Pendant six mois, une quarantaine d’élèves du LEP Rosa Parks de Rostrenen se sont initiés au cinéma documentaire, sous la houlette de Ty Films. Récit d’une expérience appelée à se renouveler.
L’atelier touche à sa fin. C’est l’avant-dernière journée de montage pour sept élèves du LEP Rosa Parks de Rostrenen. Concentrés, ils regardent un bout-à-bout du documentaire qu’ils sont en train de réaliser sur leur vie à l’internat. Sur l’écran, Bintou raconte qu’avant d’y entrer, elle imaginait l’internat comme une prison. Dans la salle de classe qui fait office de lieu de montage, la jeune fille se cache timidement le visage derrière la feuille blanche qu’elle tient en mains. S’exposer au regard des autres fait partie de l’expérience que Hélène Milano et Gaëlle Douël ont proposé à une quarantaine de jeunes gens de cet établissement.
Depuis novembre dernier, les deux formatrices qui sont toutes deux réalisatrices encadrent cet atelier (1) qui va déboucher sur quatre courts métrages documentaires. Pendant cinq semaines étalées sur six mois, les élèves ont écrit, tourné et monté leurs films. A l’origine du projet : Ty Films qui organise depuis 2007 les Rencontres du film documentaire à Mellionnec. L’éducation à l’image fait aussi partie des missions que développe l’association.
« Nous avons fait appel à Hélène Milano après avoir vu son film Les Roses noires. Dans ce documentaire, elle donne la parole à des adolescentes des quartiers Nord de Marseille et de la Seine-Saint-Denis qui interrogent leur rapport au langage. Nous avons pensé que les élèves seraient sensibles à cette thématique et que ce serait une bonne entrée en matière », souligne Gaëlle Douël de Ty Films. Pari gagné : après la projection du film, le nombre d’élèves désireux de participer à l’atelier a doublé, et certains, comme Morgann, qui ne connaissaient du documentaire que sa version animalière ont compris qu’oser parler de soi permettait de partager un vécu, une émotion avec le spectateur.
Un exercice de sincérité
Hélène Milano encadre un atelier de ce genre pour la première fois. Une expérience nouvelle qui l’a, elle aussi, nourrie et qui avait pour objectif principal d’apprendre aux élèves à construire un récit. « Les discussions qui ont suivi la projection des »Roses noires » ont fait émerger les thèmes des films. Nous avons commencé par une session d’écriture qui a été fondatrice car elle a permis aux apprentis réalisateurs de creuser leurs questionnements : que veulent-ils dire et par quels moyens l’exprimer ». A cette occasion, Bintou a découvert avec étonnement qu’un documentaire, ça s’écrit ! Il n’a, bien sûr, pas été question de rédiger une note de réalisation en bonne et due forme, mais de lister des intentions et de décrire les séquences à filmer. S’en sont suivies deux séances de tournage et deux de montage. Les élèves n’ont pas filmé eux-mêmes pour éviter trop de fascination envers la technique et pour qu’ils puissent restés concentrés sur la question du sens.
« La réalisation collective a généré de vifs débats », ajoute Hélène Milano. « Et nous sommes épatées par la sincérité et la maturité dont les élèves ont pu faire preuve », renchérit Gaëlle Douël. L’exercice est d’autant plus complexe qu’ils sont à la fois réalisateurs et personnages de leurs films, donc devant et derrière la caméra. Dans la salle de montage, à une jeune fille qui dit ne pas aimer entendre sa voix, Hélène explique qu’elle et ses camarades « ont fait une chose dont beaucoup d’adultes ne sont pas capables : prendre de la distance pour pouvoir s’adresser aux autres tout en étant soi-même protagonistes de l’histoire ».
Ecouter ses intuitions
Les films sont intimement liés au vécu des élèves et ont, pour point commun, le thème du regard. Au début de Viril !, deux jeunes filles débattent entre elles au sujet de la virilité. L’une dit : « Un homme viril, c’est un homme grand, beau et souvent blond ». Sa copine rétorque : « Non, plutôt brun ». « Ah oui, brun », admet la première. « Mais, en tout cas, pas roux ! », s’exclament en cœur les deux jeunes filles. Dans Faces cachées, il est question des préjugés et de la peur du regard de l’autre, si prégnants au moment de l’adolescence, et dans CAP du sentiment de dévalorisation que peuvent ressentir les élèves de ces filières.
Alors que la session de montage se poursuit – on enlève un plan ici, on en raccourcit un autre là, on travaille le rythme, on discute d’une séquence qui a l’air un peu trop mise en scène – Hélène Milano explique : « Il faut écouter ses intuitions au montage, se laisser guider par les sensations que l’on a. Ça ne se fait pas avec la tête. C’est une démarche très intuitive. C’est comme une danse. Il faut qu’on se sente physiquement dans le film. »
Le 15 mai prochain, sous l’intitulé Ce que les regards disent, les quatre courts métrages seront projetés au Ciné Breiz de Rostrenen. Ce sera un grand moment pour ces jeunes gens qui viennent de s’initier à la réalisation documentaire et qui vont alors aussi découvrir les émotions fortes que procure le partage des films avec le public.
Nathalie Marcault
(1) Cet atelier au LEP de Rostrenen a été financé par la Région Bretagne et la Drac. L’an prochain, c’est le lycée agricole de Gourin qui bénéficiera du dispositif.
Photo de Une : Hélène Milano (au premier plan) et Gaëlle Douel. Photos copyright Films en Bretagne.
Projection des quatre films au Ciné Breiz de Rostrenen le 15 mai à 20 h 30.