Jeudi 12 mars, au cinéma Quai des Images de Loudéac, se tenait une rencontre professionnelle autour des liens qu’entretiennent cinémas et bibliothèques en Bretagne. À l’initiative de Livre et Lecture en Bretagne et Zoom Bretagne, cette journée dont Films en Bretagne était partenaire, avait pour vocation d’informer et de solliciter les retours d’expérience des professionnels des salles et des bibliothèques, qui, sauf quelques exceptions, se connaissent et collaborent encore faiblement.
685 bibliothèques bretonnes sollicitées par questionnaire et seulement 38 réponses ! Tel est le maigre mais néanmoins instructif échantillon qu’ont pu récolter Florence Le Pichon, chargée des réseaux de lecture publique pour Livre et lecture en Bretagne, et Fannie Campagna, coordonnatrice de Zoom Bretagne pour des actions de valorisation et de promotions des films tournés et produits en Bretagne. Co-organisatrices de la journée du 12 mars, Fannie et Florence sont parvenues néanmoins à réunir une cinquantaine de responsables de salles de cinéma et de bibliothèques pour échanger autour de la question des partenariats entre les deux entités.
« Lorsque je suis arrivée en responsabilité il y a à peu près un an, raconte Fannie, j’ai pu apprendre de mes prédécesseurs qu’il y avait une difficulté pour les cinémas et les bibliothèques à travailler ensemble. À l’exception d’initiatives très localisées, les collaborations sont rares du fait de réalités économiques éloignées et de langages différents. À la coordination d’un réseau de salles, j’avais moi-même assez peu de relais vers les bibliothèques que je tutoyais de plus ou moins loin. »
Pour encourager le rapprochement de ces deux acteurs de la vie culturelle et artistique du territoire, une commission est née. Réunissant les médiathèques de Brest et de Lannion, les bibliothèques départementales du Finistère et du Morbihan, l’Union Française du Film pour l’Enfance et la Jeunesse de Bretagne, le conseil d’administration de Cinéphare, Doualagad Breizh et Livre et lecture en Bretagne, cette commission s’est réunie pour la première fois en juin 2019. « De là ont émergé des propositions concrètes mais surtout un constat : il y avait peu d’habitude de travail entre ces deux types de structures et il fallait essayer d’en identifier les raisons. Nous avons alors décidé d’organiser une journée consacrée à l’articulation entre le travail des cinémas et celui des médiathèques. Nous savions par ailleurs que de nouvelles réglementations étaient en discussion au CNC sur les droits de diffusion en médiathèques. La dimension économique étant l’un des principaux freins aux partenariats, nous avons estimé qu’il était propice de saisir ce moment pour lancer les débats », explique Fannie.
Enfin, en dernier point d’appui, celui d’un travail de recherche conduit par Claire Daniélou sur Les interactions entre bibliothèques publiques et salles de cinéma¹. Ce travail mené à l’échelle nationale résume assez bien la situation vécue à l’échelle régionale : « en 2015, 13% des bibliothèques de lecture publique déclaraient avoir un partenariat avec une salle de cinéma. Ces statistiques, qui semblent indiquer des interactions peu fréquentes, sans être négligeable pour autant, ne renseignent pas sur les enjeux et le contenu de ces partenariats. (….) Ce mémoire vise à interroger la place des bibliothèques dans la médiation du cinéma, alors que les pratiques culturelles liées à l’audiovisuel évoluent. Après une réflexion sur la rareté des liens entre les deux types de structures, on a tenté d’examiner les collaborations plus approfondies existantes, allant jusqu’aux établissements intégrant pleinement médiathèques et salles de cinéma.»
« Cette étude nous a permis de prendre un peu de distance sur nos problématiques locales et de comprendre où se situaient les enjeux que nous partagions avec d’autres régions », conclut Fannie au sujet de la préparation de la rencontre professionnelle du 12 mars.
Frilosité et fonctionnement économique
Au-delà des partenariats, il y a potentiellement une situation concurrentielle entre cinémas et médiathèques et d’autant plus depuis que des médiathèques sont équipées de salles de projection parfois proches des prestations des salles. La législation prévoit un délai d’un an avant qu’un film sorti en salle puisse être projeté aux publics par les médiathèques, et elle encadre les moyens de communication autour de ces diffusions dîtes non-commerciales. Cependant, ces projections souvent gratuites peuvent inquiéter les responsables de salles, qui pour des raisons évidentes de viabilité ne peuvent pas s’aligner. Quant au fait de les accueillir, cela peut représenter un risque financier, puisque ces séances ne sont pas directement rentables et coûtent en frais de fonctionnement.
Du côté des médiathèques, qui doivent tout de même s’acquitter de droits de diffusion des films auprès des diffuseurs ou producteurs, il n’est pas simple de demander une participation à leurs abonnés, qui considèrent que l’offre doit faire partie de leur abonnement.
« La défiance qui peut parfois exister entre les deux secteurs, poursuit Fannie, vient surtout du niveau de méconnaissance des problématiques des uns et des autres. Les bibliothécaires ne sont pas tous formés au fonctionnement des salles ni à leurs logiques économiques, pas plus que les gens des salles ne sont au fait des contraintes auxquelles doivent faire face les bibliothécaires pour satisfaire et faire venir leur public. Pour autant, tous travaillent à la diffusion d’œuvres culturelles et ont pour vocation d’en faire profiter le plus grand nombre, d’où notre volonté de les encourager à devenir partenaires ». Et des partenariats, même à la marge, il en existe.
Une question de volonté ?
Ce n’était pas un hasard si le cinéma Quai des Images accueillait cette rencontre professionnelle, puisque le cinéma et la médiathèque municipale de Loudéac travaillent tous les ans à la programmation d’événements conjoints. Isabelle Allo et Carole Pêcheur, respectivement directrices du cinéma et de la médiathèque, se réunissent ainsi au mois de juin de chaque année, avec Joël Rousseau, responsable des collections DVD et CD de la médiathèque, pour fixer des rendez-vous thématiques, ou encore des ciné-lectures avec le jeune public. De nouveaux partenariats innovants sur la musique de cinéma sont en réflexion, sous forme de points d’écoute dans le cinéma. La municipalité, largement partie prenante de ces événements, soutient les actions.
À Saint-Malo, la médiathèque La grande passerelle et le cinéma d’art et d’essai le Vauban 2 font partie d’un même pôle culturel sans pour autant avoir le même système économique ni même des liens préétablis. Pierre Gérard-Fouché, directeur de la médiathèque, est venu apporter son expertise de la situation des deux structures proches géographiquement et pourtant encore étrangères l’une à l’autre. Pour lui, une diffusion en salle proposée aux abonnés de la médiathèque, d’un film qui échapperait au circuit commercial du cinéma, constituerait évidemment un manque à gagner pour le cinéma mais permettrait dans le même temps d’attirer jusqu’à lui un nouveau public. Travailler en partenariat permettrait de surcroit aux deux structures de travailler dans la complémentarité et non de manière concurrentielle.
Dans l’assistance, l’idée que les abonnés ne seraient pas prêts à mettre la main à la poche pour participer à la diffusion d’un film en salle est débattue. Impensable pour les uns, tout à fait envisageable et même expérimenté par les autres. Le paysage semble bien clairsemé et les points lumineux semblent émaner d’initiatives individuelles, d’expérimentations, de rencontres des publics, davantage que d’un rouage partagé sur l’ensemble du territoire.
Et la législation ?
Invitée à s’exprimer au sujet des discussions en cours au CNC, Marianne Palesse, déléguée générale d’Images en Bibliothèques, ne voulait pas annoncer de décisions non encore adoptées. En question, les droits concernant les diffusions non-commerciales d’œuvres cinématographiques. La législation actuelle ne faisant pas la distinction entre les différentes diffusions non commerciales (c’est à dire qui n’abondent pas les caisses du CNC), les médiathèques se voient dans l’incapacité par exemple de faire vivre un film qui n’aurait pas connu le succès en salle. « Un film diffusé dans deux ou trois salles en France ne peut pas trouver de relais auprès des médiathèques pour être accompagné et diffusé. C’est une situation absurde », dénonce Fannie, qui attend comme d’autres professionnels les décisions du CNC.
L’exemple du Mois du doc
Au cinéma la fiction, aux médiathèques le documentaire ! Il est vrai qu’une telle répartition semble satisfaire tout le monde à l’occasion du Mois du film documentaire, qui ici et là voit fleurir des partenariats entre les deux structures. Encore à la marge dans la programmation des salles le genre documentaire n’entre pas vraiment dans un champ concurrentiel, et permet aux publics peu habitués du grand écran de venir fréquenter celui des cinémas ou des médiathèques. Il est aussi exemplaire par son exigence, du moins en Bretagne, de faire se rencontrer réalisateurs(rices) et publics, ce qui est une plus-value pour tout le monde.
État des lieux et rencontres, cette première journée consacrée à l’articulation entre cinémas et bibliothèques en appellera d’autres, pour que, peu à peu ces deux espaces de diffusion s’apprivoisent. La législation, la médiation ainsi que la formation des acteurs devra également participer à ce rapprochement pour qu’il soit de l’intérêt de tous de travailler ensemble.
Yves Mimaut
¹DANIELOU, Claire. Les interactions entre bibliothèques publiques et salles de cinéma. Lyon : Enssib – Mémoire d’étude DCB, juin 2019, 180 p.