Dans la sphère audiovisuelle bretonne, on associe spontanément Matthieu Chevallier à l’animation. On le connaît co-auteur et co-réalisateur, au côté notamment de sa complice Amandine Gallerand. Mais à mesure que la production régionale s’est affirmée et qu’elle s’est enhardie du côté de la série, le jeune auteur a lui aussi fait ses gammes, et accompagné le courant ascendant. Émancipé peu à peu du préfixe co qui lui co-llait à la peau, il est aujourd’hui tantôt scénariste, tantôt directeur d’écriture, parfois les deux à la fois. En Bretagne, ou ailleurs.
Intégrer le petit monde ultra spécialisé du cinéma d’animation ? La chose n’était pas une évidence au départ. C’est même un peu l’inverse que raconte Matthieu Chevallier. Engagé dans des études de sciences à la fac de Rennes dans les années 90, le jeune homme prend une première fois la tangente : direction Bordeaux pour un IUP de communication option production audiovisuelle. Son cycle achevé, le Rennais, qui souhaite rentrer au pays, sollicite un stage chez JPL Films, « même si, je ne connaissais pas l’animation », avoue-t-il, « je n’avais même pas la télé quand j’étais gamin, j’ai vu des films bien sûr mais moins que les enfants de mon âge, ou plus tard ».
Au sein des studios d’animation, l’apprenti se rend compte que, plus que la production, « c’est l’aspect créatif qui (lui) plaît ». Alors, d’accord, « (il) ne sait pas du tout dessiner » mais qu’importe, il se saisira « du truc qui ne demandait pas de compétence technique particulière », prendra la voie qu’il peut prendre : l’écriture. Il entre en Arts du spectacles à Rennes 2, « où Jean-Pierre (Lemouland, ndlr) animait un atelier d’animation ». Il y rencontre, notamment, Mathieu Courtois, Amandine Gallerand, Julien Leconte et Jean-Claude Rozec. Ils fondent l’asso « Blink » après avoir réalisé ensemble, dans le cadre universitaire, Un jour peut-être, un premier court métrage programmé et même primé en festivals. À ce stade, la dynamique est encourageante. L’étudiant sait cependant que travailler en animation sur d’autres projets que les siens sera compliqué, il diverge alors, se tourne vers le documentaire, et co-réalise deux films (produits par Aligal production et Vivement Lundi !).
C’est Isabelle Lenoble, et son projet de série Pok et Mok qui le remettent sur les premiers rails. « Rencontrée grâce à Julien Leconte et Amandine Gallerand, qui travaillaient chez Vivement Lundi ! », la réalisatrice lui propose de co-écrire avec elle le premier épisode de sa série. « Elle savait que j’étais dans l’écriture, même si je ne connaissais rien à la série » se souvient-il. Il se lance. « Isabelle avait écrit la bible et connaissait la mécanique de la série » (76 épisodes de 7 minutes). Un directeur d’écriture, Jean-Philippe Robin, était là pour piloter les auteurs. Matthieu co-écrit quelques épisodes avec Emmanuelle Gorgiard qu’il avait assistée sur Le Cid. « Je m’entendais bien avec Jean-Philippe, bienveillant avec les scénaristes ». Le métier rentre. « Au fur et à mesure, on a des déclics, on prend conscience de la façon dont on écrit une histoire. »
Il apprend, prend confiance et apprécie d’évoluer dans la durée, propre à la série : « ce temps long, un an, un an et demi, qui (lui) permet réellement de maîtriser l’univers de l’auteur. J’ai découvert les codes, le formatage, les contraintes liées à la diffusion, un cadre que je m’appropriais facilement une fois les attentes des chaînes clarifiées. Le directeur d’écriture était là pour contrôler, s’assurer qu’on s’inscrivait bien dans l’univers attendu et qu’on répondait bien aux attentes des diffuseurs vis-à-vis de la cible jeunesse. Ce ne sont pas des contraintes que l’on vit négativement, c’est un cadre. On connaît les règles, on les intègre. »
Et si l’expérience permet au jeune homme de faire ses armes en tant que scénariste, « l’avantage de la série, c’est aussi qu’on peut gagner sa vie », avance-t-il. « La majorité des projets prévoient 52 épisodes d’une durée avoisinant les 11 minutes. On peut écrire plusieurs épisodes. On peut également travailler sur l’univers des autres et pas uniquement sur des projets qu’on initie. On n’a pas à repartir de zéro, chaque fois, comme lorsque l’on porte un projet, qu’on va devoir convaincre un producteur, un diffuseur, avant – peut-être – d’arriver à le mettre en œuvre. On travaille davantage comme un technicien. Son travail est rémunéré. C’est une industrie, c’est plus balisé. »
Cette industrie, Vivement Lundi ! se prépare justement à y faire sa place. C’est en effet la période où Dimitri, couvé par le studio breton, voit le jour entre les mains d’Agnès Lecreux. « Jean-François Le Corre cherchait quelqu’un pour écrire avec Agnès, c’était peu de temps après Pok et Mok. On a développé les premiers scénarios, Agnès et Jean-François relisaient, je retravaillais, ils validaient, on avançait bien. J’ai scénarisé 13 épisodes, puis le 26 minutes. Après Dimitri, Jean-Philippe, (Robin, directeur d’écriture) m’a fait travailler sur quelques autres séries dont il avait la charge à Paris. On était dans un rapport de confiance, et ça s’est très bien passé. C’est quelqu’un qui a d’ailleurs fait débuter pas mal de scénaristes ». Ensuite, il enchaîne : « un producteur m’a appelé, il cherchait un scénariste, c’était pour la première saison de la série Zip Zip produite par GO-N Productions pour France Télévisions. »
2015, des années après qu’il a initié le projet en co-écriture avec Amandine Gallerand, la série Bienvenue à Bric-à-Broc, est mise en production par Vivement Lundi ! et va propulser Matthieu directeur d’écriture. « Amandine et moi voulions tous les deux réaliser » raconte-t-il. « Pour la production, multiplier ainsi les postes devenait un peu lourd. On m’a donc proposé d’assumer en parallèle la direction d’écriture, en lien avec Canal +. J’ai arrêté d’écrire et commencé à piloter. J’étais dans une situation vraiment particulière : auteur, directeur, et réalisateur… ». Malgré ce cumul, l’expérience est constructive. Matthieu apprécie la charge et ce qu’il y apprend, assumant cette fois le lien avec les diffuseurs. « Canal + nous a emmenés vers quelque chose de plus décalé que ce que nous avions imaginé au départ. Le rôle de la chargée de programme a été très important dans cette phase de développement ».
Diriger l’écriture, c’est aussi – et d’abord – constituer une équipe. « Sur Bric-à-Broc, j’ai pris quelques scénaristes que je connaissais, les autres non ». Plus généralement, « il faut composer avec les suggestions du diffuseur en s’assurant que son équipe fonctionnera correctement dans le cadre qu’on met en place. Il y a traditionnellement peu de contact entre les scénaristes sur une série. On n’est pas dans l’image de la série américaine avec un staff d’auteurs qui œuvrent de concert. Moi, j’aime animer quelques réunions, sortes de brainstorming collectifs où les scénaristes se rencontrent et échangent des idées. Mais, au long cours, il est plus fréquent d’échanger avec son directeur à distance, sans lien avec les autres auteurs. On essaye de partager, d’entretenir la cohésion mais on respecte aussi l’apport et le travail de chacun. »
Bon capitaine, Matthieu écope en 2016, à la suite de Bric-à-Broc, de la direction de la saison 2 de Dimitri au sein, toujours, des studios Vivement Lundi !. Aussitôt après, il attaque la saison 2 de la série Zip zip (52×11′), produite par GO-N Productions avec France Télévisions et Disney France, actuellement en production. Il est parallèlement scénariste pour Blue Spirit pour « une adaptation des Chevaliers de la Table Ronde pour enfants et pré-ados (8-12 ans) ». Peu de temps morts, donc, pour le cinéaste breton qui entend cependant garder de la place pour ses projets propres. « J’aimerais écrire un court métrage de fiction ». Son envie profonde, lui qui a toujours dû s’associer pour voir aboutir ses projets : « être seul à la barre, auteur et réalisateur. »
Pas de rejet du travail collectif pour autant, preuve en est ce nouveau projet, toujours avec Amandine Gallerand comme co-auteur : V et les fantômes de l’Anaon, une série inspirée de ses vacances à Portsall. Et si l’on peut croire le jeune homme dilettante, en l’écoutant dérouler comme un concours de circonstances, son impressionnant CV, il ne faut pas s’y tromper. Le professionnel soigne son Art et sa technique. En complément de la pratique, essentielle, la formation a son importance dans l’itinéraire de Matthieu Chevallier. Diplômé (titulaire d’un DEA de cinéma délivré par Paris 1), il admet profiter aussi régulièrement que possible des masterclass et formations qui peuvent se présenter. Il faut être à la (h)auteur de ses responsabilités.
Charlotte Avignon