Lisa Diaz a grandi dans les Cévennes. Elle est passée par les Pays de Loire. Elle est aujourd’hui installée à Douarnenez… Son parcours est jalonné de quelques six courts métrages de fiction et trois documentaires, régulièrement sélectionnés et récompensés dans les grands festivals français et internationaux (Brest, Grenoble, Angers, Pantin, Clermont-Ferrand, Uppsala, Micgenero, Olhares do Mediterraneo…).
Avec Eva voudrait continuait une véritable success story qui la menait d’un moyen métrage pour la télévision, à son premier long métrage Libre Garance !. Le film est actuellement présenté dans la sélection Cannes Écrans Juniors du Festival de Cannes 2022 : l’occasion pour nous, grâce à Léo Dazin, de revenir sur un parcours fait d’énergie et d’expériences, de singularité et d’exploration, de persévérance et de volonté.
En 2012 tu réalisais ton premier court métrage en Bretagne, La Place du Maure. Difficile d’imaginer suite à la vision de ce court que, dix ans après, non seulement tu serais toujours de la partie, mais que de surcroit tu allais être présente à Cannes avec un long métrage et réaliser certains des films les plus intéressants du territoire. Qui était la réalisatrice d’il y a dix ans, qu’est ce qui l’a poussé à persévérer ?
La Place du Maure n’était même pas mon premier court de fiction ! J’en avais fait un autre avec les Films du Balibari en 2007, L’Absent, tourné en pellicule, que je ne montre jamais ! Cela m’a donc pris bien plus de temps que dix ans pour arriver avec un long métrage à Cannes.
J’ai commencé à faire des films à 25 ans, au début avec rien de rien, puis un petit peu produit… Et en alternant des trucs expérimentaux ou bricolés que personne ne verra jamais. N’ayant pas fait d’école de cinéma j’ai appris en faisant plein de films, parfois ratés. Et il ne faut pas oublier le documentaire qui m’a notamment permis de m’essayer à des formats plus longs que des 20 minutes. Ce qu’il reste à finir (2011) est un film documentaire qui compte beaucoup pour moi et qui est à l’origine de mon long-métrage d’une certaine façon. J’ai aussi fait partie des premiers à participer à une résidence long métrage au Groupe Ouest, en 2007.
Ce premier scénario de long était probablement nul d’ailleurs, mais très tôt j’ai eu cette envie. Cela vient d’une attirance pour l’écriture, j’avais des tentatives de roman par exemple, cela permet de développer des personnages sur la durée. C’est un parcours un peu long et compliqué mais il fallait bien ça, attendre le bon premier long qui allait me permettre une mise à plat de mes apprentissages de cinéaste et de prendre conscience de l’endroit dans lequel j’étais dans mon parcours. Cette coexistence n’existe pas toujours, par exemple lorsque j’écrivais des scénarios beaucoup trop chers à produire avec trop de moyens techniques. Il me fallait donc trouver le récit et la forme cinématographique qui allaient me permettre de passer au long.
Et puis moi travaillant en région, ma productrice Colette Quesson travaillant aussi en région, il faut dire que cela prend plus de temps. Mais je suis une combative. Tu connais l’histoire de mon court métrage L’Oreille du pianiste par exemple, que j’ai mis quatre ans à faire exister à la force du poignet et de ma conviction. J’ai également fait partie d’un collectif qui s’appelait Makiz’Art à Nantes, et qui m’a permis d’aller travailler sur les films des uns et des autres comme de fabriquer quelques films… Ça a fait partie de mon apprentissage.
L’ARBRE (association des auteurs et réalisateurs de Bretagne) organisait aussi une première résidence à Mellionnec… Il faut que je dise que j’ai un vrai plaisir du plateau. Et comme être en plateau est trop rare, je cherche à multiplier les potentiels d’y être. Travailler avec d’autres, travailler en groupe est aussi un élément qui m’a permis de persévérer. Même si j’adore écrire, que j’ai écrit tous mes films, que tout part d’une pratique solitaire, tout ça est aussi un peu douloureux. Le moment où d’autres personnes trouvent mes propositions intéressantes et travaillent dessus avec leurs compétences spécifiques, c’est comme une récompense pour moi.
Outre tes documentaires, tu as réalisé six fictions de moins d’une heure. Pourrais-tu nous raconter les différences d’investissement d’énergie entre celles-ci et ton premier long métrage, Libre Garance ?
J’espère désormais que je ne ferai plus que des longs ! En ce sens que, en comparaison avec le court métrage, l’investissement est presque le même en termes de prépa, de recherche de décors ou de comédiens… C’est un énorme travail qui est aussi un moment relativement angoissant, on ne sait jamais si on parviendra à faire le film et à réunir le budget suffisant – mes budgets sont toujours assez fragiles.
Je parlais de mon plaisir à être sur un plateau, et bien, sur un long métrage, j’ai l’impression que toute cette préparation est bien plus payante, satisfaisante. Sur Eva Voudrait j’avais trois semaines de tournage, sur Libre Garance ! j’en avais sept… C’est un temps qui permet l’expérimentation au moment du tournage, ça permet aussi parfois de se louper et de récupérer la chose – avec des modifications de jeu, des changements de décors qui peuvent débloquer des situations, une gestion des intempéries… On prend le temps d’apprendre à travailler avec une équipe… On a du temps pour réfléchir, pour inventer, pour chercher plus fort. C’est une espèce de cadeau ! Tandis qu’évidemment sur un court métrage de cinq jours, si t’es coincé, t’es coincé.
En 2014 et 2017 tu signais L’Oreille du pianiste et Ma Maison, deux fictions courtes qui dans ton parcours détonnent par leurs maîtrises formelles, par le goût pour l’artifice que tu y déploies. Ce sont aussi et probablement tes films les plus ouvertement méchants ou cruels. Est-il juste d’affirmer que, depuis, tu développes dans le cadre de la fiction une esthétique en contre point ? Libre Garance est-il une forme d’aboutissement de ce contre point ?
J’ai commencé à écrire Libre Garance ! et Eva voudrait en même temps, c’est-à-dire en fin de travail sur Ma Maison. Je cherchais alors à trouver mon endroit d’écriture, je cherchais tout simplement à trouver esthétiquement ce que je voulais en tant que réalisatrice, je cherchais à identifier mes manques par exemple.
La thématique de l’enfance est un bon exemple. J’avais réalisé un court en Roumanie sur ce thème, Mon père est un super héros, et cela m’a confirmé que je voulais travailler depuis le point de vue de l’enfance. Il y a ce premier point.
En second point je désirais effectivement donner davantage de place aux comédiens en trouvant une liberté à l’intérieur de mes séquences. Je tourne assez longuement, c’est presque une façon de filmer documentaire, c’est presque à l’arrache. Je ne voulais plus être dans une forme de prouesse technique qui prend trop de temps et trop de place. Et ça ne me donne pas tant de plaisir que ça… Mon plaisir je l’ai trouvé notamment auprès des enfants et de leurs propositions. Là c’est vivant. Les enfants ne sont pas au travail, ils sont là car ils le veulent bien, l’espace du plateau doit être un endroit où ils ont envie d’être.
Et alors ça chamboule ! ça chamboule car la base est tout de même écrite, c’est un film avec une histoire nette qui avance, mais il faut laisser de la place à ces imprévus que peuvent produire les enfants. Il faut être capable de saisir des moments de cette enfance. Il y a, cela dit, la forme du conte qui traverse Libre Garance !, malgré son naturalisme, ses lumières naturelles, malgré la caméra à l’épaule. Il y a par en dessous une forme de restitution de l’imaginaire de Garance. C’est une histoire de priorisation entre l’artistique et la technique tout de même.
Il est évident qu’un acteur est empêché dans un story board, dans un cadre défini. Moi, en ce moment, ce qui m’intéresse ce sont les propositions des comédiens et de composer avec. Peut être qu’à l’avenir avec une autre histoire, plus fantastique peut être, cela nécessitera un autre dispositif. D’ailleurs je me suis fait la remarque que sur Libre Garance ! on avait pas fait de « beaux plans » de tout le film ! Au sens où il n’y a pas de prouesse, il n’y a pas de plans qui pourraient faire « image ».
A l’avenir il s’agira pour moi de digérer ce premier long métrage, de comprendre mes ratés – car je ne suis jamais complètement satisfaite d’aucun de mes films – et de travailler à partir de… Donc je pense encore pousser cette veine naturaliste. Avec la productrice nous avons fait en sorte de finir le film à temps pour le proposer aux sélections cannoises. Ce n’est pas un bon moment pour me remettre à l’écriture, je me sens un petit peu vide maintenant que mon travail sur ce film est terminé. Mais j’ai quand même un nouveau projet d’adaptation dans lequel j’aimerais continuer à explorer ce que j’appelle des âmes humaines, explorer des acteurs, explorer des relations entre des personnages… se désirer, se détester…
Propos recueillis par Léo Dazin, mai 2022
LIBRE GARANCE !
Long métrage de Lisa Diaz
Synopsis : C’est l’été 82. Garance a onze ans et vit dans un hameau reculé des Cévennes où ses parents tentent de mener une vie alternative. Quand deux activistes italiens braquent une banque dans les environs, cela tourne mal. Cet évènement vient chambouler la vie de Garance et de sa famille…
Avec : Grégory Montel, Laetitia Dosch, Lolita Chammah, Simone Liberati, Azou Gardahaut-Petiteau et Jeanne Vallet de Villeneuve
Sélection Cannes Écrans Juniors 2022 (25 séances visibles à l’Alexandre III et au Raimu à Cannes jusqu’au 24 mai)
- Anatolia de Ferit Karahan – Roumanie, Turquie
- Libre Garance ! de Lisa Diaz – France
- Comedy Queen de Sanna Lenken – Suède
- Flee de Jonas Poher Rasmusseni – Danemark, France, Suède, Norvège
- Les Goûts et les couleurs de Michel Leclerc – France
- Kokon de Leonie Krippendorff – Allemagne
- Les Secrets de mon père de Véra Belmont – France, Belgique
- Wild Men de Thomas Daneskov – Danemark