Entre décembre 2023 et février 2024, l’auteur-réalisateur de documentaires Swen de Pauw a fait partie des encadrant·es de la formation « Parcours documentaire : affirmer son dispositif et ses intentions ». La formation, co-organisée par Films en Bretagne avec Ty Films, s’est déroulée à Mellionnec. Swen nous a partagé son expérience…
Retour d'expérience par Swen de Pauw
Swen de Pauw est auteur-réalisateur de films documentaires (Le Divan du monde, Comme elle vient, Maîtres). Il a créé la société de production Projectile en 2008 grâce à laquelle il produit et coproduit tous ses films. Il est également directeur artistique et programmateur des festivals Kings of Doc et KODEX (Kings of Doc Expanded) à Strasbourg et Berlin ainsi que président de l’association Répliques, pour laquelle il crée et coordonne plusieurs dispositifs dans les domaines de la programmation, la production de films associatifs et l’éducation aux l’images.
J’aime les gens ambitieux. Dans mon milieu du cinéma documentaire et de la formation, ça me change. Avec l’association Répliques et le dispositif des Ateliers de l’image, on a réalisé de nombreuses choses et répondu à beaucoup de demandes parfois diamétralement opposées, notamment celles, très sérieuses, de transmettre des savoirs, des savoirs-faire, des valeurs, une discipline professionnelle, en 2 heures, à des publics qui n’avaient rien demandé. A qui les encadrants imposaient littéralement un atelier audiovisuel. Grâce à nos actions de formation, nous avons vécu parmi les plus beaux moments de notre carrière, voire de notre vie, comme nous avons vécu des situations lunaires, en décalage complet avec le public ou nos hôtes. Ainsi, lorsque Films en Bretagne m’a contacté pour me demander d’encadrer une formation de 4 semaines avec des personnes souhaitant réaliser un film, je me suis dit que ça avait déjà un peu plus de gueule. C’était plus cohérent et intéressant que beaucoup de choses que l’on m’a proposé. Et à la manière dont Stéphanie Coquillon puis Franck Vialle m’ont présenté le partenariat avec Ty Films, la résidence en immersion, les différents intervenants, la logique qui sous tendait l’opération, je me suis dit que cela avait été bien pensé.
L’objectif était annoncé dans l’intitulé : affirmer son dispositif et ses intentions. Plutôt que de l’aborder par le biais du « pourquoi ? », j’ai préféré amorcer la formation par la question du « comment ? » beaucoup plus importante à mes yeux. J’aspire à transformer le « pourquoi ? », omniprésent dans la politique des auteurs en France et dans l’offre de formation, en « comment ? », quasi inexistant. Autodidacte, je suis beaucoup plus stimulé par le fait de savoir comment on va faire un film plutôt que pourquoi on le fait. Question qui, paradoxalement, aussi ouverte et intéressante soit-elle, est très limitante. Alors que le comment permet de développer la question du pourquoi, il n’en est pas vrai de l’inverse. De mon point de vue, lorsqu’on axe une formation autour du pourquoi, on se retrouve avec de jolis textes pour les dossiers, de jolis traumas chez les auteurices, mais sûrement pas avec des intentions ou un dispositif, et encore moins avec des films. La question du pourquoi, des motivations, de la légitimé des cinéastes, laisse beaucoup trop de personnes sur le carreau. On est là pour faire des films (Filmmaking) et pas seulement les écrire.
Avec Franck Vialle et les différents intervenant.e.s nous avons poussé les stagiaires dans cette direction, grâce à nos expériences respectives, en leur demandant non pas de penser leur film mais leurs intentions et leur dispositif, car si sur le papier tout est possible, ce n’est pas forcément le cas dans la réalité. Et ce qui a l’air simple (filmer ses proches) ne l’est pas plus que ce qui a l’air compliqué (faire un film sensoriel). Demander à des réalisateur.ices, aspirant.es ou confirmé.es comment ils comptent s’y prendre, c’est faire apparaître une dimension pratique, physique, qu’on ne peut plier. Sur le papier on peut tout faire, la seule limite est celle de notre imagination et le budget est illimité. Dans la réalité, penser son dispositif humain, le confronter au terrain, à son équipe, prendre des décisions de réalisation, permet tout autant de faire évoluer sa pensée et réfléchir à son film.
Au delà de l’aventure collective, de l’intérêt de travailler ensemble, d’enrichir notre réflexion et notre créativité, de se motiver à faire son film en pensant celui des autres, j’ai beaucoup aimé l’ambition des structures organisatrices, ainsi que celles des stagiaires : les moyens mis en place par Films en Bretagne, le cadre de Mellionnec façonné patiemment depuis des années par Ty Films, et les sacrifices des stagiaires pour faire avancer leur projet (parce que oui, il faut s’organiser pour TOUT lâcher pendant 4 semaines et aller s’isoler dans la campagne). J’ai beaucoup aimé réfléchir à Mellionnec. La stimulation intellectuelle que demande l’encadrement d’un tel événement, l’ouverture et l’adaptation constantes qu’elle nécessite, m’ont tout autant ouvert au Monde et obligé à faire des pas de côtés, des sacrifices, des compromis. Malgré l’apparente monotonie d’un travail quotidien et encadré, j’ai beaucoup aimé la variété rencontrée dans cette formation : celles des stagiaires et de leurs expériences, de leurs projets, de leurs pratiques cinématographiques, celles des intervenant·es ou encore l’alternance entre les journées « pratiques » avec du matériel et des encadrant.es techniques et celles théoriques, d’écriture, de visionnage, et d’échange avec les professionnel.le.s
Moi qui suis arrivé avec cette position d’encadrant, je pense avoir autant appris que les stagiaires. Au début de la formation, je ne donnais pas cher de certains projets sur le papier. A la fin, j’étais bien obligé d’admettre que j’étais totalement convaincu par nombre d’entre eux. Rencontrer les personnes, les voir évoluer, travailler, dépasser le dossier, a vraiment permis à certains projets d’exister autrement. Décidément le pourquoi, s’il est important aux yeux de certains, ne fait pas le poids face au concret du comment.
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Swen de Pauw