Acteurs de l’éducation aux images, de la diffusion, de la formation sous tension : une réaction en forme de MANIFESTE ! 


Après des années « atypiques », le retour à la « normale » est souvent difficile pour de nombreuses structures de valorisation et de diffusion du cinéma… Des questions anciennes, mises de côté, ressurgissent : elles témoignent de l’écart entre le projet et les moyens dont disposent ou peuvent disposer, les structures… Un écart qui se révèle notamment à travers les questions de Ressources Humaines et de gouvernance.

Un état des lieux sincère et lucide s’impose, un temps d’échange collectif au moment où la plupart des acteurs de la diffusion, de la médiation et de l’accompagnement des professionnels sont sous tension, tant du point de vue économique, que du point de vue des équipes… Avec Jean-Louis BONNIN, qui a co-réalisé l’étude commandée par Films en Bretagne en 2021/2022 sur l’impact économique et l’utilité sociale des acteurs, nous nous sommes efforcé·es, à l’occasion d’un atelier des Rencontres de Films en Bretagne, de remettre les choses en perspectives, de croiser les expériences, d’imaginer des stratégies.,de réunir les conditions pour regagner des visions de court, moyen et long termes…

A la suite de ce rendez-vous, Jean-Louis Bonnin, Olivier Calonnec (directeur de Cinécran), Christian Ryo (ancien directeur du Festival de Douarnenez) et Franck Vialle (directeur de Films en Bretagne), ont souhaite donner suite, avec de bonnes résolutions et quelques propositions…


UN CONTEXTE QUI BOUGE…

Suite à l’étude publiée en mars 2022 sur l’impact économique et l’utilité sociale des acteurs de la filière cinéma, et dans un contexte où force est de constater que la plupart des acteurs peinent à se projeter dans le temps, Jean-Louis BONNIN insiste sur les nécessités :

  • de s’arque-bouter sur les valeurs de la liberté de création et de diversité, sur les spécificités des secteurs de la création artistique, de la diffusion, de la médiation, de l’émancipation des personnes… et élaborer une sémantique commune et une stratégie de communication partagée autour de ces valeurs ;
  • d’avoir une vision transversale et une compréhension des différentes stratégies des tutelles qui financent les acteurs (au niveau européen, au niveau national, au niveau régional) pour identifier les points de rencontre, les espaces en commun ;
  • de prendre du recul par rapport aux questionnements de la filière pour inscrire ces questionnements dans les bonnes temporalités (court, moyen et long termes), les réponses étant à adapter en fonction de ces différentes temporalités ;
  • de se mettre en capacité de faire « un pas de côté » pour chercher les réponses à ce qui préoccupe le quotidien des acteurs culturels – s’autoriser ce pas de côté n’est pas plus « risqué » que de s’en remettre à « l’habitude » et à une chemin prétendument balisé, mais pour le moins incertain.

Pour rappel, 19 préconisations avaient été formulées dans l’étude (cf. document ICI).

Celles-ci sont-elles encore pertinentes ? Quels sont les nouveaux obstacles et quelles sont les priorités ? La période dont nous sortons a laissé des traces… La crise de l’énergie et la hausse des coûts d’exploitation, l’inflation, que les aides et subventions ne viennent pas compenser, voire qui parfois diminuent. Le dialogue est souvent difficile avec les partenaires institutionnels, qui eux-mêmes traversent une période de grande tension budgétaire et d’incertitude, à la faveur d’injonctions contradictoires (tant en interne, qu’en externe) et d’annonces tardives qui accentuent dans les équipes les incertitudes (manque de visibilité, difficulté à consolider, contexte peu favorable à la capacité d’innovation et de renouvellement…), le découragement, voire des tensions…


IDENTIFIER LES POINTS DE TENSION ET LES METTRE AU TRAVAIL !

Ce n’est pas nouveau : certaines tutelles, à toutes les échelles territoriales, tendent à diminuer les aides « structurelles » au profit « d’aides aux projets ». Renouvelées chaque année, incertaines, elles amplifient le manque de visibilité et de capacité à consolider l’existant de « ce qui marche » ET la concurrence entre les équipes. Elles occasionnent également un travail administratif plus lourd encore, et souvent au détriment d’une évaluation qualitative des actions… Ces situations rendent difficiles l’élaboration de projets sur des temps longs, d’avoir une stratégie de développement à 3/4 ans, de créer un récit et de le rendre visible et lisible à l’échelle locale, mais aussi nationale, voire européenne.

Bien sûr qu’il faut tenir compte des mutations sociales, sociétales, du contexte économique, de l’urgence climatique, des évolutions technologiques (notamment l’IA). Cela implique une capacité de visualisation, de veille, d’attention aux marges, d’expérimentation, d’analyse, d’évaluation… Une capacité qui elle-même sous-entend une stratégie de « moyens ».

Dans ce contexte  confus, de tensions, il est essentiel de ne pas s’isoler, se replier sur les enjeux de sa seule structure, de se débattre à vouloir convaincre seul. Il y a au contraire nécessité d’avoir un référentiel commun, étendu à l’ensemble de la filière : données partagées, rituel de dialogue, restitutions communes…

Il s’agit de partager une connaissance globale de la force que nous représentons !

Un référentiel commun peut permettre de communiquer, de rendre lisible ce en quoi nous répondons aux orientations de tel ou tel partenaire, et plus largement en quoi nous répondons à un enjeu de démocratie : diversité de création et de représentation, valeur ajoutée culturelle de contenus participant de l’émancipation des citoyens et de la « représentation d’une vision du monde », droits culturels, éducation artistique et culturelle, ciment social, égalité des droits entre les femmes et les hommes, récits de transition, promotion de l’environnement et réduction de l’empreinte écologique….

Parvenir à valoriser le travail invisible (mais qui est souvent la condition de tout !)

Considérer le rôle des nombreux bénévoles dans les festivals et lieux de diffusion, travailler à leur reconnaissance et à la mise en valeur de leur implication va au-delà des enjeux de la structure. Il s’agit là d’un chantier important, en lien direct avec les questions de droits culturels et de chaîne de valeur des ressources de la culture : ateliers, formations, rencontres sont la clé d’une consolidation des maillages associatifs, d’une consolidation sereine des « équipages » (représentativité, RH et santé au travail, cordialité et modalités de dialogue, droit associatif et règlementation) et de leur renouvellement.

A l’échelle de la filière, il sera plus parlant de souligner le dynamisme et le poids économique de l’action, de rendre visible une économie « vaporeuse » mais qui est dans un lien incontestable et complémentaire à d’autres secteurs économiques (ex. festivals et tourisme / image et attractivité du territoire / production et décentralisation / création et récit de transition)… Ce qui n’ empêche pas de revendiquer « l’utilité de l’inutile » pour citer le livre de Nuccio Ordine, manifeste en faveur de la créativité opposée au culte de l’utilité des démocraties marchandes…

Selon Ordine : « Il n’est pas vrai – pas même en temps de crise – que seul ce qui est source de profit soit utile. Il existe dans les démocraties marchandes des savoirs réputés « inutiles » qui se révèlent en réalité d’une extraordinaire utilité ». À travers les réflexions de grands philosophes et de grands écrivains, le critique littéraire italien interroge sur « ces savoirs dont la valeur essentielle est complètement détachée de toute finalité utilitaire ». Il montre comment l’obsession de posséder et le culte de l’utilitéfinissent par dessécher l’esprit, en mettant en péril les écoles et les universités, l’art et la créativité, ainsi que certaines valeurs fondamentales telle que la dignitas hominis, l’amour et la vérité… S’il supprime ces luxes jugés superflus, l’homo sapiens aura bien du mal à rendre l’humanité plus humaine !

 

Du pragmatisme !

Mais, trêve de disgression, si pertinente soit-elle… Concernant les impacts économiques des acteurs de la diffusion, de la médiation et de l’accompagnement des professionnels en Bretagne (mais en réalité sur tous les territoires où cette typologie d’acteurs inscrit son action), développer un référentiel commun (tant quantitatif que qualitatif) et une stratégie de communication autour de « l’économie présentielle » peut constituer un vrai enjeu… dans lequel les partenaires du secteur privé peuvent jouer un rôle déterminant. Ces partenaires (mécènes, fondations, sponsors…) se révèlent souvent très réceptifs à ces indicateurs, s’engagent le plus en constituant un appui nouveau aux projets associatifs (financier, mais également stratégique).

De toute évidence, il pourra être déterminant, et l’étude insiste sur ce point, de développer des réseaux transversaux, avec d’autres disciplines artistiques et/ou d’autres lieux de diffusion : pour structurer une présence, mutualiser des actions et des ressources, partager des réseaux de partenaires mais aussi de publics… Pour projeter des actions à plusieurs, de manière coordonnée (et sans déperdition). Pour se mettre en capacité de travailler la veille, l’écoute et implication des bénévoles, des partenaires, des publics. Pour faire un récit collectif qui donne sens, vision et efficacité…

Ne jamais perdre de vue que la « parole d’ambassadeurs » (partenaires ou bénéficiaires) est toujours plus audible que la vôtre !

Également mis en exergue par l’étude :

  • la recommandation de créer, sous l’égide de Films en Bretagne, des groupes de travail de 6/7 personnes représentant chaque maillon de la filière pour cartographier précisément la filière, établir le continuum de la filière (de la formation initiale à l’éducation aux images, en passant par la formation continue, la création, la production et la diffusion), le lien des différentes composantes avec un « projet de territoire » et souligner sa cohérence et l’importance des complémentarités ;
  • la nécessité de créer un groupe de travail à l’échelle de la filière sur la communication avec les médias (presse écrite, TV, web…) : pour une communication plus globale et l’élaboration d’un récit autour de « la Bretagne territoire d’émergence et de rencontres cinématographiques » en valorisant les créations, les publics et l’identité forte de cette région ;
  • la nécessité d’établir des liens durables et nourris avec les territoires régionaux limitrophes (voire au-delà), pour peser et être représentés dans les débats intra régionaux, à l’échelle nationale et européenne – les liens existants laissent à penser que cette nécessité est aussi prise en compte dans ces autres régions… avec le même enjeu de présence dans les instances nationales et européennes du cinéma, avec le même enjeu de mutualisation de la veille et des réseaux ;
  • Enfin, les enjeux liés aux gouvernances, aux statuts juridiques, à la composition des CA d’association, et une nécessaire analyse du renforcement des RH dans les structures. Les réalisateurs de l’étude évoquent une analyse différenciée des structures, entre scène vécue (par les équipes, les adhérents le public), scène perçue (par les acteurs d’autres structures culturelles ou de politiques publiques) et scène construite (sur les objectifs contractualisés avec les pouvoirs publics)… était également soulignée la nécessité d’envisager des mutualisations dans les recrutements, d’organiser un parrainage et partage d’expérience dans le montage de productions artistiques, de projets culturels au sein même des adhérents de film en Bretagne… (c’est a priori une mission confiée par la Région Bretagne aux gesticulteurs pour 2023-2028, mais cela n’empêche pas qu’un adhérent de Films en Bretagne suive ces démarches).

En bref, il s’agit d’ouvrir très vite deux à trois chantiers permettant de relancer le dialogue avec les tutelles, de définir des objectifs inscrits à inscrire des contrats de progrès à visibilité à 3 /4 ans (conventions pluriannuelles à défendre au travers d’un référentiel commun), de rendre lisible un récit pour toute la filière et en lien avec d’autres secteurs culturels…


4 BONNES RÉSOLUTIONS POUR 2024
  • Prendre acte de ce que le secteur culturel n’est pas une exception dans l’application du droit du travail malgré un argument toujours trop largement répandu : chercher à déterminer les bonnes conditions de travail, de vie au travail, d’équilibre, quel qu’il soit, entre la vie privée et la vie professionnelle, peut-être est-ce se donner les moyens de libérer les compétences des gens avec qui l’on coopère.
  • Rompre l’accélération perpétuelle de notre quotidien. Arrêter le temps, plusieurs fois s’il le faut, pour observer à la fois ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas, en toute objectivité, dans l’exercice de nos métiers.
  • Sortir du commentaire et autres messes basses. Prendre le temps de s’écouter réellement au quotidien, diversifier ces temps d’écoute (individuels, collectifs, spontanés ou préparés, stratégiques ou anodins). Se requestionner sur nos relations (inter)professionnelles, sur leur réalité concrète, être à l’écoute des difficultés des autres, des siennes propres, et savoir les accompagner, les soigner, les transformer… pour ne pas les reproduire ou les aggraver, pour sortir des souffrances grandes ou petites en faisant preuve d’humilité, en repartant des gens près de nous pour penser les projets que l’on est sensés porter.
  • Ne plus opposer ambition et humilité : développer une capacité collective à mettre en adéquation un projet, une vision, et nos possibilités réelles à les mettre en œuvre. Engager un principe inaliénable de coopération, de co-création entre nous. Penser un projet ne doit pas se faire seule – si nous sommes souvent tributaires de décisions politiques, l’incarnation de nos structures doit s’inscrire dans vision collective.

4 PROPOSITIONS CONCRÈTES POUR 2024
  • Prolongement du parcours de formation « Intelligence collective : pour mettre en œuvre la vision d’un projet culturel et/ou artistique et conduire sa structure » dans le cadre du programme de formation professionnel de Films en Bretagne, pour véritablement outiller les acteurs pour la conduite des projets et des équipes.
  • Mise en place, dès débuts 2024, d’un protocole de dialogue entre les acteurs et la Région Bretagne (au niveau politique, comme au niveau des services), par l’intermédiaire de Films en Bretagne : il s’agit d’établir les passerelles et/ou points de dialogue entre les résultats de l’étude réalisée en 2022 et la feuille de route de politique culturelle de la Région, avec l’objectif de trouver communément – et clairement – les capacités de mise en adéquation entre les besoins / l’ambition / les moyens disponibles.
  • Mise en place, dès début 2024, au sein du collège des Acteurs Culturels de Films en Bretagne, d’un groupe de travail pour mettre en œuvre une cartographie exhaustive des acteurs de la diffusion, de la médiation et de l’accompagnement des professionnels.
  • Réalisation par Films en Bretagne à horizon juin 2024 d’un document concerté de communication quant aux socle de valeurs (liberté de création et de diversité, émancipation des personnes, droits culturels) établissant une sémantique commune et une stratégie de communication partagée autour de ces valeurs.

8 QUESTIONS… POUR GUIDER LES VISIONS DE COURT, MOYEN ET LONG TERMES

Lors de la rencontre du 5 octobre, les acteurs ont décrit l’organisation de leurs structures respectives, rappelant la diversité de formes, de dimensions, de périmètres d’action, de type d’activité et d’enjeux qui composent le tissu associatif breton de l’audiovisuel et du cinéma. La coopération est tantôt « empêchée », tantôt freinée par des fonctionnements parfois diamétralement opposés, des problématiques contradictoires et/ou des ressources sans communes mesures. Force est de constater, pourtant, que l’envie et la volonté de coopérer sont là, persistantes !

Se pose en premier lieu la question de l’articulation des visions de court, moyen et long terme, avec la multitude de points de vue qui peuvent coexister au sein d’une équipe professionnelle et/ou de bénévoles au sein d’une même structure, et la coexistence de ces multiples points de vue avec ceux d’une autre structure. En lien étroit avec cette question, les zones de frottements qui se font jour parfois, entre les objectifs qu’une structure se donne et les moyens réels dont elle dispose pour les mettre en œuvre.

Dans l’objectif de cadrer la réflexion et les chantiers à venir, nous invitons les acteurs à se poser différentes questions, et à inscrire leurs réponses dans une vision temporelle de court, moyen et long termes :

  • Quelles sont les dispositions prises par votre structure pour préserver la santé de vos équipes et prévenir des risques psycho-sociaux ?
  • Quelle est la réalité de leur application au sein de vos structures ?
  • Qu’est-ce fait pression sur l’application stricto-sensu du droit du travail ? : Les moyens humains / Le manque de temps / Le manque de formation / Les moyens financiers octroyés ou qui risquent de ne plus l’être (et donc la nécessité de trouver des solutions) et qui ont une incidence directe sur la charge de travail ?
  • Une rupture générationnelle est-elle à l’œuvre concernant les conditions de travail (temps de travail, charge mentale, rémunération) ? Les visions sont-elles conciliables ou devons-nous redouter un véritable effet de rupture ?
  • Quelle serait la meilleure approche pour que la question budgétaire soit moins prépondérante dans la réalisation des plans d’actions ? Davantage de financement au projet, davantage de garanties des pouvoirs publics sur la continuité des soutiens, davantage de diversité dans les ressources (diversité des partenaires, engagement de partenaires privés…) ?
  • Question liminaire : une approche systémique de la question budgétaire pourrait impliquer la mise en place d’un plan concerté, pluriannuel, autour d’appels à projets de grande ampleur à l’échelle nationale ou européenne. Quelles sont les têtes de réseau à même de fédérer les acteurs autour d’un tel plan pluriannuel ? Quelle est le rôle et la place des pouvoirs publics dans une telle stratégie ? Dans quelles modalités d’échanges avec les acteurs ?
  • Dans la perspective d’inscrire notre travail et nos actions dans UN RÉCIT, n’avons-nous pas d’abord à concilier les appétences et manières de travailler différentes au sein de nos différentes structures pour établir des conditions de travail cohérentes et SOUTENABLES ?
  • La définition d’une règle du jeu valable à la fois dans le projet en tant que tel et dans des règles partagées à l’échelle de la filière n’est-elle pas un prérequis à la mise en œuvre d’un récit COMMUN clair ?