Mehdi Ouahab est auteur et scénariste-consultant au Groupe Ouest. Quelques jours après le workshop dédié à l’écriture de concepts de série, organisé par la structure avec l’unité fiction d’Arte France et auquel il a participé, Mehdi revient sur son parcours, le regard qu’il porte sur son métier ainsi que ses projets.
Deux affiches de films ornent les murs de ton bureau : New York 1997 de John Carpenter et La Ligne rouge de Terrence Malick. Est-ce la cinéphilie qui t’a mené vers l’écriture ?
Il y a des affiches partout chez moi : Coppola, Tarkovski, Hitchcock, les frères Coen… Être scénariste est ma principale activité mais c’est la mise en scène qui m’a toujours intéressé, et ma cinéphilie, qui s’est au départ constituée essentiellement par l’intermédiaire de la télévision, en a effectivement été le moteur. Je n’ai pas fait d’école de cinéma mais des études d’informatique, avec l’idée plutôt vague de raccorder ensuite sur les effets spéciaux, tout en réalisant des courts métrages en Super 8, en fréquentant assidument l’Arvor et le TNB à Rennes et en faisant des chroniques cinéma sur Canal B.
Mais je me suis finalement orienté vers la production, notamment au sein de Vivement Lundi, ce qui m’a permis de faire de l’assistanat production et réalisation ainsi que du montage, puis de réaliser un court métrage documentaire axé sur le travail du dessinateur Emmanuel Lepage, Volvera, retour à Managua. J’ai ensuite rencontré une agente de scénaristes qui m’a incité à déployer mon imaginaire – la science-fiction, l’anticipation, le fantastique, la fantaisie – qui ne correspondait pas encore au marché de l’époque. L’un de mes projets a néanmoins séduit Canal + et j’ai ainsi pu écrire et réaliser Catch moi, une minisérie se déroulant dans le monde du catch amateur, ce qui m’a mis le pied à l’étrier de la fiction télé.
Tu résides en province, en l’occurrence à Rennes. Être auteur tout en étant basé hors de Paris complique-t-il l’organisation de ton travail ?
Je suis originaire de Rennes, j’y ai vécu mon adolescence, y ai fait le début de mes études et y ai commencé ma carrière. Puis je suis parti à Paris, où j’ai vécu et travaillé quelques années, constitué mon réseau, rencontré les personnes avec lesquelles je travaille aujourd’hui régulièrement. Et j’ai eu ensuite le luxe de pouvoir revenir m’installer à Rennes pour avoir un cadre de vie différent et pour écrire dans un environnement autre. C’était possible car j’étais engagé j’étais sur des projets pour lesquels j’étais assez autonome, je pouvais travailler à distance avec les producteurs. C’est plus problématique pour des ateliers d’écriture ponctuels qui impliquent que tout le monde soit réuni dans une pièce pour écrire. Je passe en moyenne deux ou trois jours à Paris tous les dix jours, pour un temps de réunions et de rencontres.
Ton travail articule justement des moments d’écriture solitaire et de constructions collectives de projets. Comment composes-tu avec ces deux formes de création ?
J’aime vivre des temps d’écriture solitaires mais c’est le travail collectif qui me passionne, notamment pour l’écriture sérielle, à la fois pour l’efficacité des projets mais aussi pour sa santé mentale car il est indispensable d’échanger régulièrement. Pour caricaturer, il existe deux types de scénaristes : des personnes plutôt introverties, littéraires, d’autres à l’ego très affirmé, extraverties et loquaces, mais au fond ces deux profils coexistent au sein d’un même auteur. J’observe peu de conflits en salles d’écriture du fait de personnes faisant d’une idée un casus belli, d’abord parce que les scénaristes sont de mieux en mieux formés, notamment en étant confrontés à des retours très abrupts de groupes sur leurs projets, mais aussi car ce métier tient à la fois de l’art et de l’artisanat et qu’à cet égard il est nécessaire d’être au clair sur son positionnement pour chaque projet. Je fais ainsi beaucoup de commandes, parfois pour des interventions très ponctuelles, et je fais dans ce cas confiance à la personne qui dirige l’écriture et pour laquelle un scénariste va devoir entrer dans le ton et l’univers du projet.
Comment s’est déroulé le récent workshop dédié à l’écriture de concepts de série du Groupe Ouest avec l’unité fiction d’Arte France, que tu as suivi ?
J’avais participé au Groupe Ouest en tant que consultant et le fait d’encadrer les auteurs m’avait beaucoup aisé en tant que scénariste, notamment du fait d’un travail ramassé dans le temps et donc très intense, mais aussi car dans ce contexte la hiérarchie s’efface : il s’agit d’aider les personnes à développer librement leurs idées. En juin et juillet, pendant ce workshop, j’ai aimé voir mes idées retravaillées par le groupe, me confronter au collectif, dans une certaine oralité plutôt que sur de l’écriture. La première semaine, nous étions dans l’échange, la discussion, le travail avec de la documentation visuelle, c’était libérateur. Il s’agissait d’être face à d’autres méthodes, d’autres personnalités et cultures, et dans ce cadre, Français et Danois ont très vite parlé le même langage. Quand on est scénariste, ce que les gens voient de nous ne correspond pas nécessairement à notre intériorité ou à la complexité de notre travail. Beaucoup ont des projets originaux mais le nombre de créneaux chez les diffuseurs traditionnels ou les plateformes est limité, donc peu de projets aboutissent. Il existe donc une précarité certes financière mais aussi symbolique et en termes de projection : même si je n’ai pas de problèmes pour trouver du travail, il est compliqué de savoir exactement où je serai dans six mois. Souvent des projets s’effondrent au dernier moment et il faut rebondir. C’est en cela que le Groupe Ouest est très intéressant : des profils de scénaristes plus ou moins expérimentés se mêlent, ce qui permet de réfléchir ensemble aux moyens de ne pas souffrir trop longtemps de l’insatisfaction que l’on peut porter en faisant ce métier.
Tu travailles actuellement sur un projet de long métrage. Que peux-tu en dire ?
C’est un projet en développement depuis deux ans maintenant, chez Agat Films. Il s’agit d’un film d’été, sur l’adolescence, qui traite de la question de l’intégration et de l’immigration, de la manière de vivre en étant différent en zone rurale ou périurbaine dans la France des années 1990. Ce n’est pas autobiographique même si ça emprunte des éléments personnels. C’est un sujet qui m’intéresse et me tient à cœur.
Entretien réalisé par Nicolas Thévenin • juillet 2021