Le film Interdit aux chiens et aux Italiens était présenté en avant-première en octobre 2022 aux Rencontres de Films en Bretagne au cinéma Arletty de Saint-Quay-Portieux.
Descendante de famille italienne, Bérangère Portalier était dans la salle.
Témoignage d’une rupture de transmission culturelle familiale, de généalogie… et d’amour.
Ritale sans mémoire, ou l’Italie enchantée
[par Bérangère Portalier]
L’Italie, c’est le pays dans lequel on arrive quand on grimpe aux branches de mon arbre généalogique. Si mon nom n’a rien d’italien, c’est qu’il est rattaché à la seule lignée française, celle du père de mon père. Mais la vérité, c’est que tous les autres chemins mènent à Rome, enfin par là-bas. Pourtant, à part une vague sympathie pour les ritals, rien n’a été transmis, alors quand je m’assois dans le fauteuil en velours du cinéma pour voir Interdit aux chiens et aux italiens, je ne me sens même pas concernée.
La projection démarre, et je m’installe confortablement dans le récit. Les personnages ont des trognes terriblement attachantes. Le film fourmille de trouvailles visuelles et narratives, et la voix d’Ariane Ascaride est si douce que c‘est un régal. Je passe un excellent moment.
C’est à quelques minutes de la fin que c’est arrivé.
Berthe Sylva chante Les roses blanches. Luigi meurt. Et moi je pleure toutes les larmes de mon corps. Un fleuve inarrêtable de gros sanglots qui perdure bien après la fin de la séance. D’y penser, les larmes me montent encore et je m’interroge : sur quel bouton de ma psyché appuie cette histoire ?
Je le sais vaguement : la famille de ma grand-mère maternelle vient du mont Viso, qui se trouve être un personnage central du film. Il est le point d’ancrage de la narration, le refuge rugueux mais chaleureux dont les personnages doivent s’arracher pour émigrer en France.
Le réalisateur Alain Ughetto est un sentimental. Pour raconter son histoire, il choisit de donner la parole à sa grand-mère Cesira. Il lui ramène une poignée de terre du mont Viso et l’interroge pour obtenir ce dont il a besoin, le récit de ses origines. Par son évocation gorgée d’amour, Cesira fait revivre l‘épopée familiale et ranime le souvenir de Luigi, le grand-père, initiateur de la migration vers la France.
Ce récit ne peut plus advenir pour moi. Tous les témoins sont morts et si peu de choses ont été racontées, la faute à des décès précoces et à cette volonté intransigeante de s’assimiler à la France. Ce fut une intégration par occultation. L’interdiction faite aux enfants de parler italien même en famille. Les prénoms français, les goûts français. La stratégie fut payante. Deux générations plus tard, il ne me reste même pas le sentiment d’être le fruit d’une immigration, et je mesure en regardant Interdit aux chiens et aux italiens, l’énormité de cet impensé. Je sens presque physiquement, à l’endroit du cœur, un gros rocher noir que je contournais constamment sans réaliser qu’il trônait au milieu de mon paysage intérieur.
Ce qui me relie à Alain Ughetto, ce n’est pas seulement cette provenance géographique et sociale. C’est aussi que son film répond à ma nécessité de recréer un lien un peu magique et mythique avec mes origines. Sautant la génération des parents, et donc m’épargnant les règlements de comptes avec l’adolescente qui reste en moi, je peux raccrocher les bouts de ce qu’Ughetto m’offre, des figures aimantes, loyales, de belles personnes à la vie modeste mais digne, pour tisser ma propre mythologie familiale. Je peux aimer ces aïeux de l’ombre et me réclamer d’eux. Leur misère n’est plus crasse, elle est sublimée par la tendresse.
Tiens, je repleure. Alors je crois que j’ai trouvé. Ce que les histoires de migration oblitèrent, c’est non seulement l’identité, mais très concrètement, c’est de l’amour en moins.
Merci Monsieur Ughetto de m’avoir offert de nouvelles personnes à aimer. J’ai à présent dans le cœur une adorable arrière-grand-mère et un arrière-grand-père à chérir.
Bérangère Portalier, décembre 2022
A lire aussi…