Après avoir obtenu une première fois l’aide au projet innovant de la Région Bretagne pour « Les Cheminants », un film expérimental à l’économie précaire mais dont la singularité, les fulgurances, la spontanéité du geste, ont tout de la fabrique du cinéma ; Carole Contant récidive. Son dernier film, « Je suis un arbre qui parle ! », convainc une nouvelle fois la commission. Reconnu comme un documentaire expérimental, il obtient, en outre, le soutien de la télévision.
« J’ai commencé à filmer avec la caméra HI 8 que s’étaient offerte mes parents. J’étais étudiante en cinéma à la Sorbonne-Nouvelle. Je voulais être scénariste », raconte Carole Contant qui se saisit de l’outil caméra pour appréhender sa propre image et celle du réel alentour. « Je me filmais pour m’accepter et pour surmonter les épreuves de la vie. » Journaux filmés, autoportrait, film de rupture, Carole expérimente la transfiguration en cassant les codes narratifs et en appliquant des effets sur son image. Puis elle décide de réaliser l’un des scénarios écrit pendant ses études. Ce sera Bleu de mémoire, tourné en 16mm, autoproduit avec 30 000 francs qu’elle réussit à dégoter (Bourse Cetelem et Crous). Ce tournage estival organisé par ses soins est « déceptif » : elle ne boucle son équipe que quelques semaines avant le début du tournage en août 1996 et ne trouve pas la liberté d’action qu’elle avait avec la petite caméra. Malgré tout, cette fiction est sélectionnée à Grenoble en 1997 et lui fait découvrir les artifices du plateau télé, car la réalisatrice est invitée à dialoguer sur Ciné Ciné-Court, une chaîne du câble de l’époque.
L’année d’après, alors qu’elle a 23 ans, Carole plonge dans l’univers du cinéma expérimental et découvre notamment les journaux filmés de Jonas Mekas, ou les films pixelisés de Pascal Baes lors de projections à Montreuil-sous-Bois, Paris, ou au cinéma L’Entrepôt à l’occasion des séances mensuelles Scratsch concoctées par Light Cone, distributeur de films expérimentaux.
Elle achète une caméra super 8 aux puces et apprend à développer ses pellicules auprès du collectif L’Abominable un laboratoire artisanal situé dans les sous-sol d’un vieil immeuble de La Courneuve, désormais installé dans l’ancienne cantine municipale d’Asnières. « J’ai commencé à filmer des ‘éclats de réalité’, des fragments… ». Particulièrement sensible à la partition sonore, qu’elle aime travailler en contrepoint des images, la jeune réalisatrice se forme au montage son sur Protools. « J’aime jouer de la désynchronisation du son pour expérimenter de nouvelles narrations et provoquer des perceptions décalées du réel ; une complexité, un relief naît », explique-t-elle. C’est là qu’elle tourne sa première bobine et monte Passage à 4 temps (1997, 7min), sélectionné dans de nombreux festivals et même acheté par une chaine mexicaine.
Fin 1999, Carole se rapproche du collectif Les petits films, avec qui elle tourne une quarantaine de courts-métrages. « Nous nous imposions une contrainte par mois comme par exemple travailler à la réalisation de nos films avec une bande son commune ou faire un ‘road petit film‘». Des films réalisés dans ce cadre, comme O, o fille de l’o, ou R, à Rose (issus d’une série en super 8 qu’elle doit terminer cette année grâce au Soutien aux programmes collaboratifs de création cinématographique) ont été projetés dans des festivals tels que Traces de vies à Clermont-Ferrand, spécialisé dans le cinéma documentaire. Ces films sont souvent sélectionnés aux Instants vidéos à Marseille, au Festival des Cinémas Différents de Paris ou encore à Traverses Vidéo à Toulouse. Une série un peu folle, parfois burlesque autour des gestes du quotidien et intitulée Manies (I : La Vaisselle, II : Le Beurre, III : La Couette) a aussi pu être vue en festival.
Si la jeune femme se réjouit de ces diffusions, ce sont les moments de fabrication du film qui revêtent pour elle la plus grande charge émotionnelle. « J’ai un rapport très physique à la caméra. Je choisis un élément de la réalité qui brille et je cherche à en filmer l’éclat. Mon corps est engagé, l’œil collé à l’œilleton, le doigt sur la gâchette. Il m’est même arrivé de danser caméra en main. C’était une réalisation à 4 mains, justement, intitulée Valse, un chassé-croisé dans le métro parisien. Il y a également le lien très fort à la matière filmique, la pellicule, le grain, ou encore le son, quel qu’il soit, que je travaille comme une matière musicale ».
Carole pense ses films comme des bulles temporelles, des fragments de réel qui vont au delà d’une réalité observable. Elle lie des temps et des espaces qui ne sont pas connectés de manière évidente. Elle aime aussi les accidents : « Je travaille avec quelque chose qui va m’échapper », précise-t-elle avant d’ajouter qu’il lui est très difficile d’écrire ses films tant le présent du tournage et du montage est ce qui préside à son geste.
Un geste intuitif dont il est difficile de faire une activité rentable. Depuis 1997 Carole « gagne sa vie » en assurant la régie pour des défilés de mode, mais aussi comme assistante réalisatrice, assistante de production, script, critique pour des revues spécialisées… Depuis son installation en Bretagne en 2005, elle réussit à se consacrer à la réalisation, en acceptant des films de commande, autour, par exemple, d’un projet d’habitat partagé, de l’éco-construction, ou encore pour le Musée de la Danse de Rennes où elle effectue des captations.
C’est d’ailleurs à l’occasion d’une commande du Musée de la Danse que nait l’idée des Cheminants, portrait d’hommes, anciens médecin, ébéniste, mathématicien, linguiste .. devenus danseurs, parce que cela s’imposait à eux. « J’ai moi même longtemps rêvé de ne faire que danser, alors j’ai voulu fabriquer un film en tissant un lien entre eux et moi, dans une atmosphère onirique et un mouvement perpétuel. Je suis partie des cinq mots qui représentaient pour eux la matrice de leur travail et j’ai construit autour. »
Une fois encore, la narration du film ne s’est écrite qu’au montage, période où Carole continuait à tourner pour créer ce « film-danse ». Pour autant elle obtient pour ce film l’aide au projet innovant de la Région Bretagne, dont les critères de sélection permettent à un cinéma hybride, moins écrit ou écrit différemment, d’exister. « Il a tout de même fallu fournir une fiche technique, une note d’intention et de réalisation, un traitement sonore et visuel, mais pas de continuité narrative », précise Carole qui réalise un film de 47 minutes avec un budget très serré de 10 000 euros. « Le problème est qu’il ne rentre pas dans la case documentaire classique ni dans celle des films exclusivement expérimentaux. Par ailleurs, il n’y a pas grand chose pour la production des films expérimentaux. L’aide du CNC est quelque peu noyée… »
Malgré les conditions de production précaires de ses films qu’elle accompagne par le biais de son association Peti peti production, Carole continue de défendre ce cinéma qui l’anime depuis plus de 20 ans. Son dernier projet, Je suis un arbre qui parle !, s’intéresse à la musicalité des végétaux tout autant qu’à la voix humaine, au chant. Une autre réalité qui n’est pas directement observable, mais que Carole va chercher à rendre perceptible, comme l’apparition d’une vibration.
Yves Mimaut