26 réalisateurs s’animent pour coucher les animaux


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Fabien Drouet © Elodie Gabillard


Marmotte, pieuvre, chauve-souris, éléphant, couleuvre, depuis quelques semaines la société de production rennaise JPL Films s’est transformée en véritable Arche de Noé. Pour seul déluge à l’horizon  : la réalisation de 26 épisodes animés relatant les rites du coucher d’autant d’espèces animales. Une co-production franco-ibérique pour laquelle 13 réalisateurs français et 13 réalisateurs portugais se sont jetés à l’eau  !

«  Sais-tu d’où vient l’expression ‘coincer la bulle’ ? ». Avec ses cheveux roux et sa polaire tachée de peinture, Fabienne Collet est presque aussi colorée que le magnifique poisson perroquet qu’elle tient entre ses mains. «  Le poisson perroquet sécrète une bulle de salive dans laquelle il se réfugie pour dormir. » Reposant l’animal qu’elle a elle-même fabriqué à partir de noyau de balsa et de fils d’aluminium, la réalisatrice et décoratrice se remet au travail  : sur son établi l’attend la tête d’un bébé paresseux dont le pelage est encore trop soyeux. « C’est que le corps d’un paresseux est recouvert de puces et de parasites, intervient Fabien Drouet. installés dans la fourrure, leurs déjections favorisent la pousse de petits végétaux qui vont colorer légèrement le pelage et permettre ainsi au paresseux de se fondre dans la nature ». À JPL Films, depuis que le projet « Crias » est lancé, les réalisateurs sont devenus de véritables zoologues  ! Et pour cause, sous ce mot portugais qui signifie «  progéniture  » se cachent 26 épisodes d’animation racontant les rites du coucher d’autant d’espèces animales.

À destination des petits, cette série non dialoguée, en tournage, est le fruit d’une collaboration franco-portugaise. À l’initiative du projet, le collectif Vidéolotion, une production lusitanienne qui souhaite développer un contenu informatif et documentaire via une approche esthétique originale. Inspiré des « pastilles télévisuelles » qui traditionnellement accompagnent les enfants portugais à l’heure du coucher, Crias est aussi l’occasion de réveiller un partenariat entre deux pays  : « Il y a 25 ans, explique Camille Raulo, productrice chez JPL Films, Jean-Pierre Lemouland et Abi Feijo avaient lancé, sous la forme d’un échange franco-portugais, une formation au cinéma d’animation de 9 mois à laquelle six jeunes réalisateurs bretons et six jeunes réalisateurs portugais avaient participé. Alors, quand José Miguel Ribeiro, ancien stagiaire et producteur chez Praça Filmes – autre structure partenaire-, nous a contactés pour nous associer à ce projet, nous nous sommes montrés enthousiastes. »

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Fabienne Collet © Elodie Gabillard


Pour mener à bien la réalisation de ces 26 épisodes, 13 réalisateurs portugais et 13 réalisateurs bretons sont sollicités. « Ce qui nous a paru primordial, reprend Camille Raulo, c’est d’intégrer plusieurs générations d’artistes pour permettre à de nouveaux talents d’émerger. Une manière aussi de répondre à l’esprit mis en place il y a 25 ans. » Les synopsis ont été confiés à deux biologistes et éthologues, l’une française, l’autre portugaise, qui ont listé plusieurs espèces animales dont les habitudes du coucher se distinguent. « Les petits crocodiles, par exemple, se reposent dans la gueule de leur mère. Les loutrons, quant à eux, s’endorment emmaillotés sur le ventre de la loutre.autant de situations à nos yeux intéressantes tant sur le plan informatif que sur celui de la mise en scène… »

Optant pour l’animal de son choix et la technique qui l’inspire, chaque artiste réalise un épisode de 1’45. « Travailler sur le paresseux, je ne pouvais pas espérer mieux  ! » se réjouit Fabien Drouet qui a choisi une animation traditionnelle image par image. Tandis que les feuilles de cécropia – nourriture de prédilection du mammifère- en papier de soie armaturé envahissent peu à peu le studio de tournage, le réalisateur installe délicatement la bête sur sa branche. « Ce projet génère beaucoup d’émulation et permet à différents corps de métiers de travailler ensemble. Par exemple,j’ai demandé à Fabienne Collet de m’aider sur la partie décoration. En échange, j’interviens sur le shooting du poisson perroquet.  »

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© Elodie Gabilard


Une collaboration qui, regrette Camille Raulo, a du mal à dépasser les frontières  : « C’est vrai que nous aurions aimé plus d’échanges entre les réalisateurs portugais et les réalisateurs français mais nous ne sommes pas sur les mêmes rythmes de production. Et, cela peut encore évoluer. »

Pas toujours évident, non plus, d’accorder les violons entre les différentes productions  : «  Il y a une tradition portugaise qui consiste à mettre de la musique sur toute la durée de l’épisode. Nous, on trouve que ça dessert donc on ajuste. » Mais devant ces quelques difficultés, les productions restent confiantes. Financés, côté français, par la Région Bretagne, les chaînes locales bretonnes  (dans le cadre du COM2) et le CNC, ces 26 épisodes seront diffusés sur la Radio-Télévision du Portugal et devraient également trouver une place dans Na Petra ta, la nouvelle émission de France 3 Bretagne en remplacement de Mouchig dall.

Elodie Gabillard