Pour rencontrer le monteur Julien Cadilhac, il faut aller tout au bout du vieux continent, dans le Cap Sizun près de la pointe du Raz. Et ne pas se perdre en route…
Juste après Pont-Croix, il ne faut pas rater l’embranchement à droite avec le panneau »Ateliers Kervillé ». Puis il faut prendre une petite route qui serpente dans les sous-bois, passer à côté des vaches et prendre à gauche avant l’élevage de cochons. Quelques virages plus loin, vous arrivez à une ferme, avec des hangars, des petites maisons en pierres, une caravane en forme de baleine et un champ pour se garer. Vous voilà à Kervillé, là où Julien Cadilhac a aménagé sa salle de montage. Ce qui fait de lui le monteur le plus à l’Ouest que je connaisse.
Ce jour là, il travaille en compagnie d’Olivier Bourbeillon, producteur et réalisateur à Paris-Brest. Ambiance studieuse et feutrée, Final Cut Pro X ronronne tandis que les deux compères montent un film pour l’émission Libre court de France 3. Mélangeant la fiction, le documentaire, des archives et de l’animation, ce film met en scène l’appartement parisien de Boris Vian. Il s’appellera »Une vie en forme d’arête ».
Comment Julien parvient-il à faire venir des réalisateurs à la campagne ? Pour Olivier, qui vient de Brest jusqu’à Beuzec-Cap-Sizun, la réponse est dans le personnage. « Il m’oblige à venir jusqu’à Kervillé », dit-il avec un sourire en coin, « tout simplement parce que c’est un vrai monteur ! N’importe qui peut apprivoiser le logiciel Final Cut, mais savoir monter, c’est autre chose. C’est un métier mystérieux, pas si simple… Si le film est mal monté, ça se verra tout de suite au visionnage, alors que si le montage fonctionne, il est invisible. Et en définitive, quand on regarde le résultat, on ne sait pas ce qui vient du monteur ou du réalisateur. C’est comme une note de musique en fait, c’est juste ou ce n’est pas juste. »
Du haut de sa trente-cinquième année, le jeune homme a déjà de la bouteille. Julien monte donc à domicile des « images vivantes » comme il dit : des fictions courtes, des documentaires, des films institutionnels, des films pour les associations… La liste est impressionnante de ceux qui sont déjà venus à Kervillé. Olivier Bourbeillon est le premier des fidèles, celui qui lui a fait confiance au démarrage et avec qui il a déjà monté plus d’une dizaine de films. Et puis, il y a les habitués du lieu : Anthony Quéré et Olivier Broudeur, Nicolas Leborgne, Julie Henry ou encore Gaël Naizet viennent ici monter leurs courts métrages. Le réseau s’élargit d’année en année et le nombre de boites de productions qui font appel aux services de Julien aussi !
Comment est-il arrivé là ? Autrefois, Julien Cadilhac était un parigot ou plutôt un banlieusard, de Breuillet pour être exact, bien loin du Cap et des bretonnitudes. Le virus de l’audiovisuel lui a été inoculé par un voisin féru de vidéo. A douze ans, avec quelques copains, il se lance dans la réalisation d’un premier film : »La poursuite infernale ». Commencer sous les auspices de John Ford, c’était sûrement un bon présage ! Après le bac, il postule dans différents BTS audiovisuel et c’est Toulouse avec sa spécialité de montage qui l’admet en premier. Du lycée des Arènes, il retient surtout la professeure d’analyse filmique, Simone Dompeyre, dont les cours le passionnent. Après quoi, Julien repasse par Paris pour compléter sa formation en fac de cinéma tout en enchaînant les boulots alimentaires. Son premier travail de montage consiste à faire des bouts à bouts d’arrivées de courses de chevaux pour la chaine Equidia. Mais ça n’a pas duré très longtemps…
C’est alors qu’a retenti l’appel de la Bretagne ou plutôt l’appel des Rouillegorge. Les »Rouilles », comme ils s’appellent entre eux, forment un petit collectif de plasticiens, sculpteurs, vidéaste et photographe-plasticien, qui se sont installés à Douarnenez autour du nouveau millénaire. Parmi eux, il y a Laurent, le frère de Julien, sculpteur de métal, prolixe, hallucinant et inspiré. Julien vient d’abord rejoindre la petite bande épisodiquement, puis franchit le pas et largue la capitale pour le Finistère.
En 2004, ils achètent ensemble l’ancienne ferme de Kervillé qui est à l’abandon. Ils la rénovent et chacun y aménage son espace de travail. Julien construit de toute pièce sa salle de montage sous le grand hangar, « une boite dans la boite ». Et le résultat est bluffant ! Aménagée aux petits oignons, la salle est spacieuse, confortable et inclut un home cinéma pour visionner en grand ce qu’on a monté en petit.
Monter à la maison, amener le travail jusqu’à soi, il fallait y penser. « Economiquement ça fonctionne », raconte Julien, « j’arrive à garder le statut d’intermittent, même si tout reste à refaire chaque année. Le lieu plait et ceux qui y goûtent reviennent. Malgré tout, je remarque à mon niveau que la conjoncture du moment n’est pas très bonne. Les productions bretonnes lancent moins de projets et les films sont souvent sous-financés. »
Un temps, Julien a même hébergé des réalisateurs, mais il essaie désormais de séparer un peu les choses. C’est qu’il a maintenant une vie de famille bien remplie, avec ses deux fils, Paul et Joseph, et sa compagne Annabelle. Les quelques mètres qui séparent la maison de la salle de montage sont une frontière à respecter quand Papa travaille. Même si, à ce moment précis de l’interview, j’entends le petit Joseph s’exprimer en fond sonore et venir piquer avec gourmandise des framboises sous la fenêtre du bureau. La proximité a ses avantages et ses inconvénients… « C’est aussi très tentant et pratique de pouvoir lancer un calcul après le repas ou de se coucher un peu plus tard pour retravailler un plan. »
Cramponné à son rocher, le Cap Sizun, Julien l’est aussi à son métier : « j’aime la relation intime avec le réalisateur, être au près de la création. Sur chaque film, on commence par regarder tous les rushes, patiemment. Après, si la confiance est là, j’aime rester seul, pour faire un premier montage sans le réalisateur, créer avec la matière pour le surprendre, avant de s’y remettre en duo… Le montage en tant que tel, c’est une phase de réécriture du film. J’apporte un regard neuf au réalisateur qui, lui, vit avec son projet depuis des mois, voire des années. Je suis du genre à proposer, à discuter! Parfois, la discussion nous mène sur une troisième voie qui n’est pas conforme à la première vision du réalisateur, ni à la mienne. L’essentiel, c’est la justesse. Souvent on arrive à une évidence. »
Julien se voit continuer durablement cette activité, avec bientôt il l’espère, un long-métrage de fiction à se mettre entre les mains… Peut-être le prochain film en gestation d’Anthony Quéré et Olivier Broudeur, qui sait ? L’important c’est qu’ici, on peut créer. Et les ondes particulières de la mer d’Iroise toute proche ne sont certainement pas étrangères à l’affaire.
Mathurin Peschet[mk_gallery images= »4561″ column= »1″ height= »362″ frame_style= »simple » disable_title= »false » image_quality= »1″ pagination= »false » count= »10″ pagination_style= »1″ order= »ASC » orderby= »date »]