Les bureaux du Scottish Documentary Institute se trouvent au cœur de la prestigieuse école d’art d’Edimbourg, située sur les hauteurs de la vieille ville. Entretien avec Flore Cosquer qui y coordonne des projets, parmi lesquels le programme Bridging the Gap, une formation-laboratoire. Cette initiative très originale souffle cette année ses dix bougies. Et le festival Travelling qui aura lieu du 19 au 26 février fêtera, lui, sa 24ème édition.
– Quand a été créé le Scottish Documentary Institute et quelles sont ses missions ?
– Flore Cosquer : cet institut indépendant a été fondé en 2004 par la réalisatrice et productrice Noé Mendelle. Nous produisons, distribuons, formons et faisons la promotion du documentaire, sous toutes ses formes. Notre principale source de subvention provient de Creative Scotland (organisme publique écossais qui finance les arts, le cinéma et les industries de la création, ndlr), mais nous travaillons également avec d’autres partenaires : diffuseurs, fondations ou bien encore investisseurs privés. Comme partout ailleurs en Europe, la situation économique du documentaire est difficile en Ecosse et nous devons être très inventifs afin de trouver de nouveaux partenaires financiers pour chaque projet.
– Le cinéma documentaire tenait-il déjà une place particulière en Ecosse ?
– F.C. : oui, grâce à la personnalité d’un homme : John Grierson (1). Ce réalisateur et producteur a été le premier à développer une politique du cinéma documentaire dans les années trente. Il a créé des unités de production et stimulé une écriture documentaire originale. S’ajoute à cela la situation particulière de l’Ecosse. Elle fait partie de la Grande-Bretagne mais a des tendances indépendantistes ! Dans les années cinquante, un fonds de production de films destiné à assurer la promotion des qualités sociales, culturelles et industrielles de l’Ecosse a vu le jour. 150 films documentaires y ont été réalisés dont le premier film écossais à obtenir un Oscar, Seawards the Great Ships (2). Il y a donc toujours eu ici une scène documentaire, elle est simplement devenue un peu plus visible ces dernières années. Le gouvernement a compris que le documentaire avait un potentiel international.
– Que propose le programme Bridging the Gap ?
– F.C. : dès sa création, l’objectif principal de l’institut a été d’aider les jeunes talents à éclore. Bridging the Gap leur propose une formation intense et très pratique. Chaque année, nous lançons un appel à projets ouvert aux réalisateurs ayant déjà tourné au moins un court métrage. Qu’importe leur nationalité, il suffit qu’ils résident en Ecosse. A chaque nouvelle édition, nous imposons un thème, suffisamment large afin de ne pas limiter la créativité des participants mais qui permettra par la suite de distribuer les films réalisés sur un même DVD, dans une compilation cohérente. Les candidats nous envoient un CV, un synopsis et un traitement de deux pages.
– Deux pages, c’est peu ?
– F.C. : cela peut vous sembler très peu, mais en Grande-Bretagne, un traitement, c’est cinq pages maximum. En France, les institutions demandent des dossiers bien plus épais. Le système français a un avantage : celui de donner la possibilité aux auteurs de beaucoup travailler la phase d’écriture. Mais cela donne souvent des dossiers bien trop longs et souvent beaucoup de remplissage…
– Comment se déroule la formation ?
– F.C. : nous présélectionnons entre 10 et 14 projets. La formation dure 6 mois et comprend 3 ateliers de 2 jours chacun et la réalisation d’un film de 10 minutes. Le premier atelier aide les participants à développer leur idée de documentaire. Ils présentent leur projet au groupe, le discutent, l’affinent avec l’aide de professionnels. Le second atelier leur apprend à pitcher et à réaliser un trailer de trois minutes. Quand vous débutez et devez convaincre un chargé de programme, le trailer est le seul moyen de montrer la forme que vous voulez donner au film et de rassurer vos partenaires potentiels. Ensuite chaque participant présente son projet devant un jury de professionnels, constitué de Creative Scotland qui finance en partie Bridging the Gap, des TV partenaires et de réalisateurs ou producteurs. Ce jury sélectionne les documentaires qui seront réalisés. Cette année, quatre projets sur les onze présélectionnés seront choisis.
– Que se passe-t-il après le choix des candidats ?
– F.C. : il y a un troisième rendez-vous où tous les participants sont invités, mêmes ceux non retenus. C’est un atelier axé sur la réalisation, mené par des documentaristes européens très confirmés. Nous essayons d’être le plus international possible en invitant des personnalités de la scène européenne mais aussi mondiale : Nicolas Philibert ou Vadim Jendreykoon qui a réalisé La femme aux 5 éléphants, par exemple. Nous choisissons toujours des cinéastes exigeants qui questionnent la forme documentaire. Il est important que les jeunes réalisateurs prennent plaisir à travailler la matière documentaire et qu’ils développent un sens de la réalisation. Nous ne sommes pas là pour formater les films. C’est probablement une occasion unique dans leur carrière ! Une fois les ateliers terminés, les quatre films sont réalisés et montés selon des standards professionnels : travail avec des techniciens rémunérés, collaboration avec un producteur indépendant et des producteurs exécutifs issus de l’institut et distribution.
– Quel budget ont-ils pour réaliser leur film ?
– F.C. : pour chaque film, le budget est de 8000 pounds, soit l’équivalent de 10 000 euros en cash, et 8000 pounds en nature, ce qui couvre la distribution, gérée par notre équipe. 8000 pounds, cela leur apprend à savoir ce qu’il faut sacrifier ou privilégier. Certains vont choisir de tourner à l’étranger et de faire eux-mêmes le cadre, d’autres de tourner en Ecosse avec une équipe payée.
– Quel est le bilan de cette formation ?
– F.C. : en 10 ans, Bridging the Gap a permis la réalisation de près de 50 courts métrages documentaires. Beaucoup de ces films ont été sélectionnés dans les plus grands festivals européens et internationaux : Sundance, Cannes, HotDocs, Full Frame, IDFA, Cinéma du Réel, Vision du Réel, Dok Leipzig entre autres, et ont été montrés dans plus de 45 pays. Cette année, The Perfect Fit, l’un des films produits dans le cadre de Bridging the Gap en 2011, a été l’un des 8 films présélectionné pour l’Oscar du court métrage documentaire. Certains films ont été achetés par des TV internationales. Canal Plus a ainsi récemment fait l’acquisition de Twinset (3).
– La BBC Scotland s’est retirée du projet. Pourquoi ?
– F.C. : la BBC Scotland, qui a été longtemps partenaire de Bridging the Gap, a décidé de nous soutenir sur un format de 30 minutes, plus adapté à sa grille de programme que des courts métrages de 10 minutes. Nous avons donc mis en place l’année dernière un programme intitulé Bridging the Gap Plus, permettant à des réalisateurs plus expérimentés de réaliser un film pour la BBC Scotland sur un sujet écossais ou en rapport avec l’Ecosse. Les deux premiers films seront diffusés à l’automne 2013.
– Quels sont les projets de l’institut pour 2013 ?
– F.C. : des formations, des master classes gratuites ouvertes à tous, des ateliers en collaboration avec le British Council dans différents pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, la distribution de trois longs métrages produits par l’Institut ces derniers mois ainsi que le développement et la production de quatre autres longs métrages !
Propos recueillis par Mirabelle Fréville
(1) Grierson, le précurseur, à voir un programme regroupant quelques très belles productions. Projections le jeudi 21 à 16 h 30 au Gaumont et le 25 à 16 h à l’Arvor.
(2) Seawards the Great Ships sera projeté le 22 à 16 h et le 25 à 18 h au Gaumont, avant des Moutons et des Monstres du Breton Greg Nieuwarts.
(3) A noter aussi un programme regroupant plusieurs courts documentaires (dont Twinset) produits dans le cadre de Bridging the Gap projeté le 22 à 16 h et le 26 à 18 h à l’Arvor ainsi qu’un autre programme »The new ten commandments », le 21 à 20 h 30 et le 24 à 16 h 30 à l’Arvor.
Photo : Flore Cosquer au Scottish Documentary Institute