audiovisuel, la réforme de l’audiovisuel public, autant de “dossiers chauds” qui donnent lieu à des communiqués réguliers. « Au niveau politique, nous intervenons pour remettre la question du sens au centre des discussions. Qu’est ce que le gouvernement Macron attend de cette réforme de l’audiovisuel ? Ils ne parlent que d’économies ! Ce service public se doit de se distinguer des chaînes privées, en proposant de l’investigation, du documentaire audacieux, une vraie politique éditoriale décentralisée. Et cette réforme ne doit pas se faire au dépend des auteurs, ni de la qualité, bien au contraire.  Et il y a danger, les nouveaux médias concurrents comme Netflix sont déjà là. Notre redevance est l’une des plus basses d’Europe. Gérald Darmanin veut encore la diminuer d’un euro. Cela peut paraître symbolique à l’échelle d’un foyer, mais cela va avoir un réel impact sur l’audiovisuel public. »

La réalisatrice précise que pour siéger au CA de la SCAM, les auteurs et autrices sont défrayés de leur frais de transport et d’hébergement et sont indemnisés à hauteur de 150 euros par conseil. Ni les commissaires, ni les administrateurs, ne peuvent prétendre à bénéficier de bourses ou de prix de la SCAM, comme Brouillon d’un Rêve ou une Étoile.

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Auteur, autrice, scénariste, même combat

En documentaire comme en fiction, l’auteur est le premier maillon de la chaîne de valeur du film. Les techniciens perçoivent un salaire minimum réglementé, et c’est souvent l’auteur qui reste la variable d’ajustement comptable. Il est donc urgent de protéger ceux et celles qui écrivent les films. « Comment faire en sorte que l’auteur vive de son art, puisse développer des projets ?  Le séminaire du 13 décembre à Rennes, organisé par l’ARBRE et Films en Bretagne auxquels se joignent les Scénaristes de Cinéma Associés, va nous permettre de faire le point sur le statut et la place de l’auteur. Cette année, le CNC lance un plan « Auteur 2020 », on en attend des décisions concrètes. Ce sera aussi le premier déplacement de la présidente de la SCAM, Laëtitia Moreau, en région, très mobilisée sur la question. Elle en profitera pour rencontrer des élus et des responsables des fonds d’aides en région. »

Force du collectif et engagement personnel pour la défense des auteurs, les valeurs défendues par Brigitte Chevet au sein de l’ARBRE, puis de Films en Bretagne rayonnent désormais au-delà de notre sphère régionale. S’il y a mille façons de s’investir dans le combat, voici quelques conseils pour ceux et celles qui souhaiteraient rejoindre la SCAM : « Tout sociétaire de la SCAM ayant déclaré une œuvre dans les deux dernières années peut se présenter au Conseil d’Administration. Je trouve préférable de poser d’abord sa candidature à la commission de son secteur d’activité : radio, télé, etc. On y est coopté par ses pairs, il y a un vote interne pour élire les commissaires. Dans notre commission, il y a de plus en plus d’auteurs en région. C’est là que l’on peut commencer à se constituer un réseau national, sans lequel on a moins de chance d’être élu au CA. Il y a déjà eu plusieurs tentatives d’auteurs non issus de Paris, mais ils ne sont pas encore assez bien identifiés dans les différents cercles. Dans deux ans, j’arrive en fin de mandat, j’espère qu’il y aura du relais ! Si je m’investis aujourd’hui dans cette société, c’est parce que je crois au collectif, qu’il est utile. Et personnellement, sans les droits que je perçois via la SCAM, mon activité de réalisatrice n’est tout simplement pas suffisante pour me faire vivre. » Dont acte.

Pauline Burguin

¹Les Étoiles de la SCAM se dérouleront du 13 au 15 décembre à la Maison Internationale de Rennes. Organisé en partenariat avec la SCAM, la Cinémathèque du documentaire, l’ARBRE et Comptoir du doc, l’événement se veut une déclinaison du festival parisien, reprenant une partie des 30 films primés de l’année. Au programme : projections et rencontres à la fois publiques et professionnelles.

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