La 24e édition du Festival du Film Britannique de Dinard s’achevait le 6 octobre dernier. Les traditionnels hommages, compétitions et avant-premières ont permis à un public cosmopolite de goûter la crème du cinéma contemporain d’Outre-Manche, un programme augmenté cette année d’une sélection encore plus volontariste de productions audiovisuelles : pilotes de série et films télévisuels. En complément de ces projections TV made in UK, l’organisation du festival proposait à des producteurs français et anglais de se rencontrer et de discuter coproduction ensemble et en public.
La vocation d’un festival de cinéma compétitif est de dénicher de nouveaux talents et de partager ses découvertes avec le public, de favoriser les échanges, de confronter ses intuitions à la réalité des salles et à la sentence du ou des jurys. Elle est d’envisager l’avenir en étant force de proposition et, pourquoi pas, de révolution. Le Festival du film britannique profite de sa localisation – Dinard, anglophile –et de ce qui le fonde – le cinéma britannique – pour ouvrir son champ à l’audiovisuel en Grande-Bretagne, dont on sait le rôle qu’il a joué dans la recherche cinématographique et dans l’émergence de maîtres es cinéma. Qu’un festival de cinéma s’intéresse à la télévision hors des rétrospectives n’est déjà pas banal et mérite en soi qu’on s’y attarde. Le festival ne s’arrête pas là et proposait cette année une première table ronde entre producteurs français et anglais, afin de poser les bases d’une réflexion sur la coproduction en général et les possibles associations franco-britanniques en particulier. Un rendez-vous fait pour durer ?
Caroline Benjo, productrice chez Haut & Court, l’annonçait d’emblée : l’essor de la télévision en matière de production de films unitaires ou de séries marque « une nouvelle ère » dans le paysage cinématographique et audiovisuel international. Les comportements des spectateurs changent, l’offre et les voies qu’elle empreinte le doivent aussi. « Pendant 10 ans à Dinard, il y a eu une rencontre des coproducteurs de cinéma français et anglais. Tous les ans, on se disait qu’on avait très envie de travailler ensemble mais on n’y arrivait pas, sans savoir pourquoi. Tous les ans, le CNC et son équivalent anglais essayaient de trouver des solutions. Maintenant, la télévision rend possible ce qui a été si difficile à mettre en place durant des années. »
Pour ce qui est de la volonté de s’associer et des avantages artistiques qu’il y a à collaborer, rien ne saurait refroidir l’enthousiasme des participants à cette table ronde, qui s’accordent sur le fait qu’ils ont besoin du renfort les uns des autres. C’est du côté des financements et des systèmes propres à chaque pays en matière d’emploi et de politique sociale que le bât blesse, en particulier en France. À l’échelle européenne, Bruxelles a validé le renforcement du crédit d’impôts français (C2I) en juillet dernier, après l’avoir auparavant « retoqué, ce qui rendait incompatible l’optimisation des crédits d’impôts pour les deux pays dans le cadre d’une coproduction », confie Caroline Benjo à propos d’une expérience récente. La Grande-Bretagne, quant à elle, demeure toujours plus compétitive à ce sujet. Graham Benson, producteur britannique consultant pour le festival et modérateur de cette table ronde, a proposé à la fine équipe des producteurs présents de creuser le sujet afin « d’analyser les statuts actuels et de faire des propositions conjointes », c’est-à-dire d’envisager des actions concrètes pour faciliter les coproductions à venir entre la France et le Royaume-Uni.
En ce qui concerne les coproductions avec la France, David Parfitt, producteur de cinéma et plus récemment de télévision, se plaint des « contraintes imposées par la réglementation française », il précise que « le problème en France ne se situe pas au niveau des talents mais des lois : par exemple, on ne peut pas avoir des journées de travail aussi longues qu’en Grande-Bretagne ». Le producteur britannique vient de remporter un « assez grand succès avec Parade’s End, une heureuse coproduction avec la Belgique. Mais les coûts de production restent beaucoup plus élevés en France et en Belgique qu’en Grande-Bretagne ». A ce discours, il faut cependant opposer les récents aménagements des crédits d’impôts – augmentation des plafonds et élargissement de leur assiette – qui visent à renforcer la compétitivité française en matière de coproduction cinématographique et audiovisuelle et d’accueil de tournage.
Au-delà de cet exemple singulier, c’est cette problématique économique qui semble souvent, et malheureusement, primer sur le choix des coproductions, et notamment des coproductions « à rallonge » dont Pippa Cross, productrice anglaise, dit « qu’il semble plus s’agir d’un accord pour une transaction financière ou commerciale que de faire du cinéma ». S’il y a quelques années encore les conditions financières de production étaient plus avantageuses en France, le vent fiscal a tourné en faveur de la Grande-Bretagne. Cette situation britannique et « la croissance exponentielle » qui l’accompagne répondent, selon David Parfitt, à un « phénomène cyclique propre au secteur » et il convient de ne pas perdre de vue que « le marché va s’écrouler aussi vite qu’il s’est développé ».
D’autres pays en Europe influent sur les coproductions en proposant des conditions défiant toute concurrence. David Parfitt s’est vu dans l’obligation de tourner à Belfast plutôt qu’au Canada, à Londres, en France et en République d’Irlande ; Matthew Bird, producteur tv indépendant, dit tout envisager pour un prochain projet qui devrait se tourner entre les studios de Londres et les extérieurs islandais : « pour des questions de coût, il se peut tout à fait que le travail en studio se fasse en Hongrie ».
Chaque projet doit donc être considéré individuellement et aucune solution spécifique ne sera apportée lors de ces échanges. Pour ce qui est des financements dans la production tv, il existe de nouvelles règles plus ou moins tacites sur lesquelles Danielle Kadeyan, productrice et cofondatrice de la Sofica Sofitvciné, revient : « les budgets ont explosé en matière de fiction tv : il faut faire de la qualité pour entrer en concurrence avec les produits internationaux. Dans ce cas-là, la coproduction c’est la capacité pour deux ou trois producteurs dans leur pays respectif et en fonction de chaque législation d’emmener des chaînes de télé en partenaires. C’est ça le challenge. Ça existe depuis des années en animation et en docu-fiction. C’est en train de gagner la fiction traditionnelle. »
Caroline Benjo tient à souligner que le type de rencontre proposé cette année « est extrêmement créatif » et qu’il a déjà fait ses preuves à Dinard même en donnant « lieu à des projets télévisuels internationaux ». Haut & Court développe un projet (Pink Panthers) en coproduction avec Canal +, Sky Atlantic et Warp Films, société britannique rencontrée au festival il y a quelques années.
Tous rappellent enfin l’importance du projet initial, du concept. « Il faut une justification qui soit artistique avant d’être économique », dit Caroline Benjo. Danielle Kadeyan ajoute qu’elle vérifie toujours qu’il s’agit de « vraies coproductions » avant de chercher des investissements ; elle se demande systématiquement « dans quelle mesure il y a un vrai développement au départ – au niveau du script, du traitement, de la bible -, qui répond à deux marchés et aux demandes de deux broadcaster ».
Selon Graham Benson, Dinard pourrait se transformer en une « sorte de forum où producteurs et réalisateurs se rencontreraient, échangeraient, et, pourquoi pas, concluraient des accords. Ils décideraient ainsi de l’évolution à donner au marché pour l’avenir ». Un vœu pieux partagé par l’ensemble des participants, et qui pourrait déboucher sur un rendez-vous annuel, dont la forme n’est pas encore arrêtée mais qui pourrait prendre celle d’un séminaire. Dans cette attente, une réflexion de fond est engagée, qui ouvrira à n’en pas douter des perspectives en matière de coproductions franco-britanniques. En plus d’être un festival renommé, Dinard pourrait devenir ce « forum », et un marché.
Gaell B. Lerays
Photo en Une, copyright Gaell B. Lerays