20 ans + 1 : C’est à Quimper que le Celtic Media Festival revient !


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Du 2 au 4 juin 2020 devait se tenir à Quimper la 41e édition du Celtic Media Festival. Sans surprise, l’évènement physique est reporté, tandis que les œuvres en compétition resteront, elles, jugées et dotées. Ce retour en grâce de la manifestation dans la capitale de la Cornouaille, après vingt ans d’une si longue absence en Bretagne, n’en vaut pas moins le détour (virtuel), et un papier. Ne serait-ce que pour tenter de mieux définir de quoi il retourne exactement, tant il semble évident que l’évènement, d’importance pour les pays celtes, reste confidentiel en France, et, jusqu’à ces dernières années, peu couru par les professionnels bretons de la filière. Un papier, aussi, pour célébrer la sélection des huit œuvres régionales en compétition… Et pour préparer les esprits aux prochaines cousinades celtiques, qui auront donc lieu à Quimper à N+1, en avril 2021.
   

 

Un peu d’histoire…

C’est en 1980, à South Uist et Benbecula, deux îles des Hébrides, en Écosse, que la première édition du Celtic Media Festival était lancée, une aventure dont personne ne pouvait présumer, sans doute, qu’elle aurait encore cours quelques quarante années après. Elle embarquait à son bord les 6 nations dites celtes[1], et elle était pensée dès l’origine comme un point d’étape et de rassemblement annuel pour les producteurs et les diffuseurs de ces territoires, lesquels ont en partage une histoire, une culture et des langues – celtiques, le galicien excepté ; mais aussi des valeurs, des œuvres et des programmes qu’il leur importait déjà de promouvoir, défendre, produire (mieux), et faire plus largement circuler. 500 programmes toutes catégories confondues sont aujourd’hui soumis au bureau du festival pour 130 œuvres retenues en compétition cette année.

Ainsi, depuis sa fondation, le CMF se tient-il sur l’un des territoires de cette sphère linguistique, différent chaque année, et donne-t-il l’opportunité aux acteurs du monde de la télévision, du cinéma, de la radio et, dorénavant, des nouveaux médias, de faire connaître leurs productions (sans qu’elles soient diffusées, d’où le nombre et la diversité des programmes sélectionnés), d’envisager l’avenir en termes de coproductions, de ventes et d’achats, autrement dit de faire leur marché.

Car plus qu’un festival, le CMF ressemble fort à n’importe quel marché du secteur : un accès réservé aux professionnels exclusivement ; l’organisation de rencontres, conférences et masterclass réputées de haute volée ; la tenue de séances de pitchs et l’occasion d’annonces et de lancements – de nouveaux fonds récemment, tel le Fonds de développement interceltique en 2018[en savoir +], ou de nouveaux partenariats, par exemple avec le Canada[en savoir +]… Tout cela sans compter avec les bruits de couloir, les croisements par hasard et les petits déjeuners, facilitateurs d’échanges et de paroles données…

Jean-François Le Corre, producteur à Vivement lundi !, connaît bien le CFM, auquel il s’est rendu pour la première fois en tant que jeune producteur chez Lazennec Bretagne. C’était en 1993, pour une édition lorientaise : « à l’époque, c’était un festival incontournable en Bretagne et les producteurs régionaux ne manquaient pas l’occasion d’y inscrire leurs œuvres ». Ils y remporteront même quelques prix[2]
Mais au fil des années, ce qu’il dit assimiler à « un FIPA des langues celtiques, intégrant à la fois la télévision, le cinéma, la radio et les nouvelles écritures », a vu les Bretons déserter…

Les choses ont changé en effet, et il est difficile de savoir exactement comment et pourquoi alors, le lien s’est défait. Il y a bien cette édition 2002 à Quimper, un mauvais souvenir suite à un montage financier hasardeux, et qui marque une distance entre le CMF et la Bretagne, suivie d’une moindre participation des acteurs concernés aux éditions suivantes.

Une lassitude, peut-être, à inscrire des œuvres, sachant l’inscription payante, sans rien y gagner en échange de concret : « c’était l’un des rares festivals où l’on inscrivait des films, recevait des prix, sans finalement obtenir d’exploitation dans les territoires concernés. Ça ne se passe pas comme ça ailleurs. Il y eut un temps où les Bretons n’étaient pas au niveau des productions des autres pays présents, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Nous nous sommes diversifiés et nous avons appris à bien mieux produire. Force est de constater qu’on ne nous attendait pas…« , se souvient Jean-François Le Corre.

Jules Raillard, producteur chez Les Films de Rita et Marcel, parle lui aussi d’un manque d’intérêt et de débouchés en termes de développement ou de vente pour la production bretonne, avec des acteurs qui ne jouent pas dans la même cour en termes économiques : « nous ne sommes pas grand-chose par rapport à eux« , admet-il. « Les chaînes celtes, pour la plupart régionales[3], jouissent de moyens équivalents à des chaînes comme France 5 ou Arte chez nous. Et je présume qu’il y a un peu de diplomatie dans la sélection régulière de nos œuvres en compétition, même si elles sont aujourd’hui de très bonne qualité en termes de réalisation et de production ».

Il faut dire que la langue (c’est-à-dire l’anglais), la proximité culturelle et géographique, des modes de fonctionnement similaires et une histoire professionnelle plus ancienne unissent les pays les plus importants de cette sphère en termes de production et de diffusion audiovisuelles, et que tout cela relègue la Bretagne à la marge des tractations, des échanges, et de la compétition. Nous serions en quelque sorte le plus éloigné des cousins dans une famille qui existerait néanmoins bel et bien, avec un socle historique et des valeurs fortes en commun. Un lien, dont il importe de (re)prendre soin. Et de nouvelles cartes à jouer, d’autant plus que le Brexit s’est invité à la table, ou que le Royaume-Uni l’a quittée… 

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Délégation bretonne au CMF à Llanelli en 2018 © Celtic Media Festival

 

Plusieurs motifs ont en effet concouru à un regain progressif d’intérêt pour le CMF de la part des professionnels bretons (et vice versa), à commencer par l’arrivée de Mael Le Guennec à France 3 Bretagne en 2014, en charge des programmes en langue bretonne. C’est lui qui donne l’impulsion à ce retour en nombre (de programmes inscrits et de professionnels qui l’ont suivi) : après une édition à laquelle il se rend en reconnaissance en 2015, c’est accompagné d’une délégation de plus en plus nombreuse et éclectique que le Lorientais repart chaque année, depuis 2017 en particulier. Il faut dire qu’il est parfaitement trilingue français-anglais-breton, et connaît assez bien le gallois pour avoir vécu un an au Pays de Galles !
Convaincu qu’il y a beaucoup à gagner à se rapprocher d’une « famille » avec laquelle on a tant en commun, plutôt que d’aller chercher ailleurs les ressources dont on a besoin, et certain que nos savoir-faire et nos outils en matière de coproduction internationale ont fait leurs preuves, Mael convainc : les producteurs, Films en Bretagne, les chaînes locales, mais aussi la Région qui rejoint la délégation à Llanelli en 2018, au Pays de Galles. C’est quelques mois après la signature d’un nouvel accord de coopération Bretagne-Wales, qui comprend mais dépasse la question culturelle. Un autre accord de coopération est d’ailleurs en cours de discussion avec l’Irlande, des accords qui visent un rapprochement celtique aussi heureux qu’opportun à l’heure du Brexit.

 

Et un peu d’actualité…

La conjoncture à la fin des années 2010 est donc redevenue favorable à de nouvelles coopérations entre les pays celtes et la Bretagne. Les motifs et les signes se multiplient, qui incitent à la confiance. L’arrivée de Catriona Logan à la tête du festival en 2011 a donné de nouvelles impulsions et plus d’ouvertures. Les plateformes SVOD obligent les chaînes de télévision celtes à chercher de nouvelles ressources pour la coproduction, en particulier en fiction.

La production bretonne est résolument ambitieuse et qualitative et elle entre désormais en résonnance avec les attentes de ses chers cousins – comme c’est le cas de l’animation en Bretagne (Vivement lundi ! compte TG4 et BBC Alba parmi ses « clients » ; JPL Films, la télévision galicienne), et comme c’est le cas de Fin Ar Bed, la série en langue bretonne produite par Lyo Productions et Tita B Productions, dont la deuxième saison devait ouvrir l’édition quimpéroise du CMF et dont la stratégie de production pourrait montrer l’exemple[4].

fin ar bed

Les accords de coopération, ainsi que les conséquences à prévoir du Brexit encouragent à de nouvelles perspectives de partenariats et de co-développements internationaux. L’édition quimpéroise en 2021, enfin, en faisant de la Bretagne le cœur battant de l’évènement, permettra une encore meilleure identification des professionnels bretons, et de leurs productions !

Une nouvelle page de notre histoire interceltique s’ouvrira l’an prochain sur ce qui semble être la volonté de chacune des parties : envisager un avenir professionnel commun. Pour cela, il faut continuer « d’occuper le terrain et d’entretenir des relations qui pourront déboucher sur des coopérations. Il faut qu’on apprenne à travailler avec d’autres sphères que la sphère latine en Europe, si l’on veut monter des projets ambitieux », affirme Jean-François Le Corre. « Un rapport de coproduction, avec des partenaires fiables, ça peut prendre quatre à cinq ans parfois, le temps de trouver des protocoles de travail, de faire le tour des fonds d’aide, etc. ».
Lui s’intéresse en particulier à l’Irlande, laquelle a beaucoup investi ces dix dernières années dans l’animation, « et peut tout à fait s’avérer intéressée à travailler avec un studio comme le nôtre », ajoute-t-il.

Jean-François Bigot et Camille Raulo de JPL Films ne disent pas autre chose : « ce qui est important dans ce type de marché, c’est de s’inscrire dans la durée. C’est une opportunité supplémentaire de développement, que l’action volontariste de la Région facilite vraiment, mais qui demande qu’on prenne le temps de se faire connaître »
Mael Le Guennec, lui, pousse l’optimisme un cran plus loin : « aujourd’hui, il n’y a plus à faire connaissance, et on se fait confiance. On aura des projets ensemble, on en a les moyens, et le savoir-faire. Reste à trouver quels projets et dans quelles conditions de production ».

En attendant la concrétisation de ces vœux et l’opportunité, peut-être, d’entrer encore un peu plus objectivement dans la danse des coopérations interceltiques à Quimper en avril 2021, il reste à célébrer la présence cette année de huit[5] œuvres bretonnes en compétition, concourant dans 7 des 24 catégories que comprend le CMF. Combien de Torcs pour la Bretagne ? Réponse en ligne, sur le Facebook live du festival, ce jeudi 11 juin à 20h05 [voir le palmarès breton].

Gaell B. Lerays


[1] L’Écosse, L’Irlande, le Pays de Galles, la Bretagne, l’Île de Man, et les Cornouailles, rejointes plus tard par la Galice.

[2] Torc du meilleur film d’animation pour Court-circuit, de Laurent Gorgiard, en 1997 (Lazennec Bretagne) ; pour Le Cyclope de la mer de Philippe Jullien, en 1998 (JPL Films) ; pour Le Dos au mur, de Bruno Collet, en 2002 (Vivement lundi !) et pour Dimitri à Ubuyu, d’Agnès Lecreux, en 2016 (Vivement lundi ! / Beast Animation/ Nadasdy Film). Torc du meilleur programme éducatif en 2001 pour la série Petra’larez, collectif (Vivement lundi ! / JPL Films / TV Breizh).

[3] Les principales chaînes de télévision celtes sont régionales – BBC Alba (Écosse), BBC Wales et S4C (Pays de Galles), BBC Northern Ireland (Irlande) – ou nationales – RTÉ et TG4 (Irlande). TVG (Galice), est également régionale.

[4] Présentée en 2017 au CMF, la saison 1 de Fin ar Bed, avec, déjà, un double ancrage entre la Bretagne et l’Outre-Manche en sous-texte, a retenu l’attention des diffuseurs gallois ; BBC Wales a déjà acquis cette première saison. S4C s’intéresse elle aussi de près à la série. La 2e saison voit une actrice galloise d’origine (vivant en Bretagne), Blathin Allain, rejoindre la distribution en première ligne. Une cohérence scénaristique dont nous ne pouvons pas révéler tous les tenants alors que la 2e saison n’est pas encore sortie, mais dont Fred Prémel dit qu’elle a naturellement « poussé vers une recherche de partenaires au Pays de Galles ». L’édition 2020 du CMF devait d’ailleurs permettre de finaliser un préachat de la saison 2 par les Gallois, négociations, de facto, reportées. « Nous comptons sur une présentation de la série aux diffuseurs gallois lors du CMF 2021. Quant à la troisième saison – suite et fin – de Fin ar Bed, nous envisageons une partie importante du tournage au Pays de Galles. Nous nous sommes déjà rapprochés de deux sociétés de production galloises, en vue d’une coproduction. »

[5] Vivement lundi ! avec Mémorable, de Bruno Collet, le film d’animation breton au mille et un succès ! / JPL Films en coproduction avec France 3 Bretagne dans la catégorie Enquête d’une part, avec Bretagne radieuse, de Larbi Benchiha, un documentaire de 52′ sur les mines d’uranium dans la région de Pontivy et leur impact encore aujourd’hui ; dans la catégorie Jeunesse d’autre part, avec Na Petra’Ta, une émission jeunesse en langue bretonne aux contenus scientifiques présentés de manière à la fois ludique et pédagogique / France 3 Bretagne encore avec trois autres documentaires en langue bretonne : l’un inscrit dans la catégorie Histoire – Ur skol evit an emsav, de Yowan Denez – l’autre dans la catégorie documentaire – Yann-Fañch Kemener, tremen en ur ganan, de Ronan Hirrien, un portrait intimiste de l’artiste réalisé juste avant sa mort ; et enfin, un autre film signé Ronan Hirrien, Aneirin Karadog, barzh e douar ar varzhed, dans la catégorie Arts / Carrément à l’Ouest concourt également dans la catégorie Histoire avec un documentaire de Philippe Guilloux, 39-45, la Bretagne sous l’occupation / Les Films de Rita et Marcel enfin sont en lices pour le Torc du Programme Court avec la deuxième saison de On K’air, réalisé par Jules Raillard et également coproduit par France 3 Bretagne.
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