La remise des Etoiles a eu lieu le 21 juin au matin à La Rochelle, à l’occasion du Sunny Side of the Doc 2022* : Mélanie Schaan et Corentin Leconte, pour Akeji, le souffle de la montagne (coproduction Mille Une films / ProArti), et Madeleine Leroyer, Tim Toidze et Léo Régeard pour 1996, Hold-up à Moscou (coproduction Point du Jour / Les Films du Balibari, ARTE France, RTS) sont les heureux lauréats d’une Étoile de la Scam 2022 !
Voilà une belle occasion de revenir sur ces films et de dire tout le bien qu’on en pense.
Voilà, par ailleurs, une belle occasion d’aller à la rencontre d’une auteure rennaise qui n’a pas froid aux yeux, et de revenir sur son parcours. Voilà, enfin, une belle occasion de revenir sur la remise des Etoiles et l’intervention impromptue de Zouhair Chebbale, auteur/réalisateur de Strasbourg…
Parce que les talents des quatre coins de France, ainsi que toutes les régions, jouent un rôle primordial dans la création documentaire !
*les 30 films étoilés cette année seront projetés au festival Vrai de Vrai du 4 au 6 novembre 2022 au Forum des images
Les films
Akeji, le souffle de la montagne
de Mélanie Schaan et Corentin Leconte
Maître Akeji est un peintre renommé dont les toiles sont collectionnées dans le monde entier. Descendant d’une lignée de samouraïs, Akeji a été initié à la Voie du thé, du sabre et de la calligraphie. Asako et lui ont fait le choix de vivre à l’écart du monde, dans un ermitage au toit d’herbe. Saison après saison, Asako cueille des végétaux qu’elle transforme en pigments, Akeji prie et s’adonne à la création. Le cycle de la nature semble immuable. Pourtant, le temps se fissure et le monde moderne ressurgit…
Un film produit par Mille et Une Films en coproduction avec ProArti avec le soutien de la Région Bretagne, de la Procirep-Angoa et du CNC • Diffusion : France Télévisions – 25 nuances de doc, TV Rennes 35
Le film produit par la société rennaise .Mille et Une. Films connait déjà un franc succès : sélectionné dans de nombreux festival (FIPADOC – Compétition française, Doc Aviv, les Rencontres documentaires de Mellionnec, États Généraux de Lussas 2021, Ecrans documentaires d’Arcueil, Traces de vies), il reçoit le Prix du meilleur essai du 39e FIFA de Montréal en mars 2021.
1996, Hold-up à Moscou
de Madeleine Leroyer, coécrit avec Tim B. Toidze et Léo Régeard
En 1996, Boris Eltsine, malade et détesté, brigue un second mandat à la présidence de la Fédération de Russie. Face à lui, un candidat communiste, Guennadi Ziouganov, porté aux nues par les oubliés de la transition post-soviétique. Crédité en début de course d’à peine 3 % des intentions de vote, Eltsine parvient pourtant contre toute attente à se faire réélire avec près de 54 % des voix. Comment a-t-il pu gagner cette bataille que tous pensaient perdue d’avance ?
Pour l’emporter, Eltsine s’est engagé dans une campagne impitoyable au budget abyssal, dans laquelle le Kremlin, les médias, les hommes d’affaires russes et les puissances occidentales ont uni leurs forces pour que la Russie « ne retourne pas en URSS ». De pactes incongrus en escroqueries à grande échelle, ici avouées sans ambages, ce film de Madeleine Leroyer scille entre film noir et tragi-comédie shakespearienne. Archives rares, animations et témoignages, notamment de Tatiana Diatchenko, fille et conseillère d’Eltsine, de l’ancien vice-Premier ministre Anatoli Tchoubaïs de l’oligarque déchu Sergueï Pougatchev ou encore de l’ancien président du FMI, Michel Camdessus, nous entraînent dans les coulisses ahurissantes d’un moment crucial qui a scellé le destin de la Russie et, par ricochet, celui du monde.
Un film produit par Point du jour-Les Films du Balibari (Paris-Nantes) en coproduction avec ARTE France, RTS – Télévision Suisse • Création graphique : Vivement Lundi! / Studio Personne n’est parfait • Diffusion : RTS, Arte
Parcours d'auteur·es : entretien avec Madeleine Leroyer
La documentariste Madeleine Leroyer, membre du collège des auteur·es de Films en Bretagne, et administratrice de l’Arbre (association des auteurs-réalisateurs en Bretagne) prépare son prochain film dans le cadre d’une coproduction Little Big Story / Vivement Lundi !, Je ne crois pas aux monstres un projet lauréat de la 2e session Bourse Brouillon d’un Rêve 2022.
Tu es lauréate d’une Étoile de la Scam 2022 pour un film enquête palpitant produit pour Arte… Peux-tu revenir brièvement sur ton parcours et nous dire ce que représente cette distinction dans ce parcours d’auteure ?
Hold-up à Moscou dormait dans les cartons de Tim Toidze, le co-auteur du film, et Luc Martin-Gousset, le producteur, qui m’ont fait confiance pour reprendre l’écriture et réaliser cette formidable histoire de brigands, qui ferait rire si elle n’était pas si tragique. Le film est venu lier deux pages de ma vie : mes années de journaliste pigiste à Moscou, de 2008 à 2014, et mon apprentissage du métier de documentariste, commencé en 2015 avec l’écriture de Numéro 387.
Hold-up mêle archives, parole et animation – une matière bien différente de celle que j’avais travaillée jusque-là. Je me suis régalée ! L’étoile de la Scam vient peut-être de cela : plaisir de l’équipe et plaisir des spectateurs, qui découvrent un film à la fois exigeant et palpitant. Je suis fière et heureuse de la partager avec Tim Toidze, que la guerre russe en Ukraine a coupé en plein élan et qui s’est réfugié en Géorgie, et avec Léo Régeard, auteur graphique breton, qui a su si bien incarner l’esprit jubilatoire et grinçant du film.
Qu’il s’agisse de N°387, de Hold Up ou du film que tu prépares, il semblerait que tu aies un certain goût pour les grandes histoires, mais également pour des projets au long cours, les aventures humaines… y compris à l’international. Peux-tu nous parler de ce qui te décide à t’engager dans ces aventures ?
En commençant il y a 7 ans le travail sur Numéro 387, je n’avais strictement aucune idée de l’écosystème dans lequel je mettais les pieds. J’ai fait confiance à Valérie Montmartin, à son ambition pour Numéro 387. C’est elle qui a vu le film en grand, et je l’en remercie. À ses côtés, j’ai compris que les co-productions et les pré-achats à l’international sont la condition de financement des films ambitieux. C’est une stratégie de petit poucet, de pitch en pitch, qui suppose un très gros effort de développement. Se frotter aux « marchés » peut sembler intimidant, mais je tiens à dire que c’est très structurant, et très… rafraichissant ! Il y a dans ces « festivals-marchés » moins de chapelles qu’en France. Personne ne s’inquiète de mon passé de journaliste. La proposition prime. Dans la même logique, ça ne pose pas de problème de « faire un film pour la télé » puisque précisément, les diffuseurs permettent, en pré-achetant des versions 52’, de financer le « feature length » qui pourra vivre en festivals.
Question liminaire… Tu travailles entre Rennes, Paris et d’autres régions, en veillant à t’entourer au mieux pour travailler dans le temps long. Qu’est-ce qui préside au choix de tes collaborateur·trices de création ? Comment ces rencontres sont-elles déterminantes (ou pas) dans ton parcours d’auteure ?
Pour Numéro 387, j’ai monté à Paris avec une chef monteuse chevronnée, Tania Goldenberg, qui avait déjà monté plusieurs films produits par Little Big Story. Il fallait quelqu’un de très solide pour accoucher ce premier film. Je lui dois énormément. Pour Hold-up, j’ai monté entre Rennes et Brest, avec Nico Peltier, un monteur plus jeune, choisi notamment pour sa connaissance du russe. Je pense que nous pouvons dire l’un et l’autre que nous avons beaucoup appris sur ce film. J’aime cette idée de grandir ensemble dans le métier. Même chose avec Léo Régeard, l’auteur graphique, ou Pablo Salaun, au montage son. L’un des films que je développe en ce moment sera en grande partie animé et j’espère que la réalisatrice Violette Delvoye pourra rejoindre l’aventure. Les talents ne manquent pas ! L’enjeu est de trouver les moyens de nous inscrire dans le temps long, donc de voir éclore en région des productions importantes, bien accompagnées, de l’écriture à la post production pour nous permettre de vivre correctement et de progresser, toutes et tous ensemble.
entretien épistolaire réalisé en juillet 2022 par Franck Vialle, directeur de Films en Bretagne
voir ou revoir Numéro 397, c’est ICI
Retour sur la remise des Etoiles
À l’occasion de la remise des Étoiles, la Scam a édité un fascicule qui, tout en présentant l’intégralité du palmarès, en analyse les tendances…
Commençons par la représentation paritaire des œuvres, sur les 42 auteurs et autrices primées, les femmes représentent 36%, contre 44% un an plus tôt… Une tendance pas forcément réjouissante, donc !
Concernant les diffuseurs, ces Étoiles 2022 confirme la suprématie d’Arte dans le palmarès, la chaîne européenne étant au générique de 14 des 30 Étoiles (contre 10 en 2021). Le groupe France Télévisions, autre partenaire essentiel du documentaire, est crédité 12 fois (contre 13 en 2021).
Les chaînes étrangères francophones doublent leur présence au palmarès (13 cette année contre 7 l’an passé) et particulièrement la RTBF qui multiplie par 4 son nombre de films étoilés. Avec 9 Étoiles, les chaînes locales du câble restent un maillon fort de la création documentaire et de la vitalité du genre en région. En revanche, les plateformes en ligne baissent de plus de 50% dans ce palmarès (3 Étoiles contre 8 en 2021). Cette année, Tënk n’obtient qu’une seule Étoile (5 l’an dernier). Notons, pour la première fois, la présence de YouTube dans ce palmarès.
Parmi les 27 Étoiles qui ont bénéficié d’une diffusion télévisuelle, 90% des œuvres ont été diffusées entre 20 heures et minuit. 10% ont été diffusées la nuit.
Elément de contexte et d’analyse qui ne figure pas dans le fascicule de la Scam, mais qui mérite qu’on s’y attarde : les régions. Elles sont, au titre de leurs auteur·es, producteur·trices, diffuseurs ou l’intervention de leur fonds de soutien, au générique de quelque 19 films sur 30… Les régions jouent un rôle crucial dans la production documentaire hexagonale, qualitativement et quantitativement ! Une chose qu’a tenu à rappeler Zouhair Chebbale, ancien étoilé de la Scam, lors de la matinée des Étoiles à La Rochelle…
Auteur-réalisateur de documentaires depuis 20 ans, Zouhair Chebbale est également membre actif du conseil d’administration de la Safire, la société des auteurs indépendants de films en région Est, et jusqu’à l’an dernier commissaire au sein de la commission audiovisuelle de la SCAM. Dans ces 2 instances, régionale et nationale, son objectif principal a toujours été clair : faire entendre la voix des auteurs-réalisateurs des régions auprès des partenaires, qu’ils soient producteurs, diffuseurs ou financeurs.
« Je ne suis pas producteur mais à force, j’ai compris un peu comment ça marche : Lorsqu’une chaine de télévision accepte de co-produire un documentaire, elle a l’obligation d’apporter 25% du budget du film. Cette participation peut se faire en numéraire ou alors se présenter sous la forme d’un mix « numéraire / industrie ». Faire des films avec des chaînes nationales est souvent synonyme de budgets confortables avec un apport en numéraire conséquent. C’est moins le cas pour des films produits en régions qui, généralement, ne reçoivent des chaînes locales que l’apport minimum en cash imposé par le CNC, préférant privilégier un apport en industrie (très souvent de la post production). L’apport en numéraire est alors de 10 400 euros pour un 52 mn… c’est en moyenne 10 fois moins que ce que peut donner une chaîne nationale pour la même durée de film !
Même si l’apport en industrie est appréciable, il ne permet évidemment pas de financer le film, payer par exemple les salaires. C’est là où les régions sont primordiales : les producteurs ont la possibilité de solliciter des aides sélectives à la production au niveau local (collectivités territoriales, régions…). Ces aides sont du cash, de l’argent frais, qui permet au film de voir le jour, de pouvoir exister. En résumé, sans les régions et certaines collectivités territoriales (je pense à l’Eurométropole de Strasbourg par exemple), pas de création documentaires possibles en région !
Je réalise essentiellement des films diffusés sur France 3 Grand Est. Il m’est arrivé de faire des documentaires pour ce qu’on appelle dans ma région le RTGE, un réseau de télévisions locales associées dans un COM (un contrat d’objectifs et de moyens). Sa fonction est de stimuler la production audiovisuelle régionale (car FTV ne peut pas tout faire), soutenir la filière professionnelle locale (auteurs, producteurs et techniciens, entre autres), mais surtout permettre à des films « fragiles et aux regards singuliers » de se faire. On a donc sur l’échiquier local, deux acteurs qui nous permettent de faire nos films, de maintenir vivant le système de production en région. Mais cet équilibre est aujourd’hui fragilisé, voire menacé. On a d’un côté FTV qui, même si pour l’instant et heureusement continue de soutenir nos projets, ne sait pas ce qu’il en sera demain devant la menace de la suppression de la redevance publique audiovisuelle.
Quant au COM, bien qu’ardemment soutenu et financé par la région, il reste tributaire du bon vouloir des chaînes locales privées à participer ou non à ce système. Devant toutes ces incertitudes, il est difficile de se projeter à long terme, surtout pour des jeunes auteurs en voie de professionnalisation. Je pense qu’une partie de la solution viendra de la coproduction avec les plateformes. Elles semblent vouloir investir le créneau du documentaire, à l’image de Noozy dans le Grand Est qui croit en ce genre audiovisuel. La question reste toujours la même : Quels seront les moyens investis ? Aujourd’hui, un auteur-réalisateur, s’il veut vivre de son métier en région, ne doit plus hésiter à porter plusieurs casquettes. En plus de la réalisation, il doit savoir être opérateur image, monteur… arriver à cumuler les postes pour survivre. C’est le choix que j’ai fait… depuis 20 ans ! »
entretien épistolaire réalisé en juillet 2022 par Franck Vialle, directeur de Films en Bretagne