A quelques jours de la première de « Salto Mortale », son nouveau long métrage documentaire, au festival « Visions du Réel » à Nyon, Guillaume Kozakiewiez commence à ressentir les premiers symptômes du trac. Pourtant, le jeune cinéaste a déjà une longue expérience des projections publiques : ses précédents films « Leonarda » et « La lutte n’est pas pour tous » ont été sélectionnés à de nombreuses reprises. Mais chaque nouvelle sortie apporte son lot d’émotions…
« La première projection est toujours un moment très particulier. On écoute intensément les réactions de la salle avec la sensation très physique d’être connecté au public. » Physique, sensoriel, intuitif sont des termes qui reviennent souvent dans la bouche de Guillaume Kozakiewiez lorsqu’il évoque son rapport à l’image et sa façon de filmer. Le corps et le mental sont d’ailleurs les mots qu’il avait en tête et qui ont guidé le tournage de Salto Mortale. Le film raconte comment le funambule Antoine Rigot, victime d’un grave accident en 2000, a réussi à remonter sur le fil. Il relate le combat d’un artiste en quête de légèreté. « Il y a quelques années, j’ai eu l’occasion de voir l’un des spectacles d’Antoine. La forme en était très épurée. Il apparaissait en début et en fin de spectacle en s’accrochant au fil. J’en étais sorti bouleversé. »
Guillaume s’associe à Grégory Nieuviarts, lui même réalisateur et monteur, qui a vu un autre des spectacles d’Antoine Rigot. Ces deux-là se connaissent depuis longtemps. Ils écrivent le film ensemble, puis partent en tournage après s’être partagé les rôles : Guillaume à l’image, Greg au son. Et les discussions vont bon train. Ils en sont convaincus : l’histoire du funambule dans ce monde du cirque est la promesse d’une belle aventure. Le producteur Jean-François Le Corre de Vivement Lundi ! décide de les accompagner dans la réalisation de ce nouveau portrait qui va prendre plus de deux ans au tournage et plus d’un an pour la post-production.
Pour vivre au plus près de leur personnage, ils ont posé leur caravane dans l’enceinte du cirque et l’ont accompagné en tournée chez lui en Ardèche. Cette proximité va, au fil du temps, se muer en complicité. « Quand on tourne sur une période de deux ans, on partage forcément le film avec le protagoniste. Antoine et moi nous faisions mutuellement des propositions, souvent de manière implicite mais toujours dans l’écoute. Nous avons vraiment fait ce film ensemble et ce partage est une chose magnifique. Et quand j’ai appris que, petit, Antoine rêvait de faire du cinéma, ça m’a aussi donné l’envie d’une voix-off avec sa parole. C’est une collaboration à plusieurs… Même si ensuite arrivent le montage et la post-production, et qu’il reste encore beaucoup à faire… »
Patience et longueur de temps
Il suffit de regarder les films de Guillaume Kozakiewiez pour y reconnaître immédiatement une « patte », un regard. « Je fais mes films en les filmant, l’œil dans le viseur. Sans doute parce que j’ai une appréhension très intuitive des choses. Je fais des paris. Si je me place à un endroit, c’est parce que j’ai une idée derrière la tête. Et si ça ne marche pas, tant pis. Je préfère prendre des risques. Trop de sécurité pourrait faire perdre la magie de certains moments, alors que c’est quand même de cela qu’il s’agit lorsqu’on filme… » Le réalisateur filme dans la longueur en privilégiant la séquence et croit « dans la force du plan ». Il aime ceux qui durent et qui résistent, quand bien même leur cadre serait chahuté, car c’est alors que le spectateur peut les ressentir pleinement. Dans ses documentaires, l’histoire prend son temps et sa forme tranquillement.
Le temps est aussi son allié au montage. Souvent, Guillaume fait une première sélection de rushes en éliminant « tout ce qui n‘est pas bon techniquement, ce qui m’ennuie et ce qui ne fera pas partie du film ». Pour Salto Mortale, sur 80 heures, il n’en est plus resté que 25. Le cinéaste propose alors au monteur de regarder, seul, ce bout-à-bout. Chacun chemine avec cette matière et une discussion en commun s’engage ensuite, l’un et l’autre reprenant leurs notes tout en parcourant à nouveau les images.
« Regarder tous les rushes avec le monteur serait pour moi une perte de temps. Il faut bien 3 semaines pour visionner 80 heures et au bout de ce temps, il y a le risque d’être déjà épuisé. Et c’est une façon de faire une première proposition au monteur. Il sait bien qu’il peut aller fouiller dans l’ensemble des rushes. Mais moi, j’arrive en lui disant : voilà, de tout ce tournage, je retiens cela, c’est cela qui me parle… Enfin, c’est une manière de dire au monteur : fais-moi confiance. Et cette confiance me semble constructive. Deux personnes qui travaillent ensemble dans une belle confiance, je trouve cela très moteur. C’est précieux de savoir ce que l’on veut, pour soi comme pour l’autre ! Susana Rossberg avec qui j’ai monté La lutte n’est pas pour tous et qui a une très grande expérience m’a beaucoup appris à ce sujet et l’idée d’une pré-sélection ne l’avait pas dérangée, bien au contraire. »
Pour Salto Mortale, monté par Kamel Maad, Guillaume a procédé de la même manière. « Nous sommes même allés plus en organisant le montage par sessions. Trois en tout, étalées sur près de neuf mois. Ce rythme nous correspondait et cela permettait à chacun de prendre du recul sur le montage, le rythme, mais aussi les choix de narration… »
« J’avais un appareil sur moi et je faisais des photos tout le temps »
Ce goût des récits en images, Guillaume le développe depuis ses 19 ans. A cette époque, il passait des nuits blanches dans son petit labo à tirer ses photos argentiques avant de reprendre, au matin, le chemin de l’IUT option multimédias. Originaire de l’Est de la France, il débarque ensuite en Bretagne pour suivre le cursus info-com de la fac de Rennes : « J’y ai rencontré Greg qui m’a emmené sur un tournage à Saint-Malo où j’ai découvert les marées ! ». Très vite, il délaisse les cours au bénéfice des salles de montage où il travaille sur des magazines et des courts métrages. Et dès qu’il le peut, il emprunte une caméra et va filmer, « comme pas mal d’étudiants à l’époque qui avaient envie de tenter des trucs. C’était une bonne énergie pour apprendre, et aussi pour se gaufrer ! »
Il décroche son premier vrai boulot en 2005 à TV Rennes sur le magazine Face B. « Je tournais un 26 minutes par mois. Je ne touchais pas terre. Mais rencontrer, interroger, filmer, dérusher et monter dans la foulée – même s’il y avait fort heureusement un monteur, Franck Beyer -, je dois dire que ça a été formateur. J’aime aussi ces rythmes rapides et intensifs. Tout ce qui peut bouleverser une pratique établie est bon à prendre. »
Ainsi, en janvier 2012, Guillaume a filmé François Christophe, aujourd’hui décédé, qui dirigeait une fiction sonore pour France Culture. Tourné en 4 jours et monté en 5, Filmradiofilm, documentaire de près d’une heure, est le fruit « d’un geste, d’une intuition qu’il fallait suivre à ce moment-là. Je veux continuer à faire des films au long cours mais aussi des films home-made. Certaines formes courtes ou projets que l’on mène seul permettent de remettre les points sur les i, de tester en toute tranquillité. Et cela ne signifie pas qu’on n’évince pour autant la question du sens et de la narration. Les deux pratiques se nourrissent l’une, l’autre. »
La qualité de son regard vaut à Guillaume d’être sollicité par d’autres réalisateurs pour qui il tient le rôle du chef-opérateur, à la fois sur des documentaires et des fictions. « Au début, j’étais un peu maladroit à cette place. Mais j’ai appris petit à petit à faire la part des choses. Quand je ne suis pas sûr du choix ou pas sûr d’avoir compris, je fais part de mes doutes. J’essaie de faire en sorte que les échanges soient constructifs et permettent de s’interroger sur la manière de filmer. J’aime aussi beaucoup regarder les rushes avec le réalisateur ou la réalisatrice. Ça permet de s’assurer qu’on va dans le même sens et ce genre de discussions est toujours intéressant, stimulant dans un processus de création ! Il faut être au service du film et de son auteur, chercher en soi des solutions, des pistes et les partager ».
Guillaume Kozakiewiez saisit toutes les occasions d’enrichir sa palette. À 35 ans, il a acquis un joli bagage technique, récemment complété par une formation à la lumière, domaine qu’il a découvert avec bonheur et qu’il va continuer à explorer dans son premier court métrage de fiction : un film sur la prostituée et écrivaine Grisélidis Réal, projet qu’il porte depuis longtemps. Rien d’étonnant dans ce passage à la fiction, pour celui qui se présente comme un « bouffeur de fictions ». « Le cinéma permet de quitter le monde, comme le disait Jean Cocteau, ce qui, je le reconnais, est une attitude un peu paradoxale pour un documentariste ! »
Nathalie Marcault
Photo de Une : Guillaume Kozakiewiez photographié par Leonarda
Projections de Salto Mortale à Visions du Réel le 30 avril à 15 h et le 1er mai à 20 h.
Salto Mortale, un long métrage documentaire de Guillaume Kozakiewiez, 94 minutes, 2014, France/Suisse. Co-écrit par Guillaume Kozakiewiez et Gregory Nieuviarts avec la collaboration d’Anne Paschetta.
Une production Vivement Lundi !/GroupeGalactica/Caravel Production, en coproduction avec Les Colporteurs et AGM Factory, avec le soutien de la Région Bretagne, de la Région Rhônes-Alpes, du Conseil général de l’Ardèche, de l’Office Fédéral de la Culture, du Cinéforom, de la SCAM (Brouillon d’un rêve). Distribution Zeugma Films.
Salto Mortale » sortira dans les salles françaises en novembre.
RÉSUMÉ
En 2000, Antoine Rigot, funambule virtuose, perd l’usage de ses jambes.
Plutôt que de s’éloigner de la scène, cet accident l’incite à devenir à la fois l’objet et le sujet de ses spectacles.
Renaît peu à peu le désir de flirter avec l’équilibre.
Chute et renaissance d’un funambule, humble et courageux.