Giboulées et grand froid : l’hiver se sent chez lui et le printemps peine à s’annoncer, dans le Morbihan comme ailleurs. Le cinéma semble avoir répondu aux provocations d’un bouleversement climatique très médiatisé en lui renvoyant une riposte bien frappée et qui offre un abri au quidam frigorifié : deux festivals et deux programmations, pour défier les frimas, ravir les yeux et échauffer les esprits : Pêcheurs du monde à Lorient (du 19 au 24 mars) et Les Rencontres du cinéma européen à Vannes (du 20 au 26 mars).
Vannes/Lorient : deux cités-phares du Morbihan et deux rendez-vous croisés pour chasser le cinéma sous des latitudes opposées. Si ces festivals n’ont pas le même âge – 5ème édition pour Lorient, 12ème à Vannes – et ne bénéficient pas d’une même visibilité, ils ont en commun une ouverture à la création internationale (plus spécifiquement européenne pour Vannes) et une volonté marquée de provoquer la rencontre et d’accompagner l’échange : le désir d’en débattre. Le cinéphage déplorera qu’ils se déroulent à peu près aux mêmes dates, il leur reconnaîtra le bon goût de ne pas mélanger les genres.
À Lorient, la ligne éditoriale est clairement définie : la pêche, la mer en images et l’homme dans tout ça. À Vannes, c’est l’éclectisme qui prime : le festival accueille le documentaire et des courts-métrages – tous azimuts – pour deux programmations compétitives, auxquelles il adjoint un florilège d’œuvres patrimoniales et contemporaines issues d’un pays d’élection, l’Espagne cette année.
Outre un intérêt cinéphilique, subjectif, pour toute proposition cinématographique un peu pointue et affirmée, la rencontre dans le temps de ces deux événements dans une même sphère géographique a piqué ma curiosité et l’a dirigée sur les sentiers de la territorialité de ces initiatives : pourquoi Vannes ou Lorient, comment la Bretagne, pour qui le printemps ?…
Dans le cas de Pêcheurs du monde, l’orientation est immédiatement perceptible et d’abord maritime. Le cahier des charges du festival et son identification par les collectivités territoriales qui lui apportent leur soutien inscrivent l’événement dans une action intrinsèquement liée au monde de la pêche. Alain Le Sann, président de l’association à l’origine de la création du festival, est membre du collectif Pêche et Développement, et de l’ICSF (International Collective in Support of Fishworkers). Le festival est d’abord né de son désir de donner un regain de visibilité au monde des pêcheurs, et de la nécessité d’alimenter un débat à partir d’une production audiovisuelle parfois sujette à polémique, prêtant toujours à discussion. L’intervention de professionnels de l’audiovisuel ou de spécialistes profite à ces deux mondes qu’il fait se rencontrer : la pêche et le cinéma.
Lorient s’impose dès lors comme le lieu de cette rencontre. Sur un plan économico-politique, le port subit les mutations de la modernité qui mettent son activité en danger. Sur le plan de la cohésion sociale, les Lorientais n’ont souvent plus de lien direct avec ses activités, familial ou social, et vivent une vie à rebours du temps de la pêche, nuit contre jour. Faire sens, donner accès à des informations qui varient dans leur contenu et dans leur forme, susciter le débat et provoquer l’engagement, ce sont les objectifs que le festival se donne et ce qu’il entend transmettre à un public concerné à différents degrés, parfois – et très opportunément – a posteriori. Sélections, invités, publics : une trinité que cimente une proposition culturelle comprise au sens large. La spécificité du festival est certainement d’amener des personnes et des mondes à communiquer, réagir et regarder leur environnement – régional et planétaire – autrement.
Priorité à l’éducation à l’image
L’ancrage territorial se juge à l’aune des actions menées en direction d’un public local ou voisin, profane et professionnel. Pêcheurs du monde investit un lycée et une salle de projection unique. Se déroulant volontairement hors des vacances scolaires, le festival entend faire participer à différents niveaux les lycéens et les étudiants : journal audiovisuel quotidien ou papier, supports de communication, activités pédagogiques organisées par les enseignants. L’éducation à l’image devient là comme ailleurs un point d’orgue de l’événement.
Une table ronde professionnelle, accessible au public et ayant pour thème cette année »Faire vivre un documentaire », propose de questionner la production et la diffusion des films à partir de témoignages de réalisateurs, les problématiques soulevées étant destinées à être débattues : autre ancrage, élargi cette fois aux règles et aux – dures – réalités de l’audiovisuel.
Les Rencontres du cinéma européen de Vannes constituent un rendez-vous cinématographique plus classique à tout point de vue : compétition, panorama, événements ciblés et dans l’air du temps (ciné-concerts ou productions amateurs de vidéos en partenariat avec l’Echonova*). Les écumeurs de festivals ne seront pas dépaysés, le parcours est jalonné de compétitions, de focus et d’ateliers, agrémenté de rencontres pédagogiques, de présentations et d’interventions de professionnels à destination des différents publics, toujours organisées dans une optique d’éducation à l’image. Cinécran, qui coordonne ce festival, tient à cette diversité des propositions, et aux rencontres qui les dynamisent et créent un lien culturel axé sur la mixité. La vitalité de la production bretonne y trouve une visibilité : cette année, Vivement lundi !, Paris-Brest Productions et JPL Films ont chacun un court-métrage sélectionné.
Ce qui distingue ces rencontres et l’association qui les fait vibrer, ce sont surtout les actions culturelles et pédagogiques, très nombreuses, à destination de publics variés, menées tout au long de l’année. Le concept de mission peut en l’occurrence être mangé à toutes les sauces, toujours relevées.
Le in et le off vivent au rythme des saisons, des publics et des partenariats. Outre ce moment fort des Rencontres, Cinécran est coordinateur départemental du Mois du film documentaire (novembre) et fête chaque année l’animation (octobre), notamment en organisant des ateliers d’initiation à destination des petits (8-12 ans). L’association organise les projections accompagnées, et force les collaborations dans toute l’agglomération, sous des formes variées : salles de cinéma, médiathèques, collèges, lycées, universités, maisons de quartier, Echonova, maison d’arrêt, Photo de mer et Jazz à Vannes … Un professionnalisme et une présence devenue incontournable dans le département, qui servent autant le milieu culturel proprement audiovisuel que les structures éducatives de l’agglomération vannetaise.
Le printemps, c’est en mars, c’est pour tous, et c’est dans le Morbihan… exclusivement !
Gaell B. Lerays
* L’Echonova est le lieu des musiques actuelles de Vannes-Agglo