Après Annecy et le succès retentissant de Louise en hiver, le dernier long métrage d’animation de Jean-François Laguionie produit par JPL Films, la société rennaise n’en finit pas de mériter l’actualité. Une série hybride signée du grand réalisateur argentin, Juan Pablo Zaramella, mettant en scène l’homme le plus petit du monde, est en cours de tournage dans leurs studios. Avant les plateaux, une équipe de 5 personnes s’est occupée de définir un monde de cinéma presque identique au nôtre pour accueillir ces 15 centimètres de différence. Parmi eux, l’accessoiriste et décoratrice Isabelle Milbeau, et le chef opérateur Fabrice Richard.
Le plus petit homme du monde serait argentin et de passage à Rennes ! Voilà qui mérite un détour. Rendez-vous était donné rue d’Echange – la bien-nommée – avec Isabelle Milbeau et Fabrice Richard pour en parler. Elle y habite avec Vincent Chasse, story-boarder de son état, et entrepose dans sa cave tout un tas d’accessoires prêts à l’emploi ; lui tient commerce de location de matériel audiovisuel sous l’enseigne Arwestud-Films, dans des locaux situés quelques fenêtres plus bas. Le décor est planté.
Isabelle Milbeau et Fabrice Richard © Gaell B. Lerays
Isabelle exerce la profession de décoratrice et d’accessoiriste depuis une dizaine d’années et partage son temps entre l’opéra, le théâtre, la pub et le cinéma. Ses études d’anglais et d’histoire de l’art lui servent aujourd’hui dans son métier, presque autant qu’un réseau impressionnant qu’elle doit à un capital sympathie immédiat… et un peu d’entretien. S’il a pu faire un détour de deux ans par l’agroalimentaire après le bac, Fabrice n’a jamais rêvé d’autre carrière que celle qu’il échafaude sans plan depuis ses 14 ans et les premiers films Super 8 – « je me suis vite dit que ma passion du cinéma et des caméras était plus forte que les fesses des vaches, même si j’aime beaucoup cet animal hautement placide », précise-t-il. Fabrice (1) est chef opérateur sur des projets de natures variées, intermittent depuis sa première année dans le métier et se définit comme quelqu’un de créatif, intuitif, fureteur, rapide et très bricoleur : « Je mets très peu de temps à trouver des solutions simples et efficaces, je vois immédiatement ce qu’il faut faire, je le fais et c’est bon dans 99% des cas. Je pense que c’est ce qui fait que les gens aiment bosser avec moi. Je mets ça sur le compte de mon expérience et de ma personnalité : j’aime faire des choses efficientes, avec un beau résultat ; et qui collent à ce qu’on m’a demandé, car je ne fais jamais des images pour moi. » Ni l’un ni l’autre ne sont donc spécialisés dans l’animation même si et l’un et l’autre y ont déjà travaillé : Isabelle s’est occupée des accessoires pour des films ou séries d’animation à trois reprises pour JPL Films, et toujours en décors réels ; Fabrice a mis en lumière presque tous les films de Bruno Collet, un certain nombre de ceux de Laurent Gorgiard, et quelques publicités animées. Il dit aimer le travail en plateau, très différent des prises de vue réelles : « On recrée complètement un monde en miniature, et on a du temps pour peaufiner chaque plan. On doit aussi relever des défis techniques invraisemblables ! ».
Pour la série de Juan Pablo Zaramella (2), Fabrice n’aura pas bénéficié de ces conditions-ci de travail puisque Isabelle et lui ne se sont occupés que des tournages en prises de vue réelles.
© Juan Pablo Zaramella
On a fait connaissance, quid de ce tout petit homme maintenant ? D’abord, c’est une drôle de marionnette animée de 15 cm de haut, chapeau melon compris ; un bonhomme aussi petit que son créateur est grand et qui vit comme lui, et comme nous, dans un monde qui malheureusement pour lui, et pour nous, n’aime rien tant que le nivellement ! Ce petit homme vit notre vie, au milieu de vraies personnes. Chacun des 52 épisodes de la série le cueille dans une situation cocasse et forcément compliquée à appréhender pour lui, mais qui jamais ne le trouve abattu ou découragé. Du point de vue du cadre, la série répond à un concept que Fabrice nous expose : « Le postulat de base est très clair et on s’est tout de suite mis d’accord sur les intentions : la vie du petit homme s’inscrit dans la vie réelle et normale, il n’était pas question d’enjoliver quoi que ce soit. L’univers de la série est naturaliste ; c’est éclairé bien sûr, mais sans en avoir l’air. La lumière naturelle est souvent la plus belle, il suffit d’être là au bon moment et savoir la capter, la diriger, voire la récupérer un peu. Et puis pas de son direct. Un fond musical et des bruitages. » Les décors des 26 premiers épisodes qu’Isabelle a dénichés avec le concours d’un repéreur, Jean-Charles Foubert (3), presque tous en Ille-et-Vilaine, ont donc pour vocation de rester ce qu’ils sont. Pour les accessoires, même absence de traitement exception faite des objets que le petit homme tient dans sa main et qui, eux, ont dû changer d’échelle et donc être fabriqués à sa toute petite mesure. Quant aux figurants, personne n’aura eu l’idée de les rétrécir…
Scénario, story-board et marionnette ont servi de base de travail à l’équipe en attendant le réalisateur. Juan Pablo Zaramella n’étant arrivé en France que trois jours avant le tournage, les mises au point se sont faites à distance, chaque validation de décor ou de proposition technique ponctuée d’un « great » galvanisant. « Quand Juan Pablo est arrivé et a sillonné les décors, il a parfois voulu en changer et nous avons dû nous adapter ; mais ça n’a pas été difficile tant il est enthousiaste et créatif. Il ne travaille jamais dans le stress. Et il a beaucoup d’humour », se souvient Isabelle. Et Fabrice d’enchérir : « J’estime avoir eu beaucoup de chance de travailler avec un réalisateur aussi bon, à tous les niveaux. Il s’est montré hyper constructif, très précis sur ses choix tout en restant ouvert à la discussion. C’est quelqu’un qui, une fois qu’il a pris une décision, ne doute jamais. »
Chaque épisode d’une minute place le plus petit homme du monde dans une situation décalée
Une fois Isabelle pliée en 4, Fabrice en 8 et Juan Pablo en 12 pour se mettre à sa hauteur et offrir 52 cadres de vie à ce si petit homme, il ne restait plus qu’à passer la marionnette à l’équipe d’animateurs qui sont entrés en plateau depuis pour tourner la moitié de la série (l’autre moitié de l’animation étant confiée aux Argentins de JPZ Studios). Isabelle raconte avoir eu de nombreuses réunions avec l’équipe d’animation tout au long du tournage « pour faire le point sur les accessoires et les décors à construire, les éléments en fond vert pour éviter les faux raccords. J’ai également tenu des listes d’objets loués, prêtés, ou construits, que je leur ai remis en partant ». On devine de quelle extrême rigueur il faut faire preuve quand on doit passer le relais pour des exercices à ce point dépendants et complémentaires. Côté image, rien à envier à la déco : « Le tournage a été des plus agréable, mais il a aussi été extrêmement technique ! Il a fallu que Quentin Lemouland, mon assistant, note tout à chaque prise de vue et que chaque plan soit d’une précision chirurgicale : hauteur, emplacement de la caméra, distance de la mise au point, distance de la caméra au petit homme, ouverture du diaphragme, focale, directions de lumière, etc… tout était consigné pour servir de bible à Fabien Drouet et à l’équipe d’animateurs qui sont maintenant en train d’incruster le personnage dans les décors qu’on a en boîte ! Ils sont eux dans une reproduction obligatoire pour chaque plan ! », relate Fabrice.
Les animateurs en plateau s’attachent donc à ce que ces deux univers s’interpénètrent afin que ce plus petit homme du monde s’intègre dans les décors pensés pour lui et qu’il existe bel et bien sur nos écrans à l’automne prochain sur France 4. Toute la postproduction est réalisée à Rennes.
Isabelle et Fabrice sortent tous les deux enchantés par ce beau projet et par une expérience riche qui au long des 7 semaines de tournage s’est transformée en véritable aventure humaine, « ce qu’on ne vit plus si souvent aujourd’hui », regrette Fabrice, avant de conclure : « C’est mon plus beau projet cette année ».
Gaell B. Lerays
(1) Fabrice Richard est aussi réalisateur. Outre trois courts-métrages 16 mm restés à l’état de bobines et qui n’ont jamais été distribués, il a réalisé trois documentaires dont un projet personnel intitulé Au bout du rail et produit par Candela productions en 1999.
(2) Juan Pablo Zaramella est réalisateur de courts-métrages d’animation (tous primés, dont Luminaris, un film en stop motion datant de 2011 et couvert de plus de 300 prix internationaux ! Pour découvrir son univers, rendez-vous ici : http://www.zaramella.com.ar/site/video
(3) Un mois plus tard, l’aventure continuait avec Benjamin Clauzier qu’Isabelle avait fait embaucher pour la remplacer. Elle a toutefois continué à prêter main forte sur les 26 épisodes suivants, allant même jusqu’à jouer les voyantes pour ce petit personnage dont il paraît vain d’essayer de se détacher !…
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La série est coproduite avec les Films de l’Arlequin pour France Télévisions, avec le soutien du CNC, de la Région Bretagne, de la Procirep-Angoa.