L’IDFA, International Documentary Film Festival Amsterdam, est sans doute le plus important festival de documentaire au monde. Une ruche impressionnante qui, au premier abord, donne le tournis : 3 000 professionnels, 300 films projetés, des dizaines de pitchs publics ou en tête à tête, un marché du film… et aussi 277 000 entrées vendues au public en 2016, contribuant à plus du quart du budget du festival. Tout cela implanté sur un petit territoire, entre deux canaux de la Venise du Nord, dans de somptueuses salles de cinéma art déco, et quelques cafés accueillants. Brigitte Chevet y participait en tant qu’administratrice de la SCAM et rapporte ses impressions sur l’événement et les rendez-vous auxquels elle a pris part.
Notre délégation accompagnait les cinq auteurs participant, grâce au soutien de la SCAM, à l’IDFAcademy, un programme de formation internationale, ouvert à des porteurs de projets toutes origines géographiques confondues (1). Constatant que la culture de la coproduction internationale pour les projets documentaires est encore trop peu développée en France, la société civile propose à des auteurs, sachant parler anglais et au début de leur parcours filmique, de candidater à cette formation. Sur 60 dossiers reçus cette année par la SCAM, et 48 valides, 9 auteurs ont été présélectionnés et l’IDFA en a retenu 5 : Baptiste de Cazenove, Hélène Robert, Vanessa Rousselot, Dimitri Kourtchine, Marjolaine Grappe.
Associée à la sélection, j’ai pu constaté que projet à potentiel international ne rime pas forcément avec grandes enquêtes sur des sujets politiques ou historiques mais qu’il est possible d’envisager des liens avec l’étranger avec des projets intimistes, écrits à la première personne et entièrement tournés sur un seul territoire. D’ailleurs, ayant assisté à l’impressionnant pitch public, je retiens que le projet qui a remporté le plus de succès à l’applaudimètre cette année est un film espagnol : une comédie documentaire tourné dans une maison de retraite ! Comme quoi le local peut aussi devenir international, quand il sait parler à un large public. Les stagiaires de l’IDFAcademy 2017 ont été plus que ravis de cette expérience : « C’est le monde qui s’ouvre à nous », comme résumait Dimitri Kourtchine.
« Where are you, french people ? »
C’est sans doute la phrase que nous avons le plus entendue pendant ce séjour. Si plusieurs films français étaient présents dans la compétition, nous n’avons eu de cesse de nous entendre dire que les français travaillent surtout entre eux, avec trop peu d’expériences internationales. Pourquoi ? Un problème de langue sûrement, l’usage de l’anglais étant un frein pour certains. Un problème de nécessité sans doute. Ayant des moyens plus développés que dans nombre d’autres pays pour faire des films et plus de diffuseurs, nous allons moins chercher de coproductions ou partenaires ailleurs… et nous nous contentons de parler au public français.
« Aucun film français n’arrive dans notre compétition », se désole Shane Smith, de Hot Docs, le plus gros festival documentaire du continent américain (Canada). Il espère en recevoir, qu’on se le dise ! Même constat de la part de Klara Mokra, de l’équipe de DOK Incubator à Prague : « Sur 100 candidatures reçues cette année, aucune française ! Nous aimerions en avoir au moins quelques-unes, d’autant que certains de nos formateurs sont français. Nous avons du mal à comprendre cette absence ! » Cette plate-forme européenne propose un accompagnement pointu et original : les films en cours de montage sont analysés et retravaillés avec des tuteurs. Un travail haut de gamme, d’ailleurs 5 films de la compétition de l’IDFA étaient issus de ce workshop. Mais il est vrai que ce type d’ateliers payants à l’étranger peinent à s’imposer, et à être considérés comme des dépenses utiles pour le parcours d’un film ou d’un auteur.
Cet appétit de partage et de visibilité à l’international se sentait à Amsterdam, notamment de la part de pays émergeant sur la scène documentaire comme la Pologne. Les pays de l’Europe du Nord, historiquement habitués à aller chercher des partenaires en dehors de leurs frontières, s’inscrivent dans la même démarche et sont en nombre à l’IDFA.
Présence collective nécessaire ?
Force était de constater que côté français, nulle trace d’une « vitrine officielle » du documentaire. Si les producteurs étaient bien là, individuellement, seule la SCAM parlait au nom d’un collectif. L’absence de syndicat, d’association de professionnels, ou du CNC lors des deux rencontres au niveau européen et mondial (2) auxquelles nous avons assisté, avait de quoi interroger.
Pour peser dans les décisions, participer à ce mouvement et pour porter plus loin le regard et les collaborations, il semble fort utile que les acteurs du documentaire français (se) bougent. Il se pourrait qu’un jour ils aient aussi besoin de leurs voisins, car le monde est un village.
Brigitte Chevet
(1) IDFAcademy est un programme soutenu par Europe Creative, Dioraphte et Vevam.
(2) Réunions de réseaux, de défense, ou de structuration du secteur, la première était initiée par IAD – International Documentary Association. La seconde à l’invitation d’EDN – European Documentary Network –, qui porte la structuration du secteur documentaire au niveau européen, annonçait la prochaine mise en ligne d’un questionnaire pour tous les professionnels, destiné à nourrir une étude sur le secteur.
En savoir plus :
Le site du festival IDFA.
Plus d’infos sur les bourses IDFAcademy de la SCAM. Les candidatures pour une prise en charge des frais de participation à l’IDFAcademy se déposent début septembre pour le festival de novembre.
Et pour continuer : la publication Production documentaire, un regard hexagonal
How to make a documentary de Jess miller