Les bonnes nouvelles se font rares et depuis trop longtemps ! En cette aurore nouvelle que l’on veut croire d’un autre monde, et alors que l’on vient résolument d’enterrer 2020, il fait bon repérer les signes de réjouissance aussitôt qu’ils pointent à l’horizon, et encore meilleur s’y arrêter pour anticiper les plaisirs et décupler leurs effets.
La pré-sélection officielle des films éligibles aux César 2021 en comprend six avec lesquels la Bretagne a tout, ou beaucoup à voir. C’est en soi une reconnaissance qui a le goût de la victoire. Alors, prenons de l’avance et pamoisons !
Si ces dernières années les professionnels de la profession ont pu avoir la dent dure avec l’Académie, souvent jugée poussiéreuse, opaque et patriarcale – et avec raison, comme l’ont révélé avec éclat la cérémonie et ses suites en février dernier –, l’institution est en cours de restauration, et de féminisation. Nul doute que cela profitera à l’ambiance, et au métier tout entier. Toujours est-il que la statuette, elle, n’a jamais perdu son pouvoir d’attraction et de rayonnement. Et que la perspective de remporter quelque trophée a de quoi réjouir les six candidats sélectionnés – cinq films et une comédienne – ayant maille à partir avec la Bretagne.
Le nombre est en soi éloquent, mais il n’est pas seul à faire événement. Avec trois courts métrages d’animation en lices pour le César du Meilleur court métrage d’animation, un court métrage de fiction et un court métrage documentaire pour le César du Meilleur court métrage et une nomination dans les Révélations*, ce sont tous les formats, tous les genres, et toutes les disciplines de la filière1 qui se trouvent embarqués à bord de ce beau navire arborant pavillon breton !
Côté animation, pas moins de trois films, trois techniques et trois sociétés de production sont représentés, parmi les 12 sélectionnés. Vivement lundi ! (La Tête dans les orties, de Paul Cabon, un fidèle parmi les fidèles de la maison !) et JPL Films (Sororelle, de Louise Mercadier et Frédéric Even) ont déjà eu certains de leurs films en lices2, contrairement à À Perte de Vue, qui fait ses premiers pas avec grâce et panache dans ce cinéma-là (Têtard, de Jean-Claude Rozec). La valeur n’attend pas… et ils sont tous les trois des concurrents sérieux pour obtenir le graal.
Avec sa Tête dans les orties, Paul Cabon poursuit dans la veine d’un cinéma d’animation en 2D, et l’on y reconnaît les motifs d’un récit bien à lui : l’adolescence, la nature sens dessus dessous, la sensation de la vitesse, la transfiguration ou la métamorphose, le rite, le passage, ou la peur. L’utilisation de la couleur aussi, et ce trait, à la fois précis et recelant des possibilités d’altération infinies, qui semblent offrir à la réalité l’opportunité de révéler autre chose d’elle-même que ce pour quoi elle est donnée d’emblée. Il y a toujours quelque chose d’intrigant, et même d’inquiétant, dans ces aventures qui explosent en feux d’artifice chamarrés. Quelque chose qui échappe aux contours de nos imaginaires. Une signature qu’on est curieux de retrouver.
[Voir le film – jusqu’au 18 janvier- ICI]
Sororelle, c’est le premier film produit de deux réalisateurs autodidactes qui aiment jouer du volume avec une sobriété qui appelle l’inventivité. Trois sœurs aux visages d’icônes dont émanent à la fois douceur, humanité, et gravité, sont confrontées à une menace qui va les révéler, chacune à elle-même. Trois semblables dont l’animation révèle les différences, avec nuance. L’écriture des dialogues et leur interprétation jouent ici beaucoup dans l’adhésion du spectateur à cette sororité, lui permettant de prêter foi à l’invisible et de choisir lui-même un écho à sa voix intérieure, parmi les trois. Dans cette fable existentielle, le temps est suspendu à l’imminence de l’inconnu, l’inattendu nourrit l’attente et la béance de l’espace est un appel au vide. Une vacuité qui permet au récit, et aux personnages, d’accueillir l’essentiel.
[Voir le film et le making of ICI]
Quant à ce fort beau Têtard, il est comme une invitation à jouer les explorateurs. On pourrait dire de cette aventure que vivent ce petit garçon et sa sœur jalouse et médisante, qu’elle a tout à voir avec l’enfance et ses turbulences. Tout à voir avec la conjonction du monde le plus prosaïque avec l’imaginaire le plus hanté, à leur pouvoir d’influer, parfois avec la plus grande cruauté, sur la réalité. Le réalisateur rennais abandonne le dessin pour l’aquarelle, et joue avec les formes et les couleurs pour faire fondre les cadres familiaux et sociaux en volumes incertains et aux contours liquides. Nous voilà plongés dans un univers où, le pire et le meilleur, tout est possible. On lâche prise à la suite de ces personnages aux grands yeux, et l’on entre dans le bain avec eux : des histoires qu’on s’invente, le mal qu’on fait sans y penser, les regrets qui font grandir. La fin de l’innocence. La cruauté de l’enfance, et ses résonances.
Deux autres courts métrages produits par de jeunes sociétés de production installées en Bretagne sont également présélectionnés. C’est dire le dynamisme de notre territoire ! L’un est documentaire, mais il aime à brouiller les pistes et à fricoter avec la fiction et ses codes, à brûler les marques du temps et de la mémoire collective, semblant hésiter entre actualité et inactualité.
C’est L’Immeuble des braves, de Bojina Panayotova. Difficile de ne pas se laisser désorienter, difficile aussi de ne pas laisser courir sur l’épiderme le courant d’un passé trop présent, glaçant. Cette déambulation dans un quartier de la Bulgarie d’aujourd’hui appelle une suite, une variation, un développement. Le film est produit par le collectif Stank.
On pourrait dire de cet autre court métrage en sélection, une fiction, – Je serai parmi les amandiers, de Marie Le Floc’h, produit par Films Grand Huit3 – qu’il a lui tous les atours du réel, cet accent de vérité des images documentaires, avec cette licence du récit imaginaire qui nous fait aimer des personnages et leur laisse le temps de nous surprendre, en deux ellipses et trois plans. Sèche, sans esbroufe, la mise en scène accompagne une famille, et plus particulièrement une femme en exil qui, ouvrant les yeux sur son avenir, manque de le compromettre, par peur ou par envie. Sans tirer aucun fil trop psychologisant, le film s’invite dans la psyché torturée de cette femme, cette mère déracinée.
Enfin, il faut ajouter à ce déjà grand cru une jeune actrice rennaise, Pauline Parigot*, nominée dans la liste très convoitée des Révélations cette année4 pour son rôle dans Frères d’Arme, le premier long métrage de Sylvain Labrosse, rennais lui aussi. Dans ce film intense aux accents de tragédie classique, qui met aux prises deux frères en exil, elle joue Gabrielle, la voix du cœur, l’ange de la raison qui rend possible une rédemption. Aux côtés de Vincent Rottiers et de Kevin Azaïs – qui n’aurait pas volé un César du meilleur espoir – Gabrielle offre un ancrage possible et salutaire au drame fraternel, la possibilité d’une rupture. Avec un atavisme délétère et les alliances passées. Avec les codes d’honneur et les peurs qui emprisonnent et empêchent de penser. Il y a quelque chose d’une « histoire de la violence » dans ce récit dont la tension et l’émotion vont s’intensifiant, servis par l’ambivalence des personnages et des décors (Brest, ses perspectives, son port, jour et nuit), et le talent des interprètes (seconds rôles compris).
Cinq et une raisons d’espérer pour combien de talents dans la profession, et parmi eux, tant de Bretons (natifs ou d’adoption !)5 !…
Gaell B. Lerays
*Erratum • lundi 11 janvier 2021 • Nous apprenons qu’en raison du report lié au contexte sanitaire de la sortie du film de Sylvain Labrosse, initialement prévu le 23 décembre 2020, Frères d’arme et Pauline Parigot concourront pour le César en 2022… |
1 D’Accueil des tournages en Bretagne aux studios d’animation ou de postproduction en passant par les équipes artistiques et techniques, les comédiens, les réalisateurs et les sociétés de production. Sans oublier la Région, les départements, les chaînes régionale et locales et les autres soutiens locaux. C’est une filière toute entière qui est concernée par ces nominations.
2 Dernières nominations pour un court métrage d’animation : Vivement lundi !, Ce magnifique gâteau, d’Emma De Swaef et Marc James Roels en 2020 ; Au cœur des ombres, de Mónica Santos et Alice Guimarães, en 2018 ; Sous tes doigts, de Marie-Christine Courtès en 2016. JPL Films : La petite casserole d’Anatole d’Eric Montchaud, en 2015 et Raymonde ou l’évasion verticale de Sarah Van den Boom, en 2019. Paul Cabon était nominé en 2018 pour Le Futur sera chauve (produit par Wag).
3 La société de production Stank, à Brest, a déjà eu un court métrage nominé en 2016, Le Dernier des Céfrans, de Pierre-Emmanuel Ucrun. Films Grand Huit, à Saint-Pierre-Quiberon, a eu le court métrage de Jonathan Millet, Et toujours nous marcherons, sélectionné en 2018, et a remporté le César du Meilleur court métrage l’an dernier, avec Les Petites Mains, de Rémi Allier.
4 Elle l’avait déjà été en 2012, pour son rôle remarqué dans Les Lendemains, de Bénédicte Pagnot, produit par Mille.et.Une. Films
5 L’Oiseau de paradis, de Paul Manaté, produit par À Perte de Vue, et Yalda, la nuit du pardon, de Massoud Bakhshi, coproduit par Tita B Productions avec le soutien du Breizh Film Fund du Groupe Ouest sont éligibles au César du Meilleur Long métrage ! Voilà non pas 6, mais 8 raisons de pamoiser cette année !