Isabelle Lenoble et Julien Leconte © Gaell B. Lerays
À l’heure d’été, d’aucuns fuient les ennuis du quotidien quand d’autres se passionnent pour tous ces petits tracas qui l’empoisonnent. Isabelle Lenoble et son acolyte Julien Leconte sont de ceux-là, qui coréalisent en ce moment une série hybride produite par Jean-François Le Corre & Mathieu Courtois de Vivement lundi ! : la bien nommée Science des soucis, et son peuple de trakazoaires…
Qui n’a pas déjà cru devenir fou en constatant une énième disparition de chaussette le temps d’un tour de machine ? Et quel physicien en herbe ne s’est pas cassé la tête à trouver l’équation susceptible de rendre rationnelle la chute d’une tartine toujours du même côté… beurré ?
Les réalisateurs Isabelle Lenoble et Julien Leconte se sont penchés sur ces épineuses questions domestiques et dévoilent les résultats de leurs recherches dans une série hybride intitulée La Science des soucis ; soit 39 études de cas de 5 minutes chacune imaginées dans un vent d’impertinence et de folie (douce).
Le concept de cette série est de faire se rencontrer à l’écran tout un peuple de bestioles plus bizarres les unes que les autres appelées trakazoaires avec une famille d’humains, en chair et en os. Ainsi, chaque épisode met en scène un ou plusieurs membres de cette famille aux prises avec un tracas et le fauteur du trouble ! Tout ça dans un esprit un peu cartoon.
D’où est venue cette idée folle ?
On pourrait dire que tout part d’une rencontre, celle d’Isabelle Lenoble et Julien Leconte à Vivement lundi !, où Isabelle, fraîchement débarquée à Rennes, vient présenter le teaser de L’île à Lili. Julien est emballé : « c’était la première fois que je voyais quelqu’un venir avec de la 2D un peu pêchue et très drôle, comme j’aime ! À l’époque ce n’était le style d’aucun studio rennais. » C’était il y a une quinzaine d’années. Julien se dit plutôt technicien, il est animateur. Isabelle crée des concepts et des univers graphiques qu’elle vend, et fait en sorte de les réaliser.
Isabelle dit de Julien que sa façon d’aborder l’animation tient autant de la physique que de la peinture. Julien dit d’Isabelle qu’elle est intuitive, créative et réaliste à la fois dans sa façon de développer les projets. Et tous les deux sont d’accord pour dire que ce qui les anime, c’est de se faire rire : « la base c’est la blague ! » s’exclame Isabelle.
Après une première collaboration sur « L’île à Lili », ces deux-là ne cesseront plus, ensuite, de naviguer dans les mêmes eaux, pas loin de la Vilaine. « On a des univers communs et on rigole des mêmes choses, même si parfois ça diverge », confie Julien. Pour Isabelle, « trouver un binôme, c’est compliqué ! On pense qu’on peut travailler ensemble sur la base de quelques affinités, alors que ça n’a rien d’évident ! C’est vraiment rare et précieux. Et maintenant qu’on a passé le cap des 7 ans, on est sauvés ! ».
Isabelle et Julien en tournage. Au centre Anton Miossec, l’un des interprètes de la série © Vivement Lundi !
On pourrait dire que tout commence en 2008, un moment creux où « nous nous sommes mis à réfléchir à ce qu’on pourrait faire avec ceux de notre entourage qui ne travaillaient pas à l’époque, et nous avons décidé que ce serait un truc avec des bestioles », raconte Julien. « J’avais depuis longtemps envie de faire quelque chose qui se rapprocherait du faux documentaire et de filmer à ras du sol, de me plonger dans un univers miniature et de l’observer. D’adopter un autre point de vue ». Isabelle aussi était tentée par cet univers miniature et l’idée d’un bestiaire ; leur première réflexion excluait les humains : « Mon univers depuis toujours, c’est les bestiaires… du bestiaire débile. Dès le premier pitch on partait dans une sorte de faux documentaire animalier, en effet, puis nous avons créé ce rapport aux soucis humains. Très rapidement, Amandine Gallerand est venue se greffer sur le projet. Elle a travaillé avec nous un long moment, avant de partir travailler sur sa propre série, Bienvenue à Bric-à-broc. »
« Nous avions vraiment la volonté de travailler avec les compétences du crû rennais, toutes les personnes que l’on connaissait et qui pour beaucoup étaient des amis avec qui nous travaillions régulièrement », se souvient Isabelle. C’est donc Mathieu Courtois et Jean-François Le Corre de Vivement lundi ! qui s’engagent et partent présenter le projet à la grand messe des chaînes de télévision européennes, le Forum Cartoon de 2013. Et c’est un carton ! France Télévisions est tout de suite intéressée et un an plus tard, c’est-à-dire très rapidement, la série entre en production.
Nous sommes en novembre 2014 et Isabelle et Julien se mettent à l’écriture de 26 épisodes de la série avant que l’on confie les 13 autres à « un tout petit pool de scénaristes », raconte Isabelle, « ce en quoi on a vraiment eu de la chance ! Nous avons aussi eu la très grande chance que Mathieu Courtois et Jean-François Le Corre nous permettent d’écrire tous les deux et nous laisse du temps pour ça. C’est rare, alors que c’est important pour la série, les choses ne nous échappent pas de la même manière et on garde une cohésion, y compris dans l’humour. »
Il y a un peu plus d’un an, c’est au tour des bestioles et des différents univers d’être pensés, designés, storyboardés. « Chaque étape est décisive, c’est une question d’univers qui se rencontrent. Scénaristes, storyboarders, designers, tous ramènent un univers singulier et il faut prendre garde à ne pas laisser le ton d’un épisode vous échapper ! » souligne Isabelle. « Le board a un impact décisif sur le rythme, le design de la bestiole donnera un esprit réaliste ou cartoon à l’épisode… tout cela influe de manière déterminante sur ce qu’on voit à l’écran et on ne dit pas la même chose. Il a donc fallu que nous accompagnions chaque intervenant à chaque étape. »
Une image du making-of de la série © Vivement Lundi !
La fiction, autrement dit le tournage en prises de vue réelles, s’est entièrement déroulé à Bordeaux (1) et a duré 7 semaines. À entendre nos deux compères, c’est sans conteste le plus gros défi qu’ils aient eu à relever et la partie la plus compliquée à gérer pour eux. Mais n’est-ce pas le cas de toutes les premières fois ?… Selon Julien, « c’est un autre monde qui n’a rien à voir avec l’animation.
Nous avons d’abord fait passer un casting et choisi nos acteurs, et de ce côté-là, nous avons eu de la chance, ils ont vraiment été chouettes ! Nous avons dû nous projeter en fonction des personnages que nous avions créés et dont on connaissait vraiment bien le caractère. Et nous avons fait les bons choix ». Presque toute la distribution est girondine. Pour ce qui est du plateau technique, « notre problématique était que nous n’avions jamais réalisé de fiction », se souvient Isabelle. Pour Julien, « la transition entre les libertés de l’animation (auxquelles on était habitué), et la réalité de la fiction a été un cap assez dur à franchir : par exemple, on ne fait pas tomber un acteur en chair et en os comme un personnage de dessin animé, ou alors mieux vaut avoir une ambulance ou un bon kiné à proximité… Un cap d’autant plus difficile qu’on a eu une série de soucis dès le premier jour de tournage ! ».
Les Soucis sans la science
Voilà donc une série qui porte bien son nom et explore son sujet jusque dans la réalité de sa fabrication ! Sur le tournage, entre une caméra qui n’a pas fonctionné le temps du tournage dès le premier jour, le formatage des images d’une demi-journée de travail, les caprices de la météo et la location d’une voiture trois portes alors que la scène nécessitait une portière arrière… « c’était épuisant ! » pour notre duo de chocs soumis au rythme effréné d’un tournage à deux équipes, jour-nuit, par moments… Isabelle rappelle que « tout est storyboardé et que l’on ne peut pas s’adapter comme dans la fiction. Les problèmes que nous avons rencontrés pouvaient remettre en question un gag ou tout un épisode. Or, il est inenvisageable de remettre en question tout un mois de travail de storyboard sur un épisode en seulement deux heures sur le tournage ! » Au retour, la loi des séries ne s’est pas interrompue : pannes d’électricité, virus informatique, et même des fourmis volantes sur le plateau de shooting photo!… Autant de tracas mais sans trakazoaires cette fois !
Heureusement, il y a nos amies les bêtes
Isabelle : « Nous avons voulu tenter plein de techniques différentes appliquées à nos bestioles, les mélanger, et nous avons globalement bien réussi : elles sont soit en 2D avec des textures, des effets de matières, soit en 3D (2), ce qui leur donne un ancrage plus réaliste.
Un Proutocho sévit dans cette pièce ! © Vivement Lundi !
Notre bestiaire est aussi gigantesque que macroscopique ; le plus gros, c’est une paire de jambes de 3 ou 4 mètres ! ».
Voilà donc presque deux ans que le binôme travaille sans cesse à cette « Science des soucis » qui leur en aura donnés, et leur aura demandé une certaine endurance… En janvier prochain, les 39 épisodes – que Mathieu Courtois compare à 39 courts-métrages – seront dans la boîte, la série livrée à France TV pour une diffusion sur France 4. Isabelle et Julien seront certainement heureux d’en voir le bout, mais en attendant, le sentiment général est positif, notamment grâce aux équipes mobilisées sur le projet.
« Nous avons un budget « classique » pour une série d’animation de ce format là… sauf que ce n’est pas une série classique donc c’est un peu dur, mais je suis contente car tout le monde a mis de la bonne volonté pour qu’elle se fasse. J’espère simplement que la prochaine fois, on pourra faire avec un peu plus de moyens ! » conclue Isabelle, tout sourire.
Gaell B. Lerays
(1) La série est soutenue par la région Nouvelle Aquitaine, notamment (cf encadré).
(2) Toute la 3D se fait à Lille, dans les studios du coproducteur de la série, Tchack.
L’éclairage de Jean-François Le Corre sur les étapes-clés de la production :
« Après le succès du pitch au Cartoon Forum 2013, nous avons pu réunir un solide budget de développement de 170 000 €. Ce budget a permis aux auteurs de pousser au plus loin leur écriture. La production de la série comportaient plusieurs difficultés : le choix d’une technique hybride qui imposait un tournage « live » et complexifiait la post-production ; la multiplication des trakazoaires rendait impossible les économies d’échelle ; la cible ado-adultes rendait la coproduction internationale complexe du fait d’une frilosité initiale des diffuseurs étrangers qui n’ont pas de cases pour de l’animation qui ne soit pas destinée à un public de moins de 12 ans.
Nous avons opté pour une production franco-française. Pour réunir les 2,4 M€ du budget, nous n’avions pas le droit à l’erreur. Nous avons cumulé les apports de France Télévisions Jeunesse et un MG du distributeur France Télévisions Distribution, le soutien du CNC via le COSIP Animation et l’engagement de trois régions : la Bretagne (via le fonds FAR), la Nouvelle Aquitaine où nous avons tourné la fiction et les Hauts de France via une coproduction avec le studio Tchack. A deux mois du début de tournage, nous avions encore un déficit de financement de 250 K€ et c’est l’aide aux Nouvelles Technologies en Production (du CNC) qui nous a permis de couvrir une partie de ce risque : le projet a été un coup de cœur pour cette commission sélective et soutenu à hauteur de 200 K€ ! ».