Il a connu les premiers balbutiements d’un évènement qui fête en ce moment sa quarantième édition : le Festival de Douarnenez. C’est un homme aux multiples talents, devenu au fil des ans une figure douarneniste incontournable quand il s’agit de parler breton ou cinéma, breton au cinéma. Cet éclaireur au service de la culture bretonne et de l’image, c’est Erwan Moalic : il nous éclaire aujourd’hui sur son parcours, si intimement lié à l’état de la culture audiovisuelle de Douarnenez, et à son festival.
Erwan Moalic officie d’habitude dans l’ombre et quand il se trouve sur le devant de la scène, c’est pour mieux mettre en lumière les talents d’ici, d’ailleurs et de tous les temps, et partager ses découvertes avec tous les publics, passionnément. Parler de soi, pour lui, c’est plus compliqué. Le bel anniversaire du festival de Douarnenez nous pousse à forcer sa nature – modeste – et nous l’avons convaincu de revenir sur une carrière jalonnée d’évènements qui ont participé à dessiner le paysage de l’audiovisuel et du cinéma en Bretagne tel qu’il est aujourd’hui : riche, dynamique et innovant.
Plogoff, des pierres contre des fusils de Nicole Le Garrec – 1980
Enfant du Cap Sizun, Erwan est très tôt branché sur le canal du cinéma en aidant son père instituteur à projeter des films en 16 mm dans le cadre de ses missions de « cinéma-éducateur ». Plus tard, quand il revient au pays avec, en poche, un diplôme pouvant lui ouvrir les portes de l’industrie nucléaire, il se souvient de cette première expérience. Nous sommes à la fin des années 70, c’est la lutte contre le projet de centrale nucléaire à Plogoff et Erwan doit choisir son camp : « j’ai préféré utiliser le savoir que j’avais engrangé pour informer sur les dangers du nucléaire et sur l’alternative que représentaient déjà les énergies renouvelables. Je m’occupais de la diffusion de films sur les centrales, faits par des militants ou des cinéastes du monde entier. J’ai alors pu me rendre compte de l’impact du cinéma et de la possibilité du débat dans la rencontre avec les gens, ce que nous avons toujours cherché à provoquer par la suite, dans toutes nos actions » raconte Erwan. Toutes ces actions qu’il évoque ont trait aux expériences qui se succèdent et qui s’inventent au fil des ans : bénévole à la MJC d’abord, dans le festival ensuite, salarié à Daoulagad Breizh où il a dans son viseur une variété infinie de publics, et intervenant dans la mise en place d’une option cinéma au lycée de Douarnenez. Sans compter sa participation dans la création de la Cinémathèque de Bretagne ! « En parallèle de mes activités anti-nucléaires, j’étais projectionniste à l’année au cinéma Le Club, à Douarnenez, et animateur l’été à la MJC, où les gens appréciaient les films d’auteur que nous projetions. Il y avait une vraie fringale pour ces œuvres hors des sentiers battus. Je faisais partie d’un groupe d’une dizaine de bénévoles qui a convaincu le Club de projeter des films encore plus pointus ; notre travail de programmation est devenu plus ambitieux en termes de volume et d’exigence, jusqu’à créer un véritable festival de cinéma à Douarnenez, qui, déjà, était pensé en lien avec le territoire breton, et mu par la volonté de rendre compte de sa vivacité », se souvient Erwan.
Nous sommes en 1978, le premier festival de cinéma naît en Bretagne (1), et il totalise 4000 spectateurs environ, contre les 500 attendus ! Quant à l’esprit et à la lettre de la manifestation, elle était inscrite dans le granit dès sa première édition ! Erwan nous rappelle ainsi que ces aficionados de la première heure comptaient dans leurs rangs des tiers-mondistes et d’ardents défenseurs de la culture bretonne qui ont eu une influence certaine : « En 1976, le Parti Québécois arrivait au pouvoir au Québec, nous partagions certaines valeurs et c’était un pays riche en cinéma. Il a donc été notre premier invité et le festival porte encore aujourd’hui la marque de ce choix inaugural dans sa programmation – la minorité francophone au Québec. On peut dire que tous ses fondamentaux étaient déjà en place : débats politiques et cinématographiques, intérêt marqué pour les luttes (2), les questions d’identité, les cinématographies peu diffusées, une programmation jeunesse, la librairie etc. Forts de notre succès, nous nous sommes ensuite intéressés à la minorité dans la minorité : les Inuits et les Amérindiens. Le festival s’appelait d’ailleurs Festival de Cinéma des Minorités Nationales. »
Affiche de la 2e édition du festival
L’aventure était bien lancée, et l’actualité confirme qu’elle était faite pour durer. Grâce à la signature d’une nouvelle convention Ville/Etat de développement culturel, l’association Daoulagad Breizh voit le jour en 1982 et Erwan reçoit du même coup son premier bulletin de salaire : il en est le directeur. « La mission de l’association, hormis celle d’organiser le festival, était de prolonger l’action faite au niveau des films bretons tout au long de l’année, dans une logique d’éducation populaire et de promotion de cinématographies différentes. » C’est un premier pas vers une structuration du festival, qui prendra tout à fait effet en 1989, avec la création d’une association dédiée à la manifestation et que rejoint en 1991 Caroline Troin (elle devient permanente en 96). Erwan et elle sont très complémentaires, ils forment un duo de choc jusqu’en 2011, quand ils passent tous les deux la main…
Si Erwan ne s’occupe plus à l’année que des missions allouées à Daoulagad Breizh – en collaboration avec Elen Rubin – il n’a jamais tourné le dos au festival. Ainsi, Daoulagad a-t-elle en charge la sélection Grand Cru Bretagne du festival, qui donne à voir chaque année le meilleur de la production bretonne – en toutes subjectivités, celles revendiquées par les sept membres du comité de sélection. Erwan de préciser : « notre sélection est un peu comme une vitrine de ce qui se fait de mieux en Bretagne sur une année. Nous cherchons à être représentatifs de la diversité de la production. Les premières années, nous présentions tous les films faits dans l’année, mais le cinéma en Bretagne a évolué et notre programmation a accompagné cette évolution. »
Quarante éditions, une heure pour les bilans ? D’un point de vue personnel, Erwan voit dans son parcours une grande cohérence, « entre l’archive d’un côté, la transmission et la formation d’un autre, et le festival entre les deux. Avec toujours le cinéma au centre. »
Pour ce qui est des effets de toutes les actions menées au fil des années, c’est ce qui a contribué, selon lui, « à ce qu’il y ait aujourd’hui une cinquantaine de personnes travaillant dans le cinéma et l’audiovisuel qui vivent ici, et que toute la filière soit représentée à Douarnenez. » L’un des rêves qu’il aimerait voir réalisé avant de raccrocher, c’est que toutes ces énergies se structurent avec la création d’un Pôle Image dans sa ville. « Nous sommes en recherche de locaux et de financements. La Région est partante, mais à la condition que la Ville et d’autres collectivités y contribuent, ce qu’elles ne veulent pas, peut-être, ou ne peuvent faire, pour le moment. »
Quant au Festival, Erwan se dit heureux d’avoir su, en compagnie de ses acolytes, « pérenniser le projet, tout en préservant son identité et en restant libres. » Sa plus grande satisfaction est encore d’avoir su transmettre ce projet et de pouvoir observer chaque année qu’aux amis de la première heure se mêlent de jeunes gens, attestant à la fois d’une mixité du public, et de son renouvellement. On peut sans doute le croiser en ce moment même en train d’œuvrer dans ce sens et de raconter l’une des précieuses anecdotes dont il est riche à millions, quelque part dans Douarnenez !
(1) Il y avait bien eu le FIFEFF, un Festival Francophone Itinérant, passé par Dinard et par Brest, mais l’on peut s’aventurer à dire qu’en tant que manifestation pérenne, le Festival de Douarnenez est antérieur à tous les autres festivals bretons, y compris Les Trois Continents, à Nantes (né en 1979).
(2) Une programmation de films rendant compte de ces liens entre le festival, les luttes et la Bretagne a été confiée cette année à un comité de 4 personnes, dont Erwan (avec Valérie Caillaud, présidente de l’association qui porte le festival, Gérard Alle, son vice-président, et Yann Stéphant, son directeur). 18 films des années 70 et 80 seront projetés dans ce cadre. Il est à noter qu’en plus du Grand Cru et de cette programmation, Elen Rubin a concocté un focus sur l’animation en Bretagne, avec des films inédits datant des années 50 ! Le festival a également offert à Erwan une carte blanche.
Gaell B. Lerays