Du 21 au 25 août 2013, l’île de Groix invitait les îles du monde à former un archipel culturel fait d’analogies et d’exceptions. Le Festival International du Film Insulaire de Groix soufflait ses treize bougies avec, comme invitée d’honneur cette année, l’Irlande.
Au plus fort d’un été aux couleurs et aux températures très généreuses cette année, Groix jetait une nouvelle fois des ponts à travers tous les océans et reliait les îles du monde entier pour cinq jours de festival sous un unique pavillon : celui d’une communauté internationale d’îliens férus de cinéma (et de musique), invités à partager leurs expériences insulaires, souvent douloureuses, quelquefois merveilleuses.
C’est le cinéma documentaire qui trouve le mieux à s’épanouir dans ce panorama de films en majorité engagés : en faveur des droits de l’homme, pour la défense d’un territoire, d’une identité, d’une culture ; en lutte contre l’injustice ou l’indifférence, la corruption, la spoliation, le bannissement… Elles sont nombreuses les doléances et les blessures dont font état les films sélectionnés, qui portent la parole de peuples ou d’individus. Relayés par le Festival de Groix pour atteindre un public métissé, ils amplifient le cas particulier, isolé, jusqu’à l’universalité d’une problématique connue donc partagée, et dont la résolution apparaît dès lors moins désespérée. Un lien solidaire se tisse au gré des projections, ouvrant l’horizon sur une certaine forme d’utopie, que la présence d’Amnesty International sur le site du festival rend encore un peu plus accessible. C’est ce que l’on veut croire. Le cinéma documentaire n’engageant pas le public à la passivité, les discussions allaient bon train à l’issue des projections : pas moins de 35 réalisateurs étaient présents au festival pour accompagner leur film, le défendre le cas échéant, éclairer les béotiens sur des sujets parfois aussi éloignés géographiquement qu’étrangers à nos cultures et à nos modes, tout relatifs, de pensée.
Ces films étant d’abord choisis pour leur origine insulaire à différents degrés – production, réalisation, sujet… – la colonisation, le protectorat et leurs répercussions, les problèmes d’identité sont des thèmes à la fois récurrents et transversaux, des problématiques au long cours, présentes dans les éditions précédentes et qui ne font pas défaut à celle-ci. Le traitement de ces sujets est propre à chaque réalisateur : par exemple familial et traité dans une perspective historique – exemplaire – par Diane Dègles dans son beau documentaire sur l’histoire franco-malgache des femmes de sa famille, Blanche là-bas, Noire ici, ou de facture plus journalistique avec les trois films de Damien Faure sur la Papouasie occidentale, son peuple mélanésien arbitrairement molesté par l’Indonésie, auquel on refuse une autonomie pourtant acquise de longue date, West Papua, Sampari et La Colonisation oubliée.
Autre sujet épidémique, le mensonge et la manipulation à l’échelle des États. Igal Kohen était invité à présenter une web-série documentaire, L’Autre Élection, linéarisée pour sa projection au festival : un objet étrange dans un festival de cinéma mais remarqué pour sa liberté de ton et les partis pris très forts et très personnels de son auteur quant aux campagnes précédant les élections de 2012 en Papouasie Nouvelle-Guinée. Le Monde après Fukushima, de Kenichi Watanabe, reçoit le Prix Lucien Kimitété¹ : il raconte la catastrophe écologique et une fois de plus humanitaire sous la forme d’un rapport accablant et irradiant d’actualité.
D’autres films donnaient la parole à de véritables personnages invisibles, débrouillards et autres gueules cassées par la mondialisation et une déshérence annoncée, prise ici et là à bras-le-corps ou à revers, comme Le Libraire de Belfast, d’Alessandra Celesia (Prix de L’Île d’Or) ou Avec presque rien, de Nantenaina Lova (Prix du Public).
Ces films révèlent le caractère hétéroclite des métrages sélectionnés par Sylvain Marmugi, directeur artistique du festival : on peut y voir de véritables films d’auteur, et des objets audiovisuels plus proches du récit journalistique, parfois sériel. « Ce qui compte pour nous c’est le discours, l’engagement », précise Sylvain Marmugi.
Groix lançait un avis de tempête poétique sur l’île en invitant l’Irlande pour sa nouvelle édition, avec une sélection d’œuvres là encore majoritairement documentaires, plus ou moins récentes, à l’engagement social et politique marqué. Une terre de contes et de poésie, d’histoire et de tradition qui se raconte aujourd’hui en images et en musique.
Outre de micro-rétrospectives des œuvres de Pat Collins et Bob Quinn, on pouvait filer les projections sur le thème du voyage et des gens qui en vivent, le vivent. Un clin d’œil involontaire à l’actuelle programmation du Festival de Douarnenez, une demi-journée de films et un débat dans la soirée étaient consacrés aux Travellers, ces nomades irlandais que l’État a tout fait pour sédentariser – rendre invisibles – et qui n’en demeurent pas moins les garants et le véhicule d’une culture traditionnelle, aussi bien musicale que sociétale. Témoins et victimes de tous âges, ils ont été magnifiquement photographiés par Alen Macweeney en 1965, lequel part en 1999 en quête de ces portraits de chair saisis jadis, pour prendre le pouls d’une communauté décimée (Travellers).
« Pour nous, une belle édition, c’est une édition où les gens se rencontrent. Pour les festivaliers, c’est pareil : nous avons les mêmes critères d’appréciation ! », me confiait Sylvain Marmugi entre deux questions de l’un ou l’autre des 150 bénévoles qui font fonctionner cette grande entreprise collective.
C’est donc une belle édition qui vient de se terminer, je peux en attester ; une édition portée par un nombre – pour une fois – vertueux : 13 étés d’un archipel que le FIFIG (Festival International du Film Insulaire de Groix, ndlr) a imaginé et qu’il participe joyeusement à rendre pérenne.
Gaell B. Lerays
¹ Le prix « Lucien Kimitété » est décerné au documentaire le plus humain. Lucien Kimitété était maire de Nuku Hiva, île jumelée avec Groix et son charisme avait profondément marqué les îliens qui ont voulu lui rendre hommage en l’associant à l’un des prix du palmarès.
Crédits photographiques :
Vue du Festival International du Film Insulaire de Groix © Gaell B. Lerays, 2013.
Nell Ward © Alen Macweeney, 1965. Photographie reprise dans le film Travellers.