Si l’on n’est pas sérieux quand on a 17 ans, l’est-on davantage à 20 ans ? À en juger par le nombre d’adhérents de Films en Bretagne se déhanchant sur le dancefloor du casino de Saint Quay Portrieux, en cette soirée d’anniversaire, on pourrait en douter et pourtant… Et pourtant Films en Bretagne, qui réunit quelque 250 professionnel·les de l’audiovisuel et du cinéma de la région, suscite l’engouement par ce seul fait : sa capacité à fédérer différents corps de métier et à travailler aux intérêts d’une filière dans sa diversité. Retour sur le parcours d’une structure enviable et singulière.
« On nous a demandé à Gilles Padovani et à moi, de jouer le canal historique ! » lance le réalisateur Hubert Budor, par deux fois président de Films en Bretagne, devant la salle comble du cinéma Arletty. Pour les 20 ans de l’association, ils sont quelques uns à se prêter au jeu du micro et à se remémorer les débuts de l’aventure en 1999. « À cette époque, existaient deux structures : l’APAB – Association des Producteurs Audiovisuels de Bretagne – et l’Arbre – Auteurs et Réalisateurs en Bretagne. Chacune défendait ses intérêts et, au bout d’un moment, Jean-Yves Cozan, alors conseiller général et régional s’est fatigué de les recevoir à tour de rôles. Il a suggéré de créer un collectif ». Ainsi est né Bretagne Films – sous la direction de Xavier Le Jeune – rebaptisé trois ans plus tard Films en Bretagne.
L’association qui regroupe quelque 250 adhérent·es se structure aujourd’hui en quatre collèges – collège des Producteurs, collège des auteurs et réalisateurs, collège des techniciens-artistes interprètes et collaborateurs de création, et collège des Acteurs Culturels. Une répartition par corps de métier qui puise sa force dans le faire commun. « Je crois au collectif, c’est ce qui m’anime, j’aime que les gens fassent des choses ensemble. Le métier de producteur est suffisamment individualiste et ce projet fédérateur m’a immédiatement donné envie de m’investir. », retient le producteur de .Mille et Une. Films, Gilles Padovani, de son expérience de premier président. Et puis, « Il est plus facile de régler des problèmes de producteurs·trices ou de réalisateurs·trices collectivement, ça permet de s’extraire de son cas personnel et d’envisager les choses avec plus de distance », considère celle qui fut l’unique femme présidente de l’association, Adeline Le Dantec, productrice des 48° Rugissants. Financée en partie par le Conseil régional de Bretagne et Lorient agglomération – auxquels peuvent se greffer d’autres financeurs sur des événements ponctuels – l’association « porte une parole collective mais pas unique ». Films en Bretagne agit donc comme un mégaphone, faisant entendre la voix des professionnels auprès des interlocuteurs politiques.
C’est souvent de la contrainte que nait la liberté. Et c’est dans cette volonté d’œuvrer pour ce collectif aux intérêts parfois divergents que la fédération Films en Bretagne s’est développée. En créant Doc ouest, par exemple, désormais appelées les Rencontres de Films en Bretagne depuis qu’elles ont quitté Pléneuf Val André pour s’établir à Saint-Quay Portrieux. En développant la formation aussi : « Au départ, le dispositif Estran consistait en un concours de scénarios permettant aux jeunes réalisateurs et réalisatrices de financer une partie de leur premier film. Beaucoup d’entre eux partaient ensuite le produire à Paris. On a donc réinventé le dispositif en y incluant un parcours producteurs/productrices. », se souvient Adeline Le Dantec. Depuis l’offre a continué de s’étoffer via un panel de formations plus varié, un bureau d’accueil des tournages, un site internet, la publication de newsletters, de brochures etc. Mais pour que cette fédération de professionnel·les perdure, il a parfois fallu se battre.
« Au sein d’une fédération qui rassemble des professionnels, se développent des enjeux de pouvoir. Être président, c’est maintenir le collectif dans un mouvement permanent. Il faut tout le temps être en capacité de ménager un espace pour chacun et être force de proposition pour maintenir les équilibres. » analyse aujourd’hui Serge Steyer, fondateur de KuB, média en ligne d’initiative régionale dédié à la culture. « En 2007-2008, il y a eu une très sérieuse crise de gouvernance qui a ébranlé l’équipe et le C.A. Les missions de l’Union des professionnels n’étaient plus assurées ». Serge Steyer est alors mandaté par un C.A profondément renouvelé pour reprendre la direction et régler les problèmes : « J’ai découvert un trou de 30 000 euros ». Pendant trois ans, il relance les activités de l’association : tutorat de jeunes auteurs, publications thématiques, plan de formation et développe un nouveau site internet, permettant à Films en Bretagne de réinstaurer un lien de confiance avec les financeurs et de constituer une trésorerie. « Une fois ce nouvel équilibre atteint, j’ai organisé un recrutement et nous avons embauché Céline Durand comme directrice. Elle avait 31 ans. » Après quelques mois de tuilage, Serge Steyer quitte la direction. Il reprendra la présidence entre 2012 et 2014 avant de laisser la place à Hubert Budor, président pour la seconde fois.
L’union fait la force, les adhérents de Films en Bretagne l’ont bien compris. Tant et si bien qu’aujourd’hui ils sont deux présidents ! « C’est une responsabilité très chronophage », explique Jules Raillard, producteur chez Les films de Rita et Marcel, « qui demande de l’implication et donc du temps. Être seul ne me paraissait pas compatible avec mon activité. ». Avec Stéphen Seznec à ses côtés, régisseur général et directeur de production, le binôme s’applique à préserver la continuité de ce qui a été fait. Mais il s’agit aussi pour les deux jeunes hommes de « se structurer, de montrer qu’on existe en dehors de Paris. Beaucoup de régions rencontrent les mêmes problématiques. Avec des réflexions inter-régionales, on devient plus intéressants et plus pertinents. ». Une volonté de se développer à l’inter-régional en tissant des partenariats avec d’autres structures – La Plateforme, Ciclic (article à venir prochainement) – mais aussi à l’international à la veille de l’édition quimpéroise du Celtic Media Festival…
Mais alors pour ce 20e anniversaire, que peut-on souhaiter à Films en Bretagne ? « Plus d’adhérent·es », répondent de concert les deux présidents. « Films en Bretagne n’est pas encore identifiée par tous les professionnel·les de la région », enchérit Stéphen Seznec. « Élisons une présidente, je voudrais bien une successeuse ! », suggère, quant à elle, Adeline Le Dantec. Les pistes sont ouvertes alors que cette soirée d’anniversaire au cinéma Arletty s’achève sur les 20 ans du Mois du Documentaire et la diffusion de No london today de Delphine Deloget, preuve que sans acteurs culturels pour faire vivre les films, le cinéma perdrait sa raison d’être.
Élodie Gabillard