Jean-Jacques Rault était agriculteur avant de devenir réalisateur. Son dernier film nous fait découvrir le quotidien de trois paysans du Centre Bretagne.
Le salon de l’agriculture s’est ouvert sur le constat brutal d’une baisse moyenne du revenu des agriculteurs de 34%, qui atteint 53% pour les fruitiers ou 54% pour les éleveurs laitiers. C’est dans ce contexte morose, mais devant une salle comble de la population des alentours de Mellionnec, qu’a eu lieu la projection en avant-première du documentaire de Jean-Jacques Rault Vague à l’âme paysanne.
Le film commence par cette phrase qui, aux yeux des citadins que nous sommes tous pour la plupart, raisonne étrangement : « Le jour où j’ai arrêté la ferme, une amie m’a dit, tu sais, paysan tu le resteras toujours ! ». À l’issue de la projection, l’amie en question était là et témoignait son enthousiasme vis-à-vis du film en disant au réalisateur : « Un film comme ça, il n’y a qu’un paysan qui pouvait le faire ».
Fallait-il donc être « de l’intérieur » pour évoquer avec justesse la démarche des trois agriculteurs dont le film trace les portraits ? Une question que nous avons posée au réalisateur.
Jean-Jacques Rault: J’ai arrêté la ferme parce que, depuis 15 ans, on travaillait dur et que j’étais au bout du rouleau. Mais j’étais malheureux d’arrêter, parce que quand on quitte, on abandonne plus qu’un métier, on abandonne un état, une place dans la société et on ressent un grand vide. S’engager dans l’agriculture, c’est non seulement choisir un métier, mais c’est aussi rechercher un équilibre. C’est un rapport particulier au travail, puisqu’il s’agit de toucher quelque chose d’essentiel qui est d’alimenter la population. C’est aussi un lien avec la terre. Le labour, les semis, les récoltes, c’est une façon de se sentir responsable, d’être le maillon d’une chaîne qui relie les humains. Et ça c’est difficile à comprendre quand on ne l’a pas vécu, parce que c’est aussi très difficile à expliquer.
Dans le film, Rodolphe, le jeune homme qui a fait le choix de s’installer en reprenant la ferme d’un agriculteur, avec qui il travaille, a eu de sérieux doutes. Après avoir été salarié, il a soudain réalisé qu’il allait perdre sa liberté, parce que c’est un métier qui ne laisse pas de répits. Et puis, quand les doutes s’estompent, on prend conscience qu’on a gagné un rapport à la terre qu’on ne soupçonnait même pas et c’est magique. C’est une relation presque amoureuse, on a enfin la sensation d’être un maillon de l’univers.
C’est aussi un métier très contradictoire parce qu’on a voulu sortir de l’image du paysan, du « bouseux » et on est devenu des exploitants, dans l’idée d’une revalorisation de la profession vis à vis de l’extérieur. Il y a eu cette tentative de mettre dans tout ça la notion d’entreprise, de faire de l’agriculture une industrie et donc de rompre ce lien entre l’homme et la terre. Mais pour moi, le mot « paysan », auquel je tiens beaucoup, est la vraie définition de notre activité, il lui donne son sens.
Je sais que sur cette agriculture paysanne, respectueuse de l’environnement, il peut y avoir 40000 points de vue. Je sais donc que le mien n’est pas le seul, mais je sais aussi que j’ai eu envie de filmer des moments particuliers. La relation avec les bêtes, tous ces petits détails du quotidien, comme vérifier les clôtures, toucher la terre, la sentir. Il était aussi important, dans le dialogue avec les personnages, que nous ayons un acquis commun. Dans ce cas, la parole est d’une autre nature, car l’interlocuteur n’a pas à convaincre.
J’ai fait ce film parce que, d’une certaine manière, j’ai envie de continuer ce que je faisais avant. Comme si le fait d’en parler me permettait de vivre encore ces moments. Et puis, il y a aussi la volonté de faire ressentir, de partager et de transmettre. Bien sûr je m’adresse à tous ceux qui ont un intérêt pour le monde paysan, mais aussi au monde paysan lui-même. Quand j’ai fait le film sur les ramasseurs de volailles (Une nuit avec les ramasseurs de volaille en 2004 / NDLR), j’ai été surpris que les ramasseurs eux-mêmes me remercient de leur avoir montrer à quel point leur métier était dur.
Je ne me vois pas faire autre chose que des films sur le monde paysan. Mon rêve serait un film sans paroles, sans entretiens, uniquement avec des images et du son. J’aimerais aussi rester assez longtemps avec un seul personnage, un agriculteur en difficulté. Je voudrais aussi aller voir ce qu’il se passe au plan européen, parce que je crois que les causes de souffrances sont identiques.
Aujourd’hui, j’ai en quelque sorte envie de donner aux autres « la clef des champs ». J’ai trois projets, deux sur l’agriculture et un sur une usine qui va être reprise par les salariés sous forme de SCOP. Là, pour la première fois, je ne serais pas « de l’intérieur ! »
Propos recueillis par Martine Gonthié
Vague à l’âme paysanne / documentaire / 52′ / 2010
une coproduction .Mille et Une.Films / TV Rennes 35