Sous un magnifique soleil, en Centre-Bretagne, les 13e Rencontres du film documentaire de Mellionnec se sont tenues du jeudi 27 au dimanche 30 juin. Entretien avec le directeur de Ty Films, Jean-Jacques Rault, et la coordinatrice des actions vers les professionnels, Elise Demarbre, pour dresser un premier bilan à chaud du festival. L’occasion d’évoquer les coulisses et l’état d’esprit de cette manifestation devenue incontournable dans le paysage cinématographique breton.
Avez-vous eu le temps de faire un bilan à chaud des Rencontres ?
Jean-Jacques Rault : Oui ! En terme de fréquentation, globalement, c’est stationnaire par rapport à l’année dernière. On est sur le même volume de personnes avec un peu moins d’entrées en salle. C’est certainement dû à la canicule ! On comptabilise 3500 entrées. Il y a deux vagues ; une qui démarre le jeudi soir jusqu’au samedi, avec beaucoup de professionnels présents ; une autre vague de festivaliers qui arrivent le vendredi et qui partent le dimanche ce qui assure une stabilité en terme de fréquentation.
Elise Demarbre : Cette année, il y a eu 150 bénévoles, comme l’année dernière. C’est l’essence même de Ty Films. Ils font une grosse partie du travail. L’aménagement du site démarre deux semaines avant. On ne voit jamais 150 bénévoles en même temps. On essaie de répartir le travail pour que les bénévoles puissent aussi profiter du festival. Ils font une ou deux plages horaires. Il y a quand même un noyau dur d’une trentaine de personnes, référentes des différents postes.
Comment avez-vous construit la programmation cette année ?
J.J.R : L’appel à films se fait par l’intermédiaire de DocFilmDepot. Jusqu’ici il n’y a pas de contrainte pour inscrire un film. L’équipe de Ty Films va également chercher des films dans les festivals. Quand nous avons lancé les Rencontres, on s’est posé la question de travailler autour d’une thématique. Une année aurait été « rurale » puis l’année suivante « urbaine ». On a abandonné. Nous avons décidé de faire quelque chose de plus simple autour d’un comité de sélection, des coups de cœur du comité. La question centrale étant : est ce que j’ai envie de partager ce film avec d’autres gens ?
E.D : Cette année, nous étions 17 dans le comité, entièrement bénévole et constitué de professionnels et d’habitants du territoire de Mellionnec, non professionnels. Nous recevons environ 700 films. Quatre personnes, qu’on appelle « les ratons laveurs », écrèment ce qui n’est pas de l’ordre du documentaire. Il reste environ 400 films. Chaque personne regarde les films chez lui, puis le comité se réunit une fois par mois, de novembre à mai, pour manger ensemble et discuter des œuvres. Tous les films sont débattus. Ils sont classés par couleurs : rouge, « ce n’est pas pour les Rencontres » ; bleu : « je ne sais pas trop et j’aimerais en discuter » ; et jaune : « c’est pour les Rencontres ». Un documentaire qui récolte quatre avis négatifs est éliminé après consultation des autres membres du comité. La sélection permet aussi aux films qui font débat d’être programmés. On ne cherche pas forcément le film qui fait consensus. Une trentaine sont présélectionnés, la « Golden List ». Un comité de cinq personnes construit la programmation finale parmi les trente films. Une thématique finit toujours par se dégager. Cette année c’était « Le Printemps des femmes » avec au moins cinq œuvres qui dessinaient un parcours.
J.J.R : La sélection représente un travail énorme. Je me pose des questions par rapport à une évolution possible de ses modalités de fonctionnement. La première année des Rencontres, nous avons programmé un film de Pierre Perrault datant de 1962. L’important, je crois, ce n’est pas la date de production d’une œuvre mais plutôt le moment de sa découverte par le comité de sélection. J’ai envie que les Rencontres gardent cette couleur.
Avez-vous eu un moment marquant dans cette édition ?
J.J.R : Le plein air ! Pour une fois il faisait très beau. Le retour des gens après la projection. On a eu un incident et le plein air a été annulé. On a tout rapatrié en salle. Quand j’ai annoncé au micro l’annulation du plein air, les gens sont restés très sympas. Au final, ils sont sortis de la séance à minuit et demi, très contents, et cela grâce à l’énergie du film !
E.D : Pour moi, c’est la séance des Portraits de Mellionnec, le jeudi soir, la première séance. Tous les ans, c’est fort ! C’est la plus grosse séance avec 350 spectateurs, les deux salles sont pleines, essentiellement des habitants de Mellionnec. L’ambiance dans la salle est très particulière, très forte. Il y a toutes les générations, des enfants avec leurs familles. J’ai envie de pleurer quand les films démarrent, que les personnes apparaissent à l’écran, car ce sont des longues semaines de travail qui se concrétisent.
J.J.R : Quelque chose d’essentiel se passe aussi. Les gens viennent voir leurs voisins mais en fait découvrent un film ! L’objectif de cette opération était de braquer la caméra sur le bourg de Mellionnec mais aussi d’amener des personnes à voir des choses qu’elles n’auraient jamais été voir. Les gens sortent de la séance et s’autorisent à donner un avis sur ce qu’ils ont vu. C’est de la démocratisation du cinéma mais avec une certaine exigence artistique ! C’est le but des Rencontres ! Et puis, il y a aussi des personnes qui ont leurs rendez-vous annuels le samedi soir, qui viennent manger et boire avec leurs voisins et en famille. Ils ne viennent pas pour le cinéma mais ils se sentent le droit d’être là ! C’est l’approche du cinéma et l’approche du milieu aussi. Ça veut dire que Ty Films c’est ouvert à tout le monde ! Donc on est très attentifs à la qualité des repas, de l’accueil, à la décoration…
Quelle place prennent Les Rencontres dans la masse de travail de Ty Films ?
J.J.R : Je dirais 15% environ du travail. Il y a un salarié exclusivement sur la gestion des bénévoles qui est présent à partir du mois de mai. Parfois, on aimerait pouvoir se concentrer uniquement sur les Rencontres mais il y a plein d’autres choses à faire ! Le festival prend moins de place qu’au début mais reste la vitrine de Ty Films.
E.D : Et c’est le moment le plus intense pour nous ! Cela marque la fin d’une année de travail !
Et en terme de budget ?
J.J.R : Le budget des Rencontres c’est 60 000 euros environ sur 400 000 euros de budget global pour Ty Films. On stabilise volontairement ce budget. Les Rencontres nous coûtent très chères. C’est obligatoirement déficitaires. Sans les aides publiques, il n’y aurait pas de Rencontres ! Les aides publiques permettent aux gens de venir voir des films de qualité dans de bonnes conditions et à moindre coût. C’est un retour de l’impôt que les gens ont déjà payé. Une place de cinéma à 4 euros, c’est exceptionnel. Ça ne paye pas le coût des films et du travail évidemment.
Voulez vous rester à cette échelle ou augmenter la voilure ?
J.J.R : Pour les 10 ans des Rencontres, nous avions augmenté la taille du festival. Un peu trop, deux chapiteaux, trois salles de projection…On a revu notre copie. On a un volume de places non négligeable avec la grande salle de cinéma et la petite salle à côté. Il faut l’optimiser. On a resserré les boulons et on a économisé énormément. Nous avons encore la possibilité d’augmenter le nombre de festivaliers, jusqu’à 4 500 entrées sans problème. Donc, allons jusque là et on verra après ! L’erreur pour les 10 ans c’était de penser qu’en augmentant le volume, les gens allaient venir. Mais ça ne marche pas comme ça. Le volume ce n’est pas nous qui le décidons. Les partenaires demandent de tenir notre place, que Ty Films reste le Pôle Régional du Cinéma documentaire, que le moment des Rencontres soit un moment phare, visible et accessible à tous.
E.D : On voit quand même que sur certaines séances, comme le plein air, il y a de plus en plus de monde.
La journée du jeudi est principalement tournée vers les professionnels. Comment voyez-vous l’équilibre entre professionnels et festivaliers non-professionnels ?
J.J.R : Cette année, j’ai senti que c’était plus important pour les organisations professionnelles d’être à Mellionnec. Comme un rendez-vous de réunions, de rencontres. On voulait distinguer les moments professionnels avec le reste du festival. On souhaitait aussi que les professionnels puissent profiter des films, en dehors des temps de réunion.
E.D : Cette année, nous avons mis en place un questionnaire pour sonder les profils des festivaliers. Environ 80% d’entre eux sont bretons et la plupart viennent du Centre-Bretagne. Les ateliers que l’on pourrait penser réservés aux professionnels sont ouverts à tous.
Comment allez-vous attirer encore plus de festivaliers ?
J.J.R : En continuant notre travail !
E.D : Par exemple, cette année, la table ronde avec Inès Léraud et Morgan Large sur l’investigation en milieu rural a attiré beaucoup de monde. Je crois que des choses comme ça sont à renouveler.
J.J.R : Oui ! Par contre, le risque c’est que le documentaire soit perçu seulement comme un outil pour militer. Mais il faut aussi faire preuve d’exigence cinématographique ! Des gens ont été étonnés en disant : « Ty Films s’engage en faisant venir Inès Léraud … » mais je crois que Ty Films s’engage tout le temps ! Pour le cinéma, pour le territoire, pour une façon de voir le développement local aussi.
Y-a-t’il un lien entre Skol Doc, la futur école du documentaire, et les Rencontres ?
J.J.R : Les Rencontres s’inscrivent obligatoirement en lien avec tout le reste. Les activités qu’on a développées n’existeraient pas sans les Rencontres. Ça reste le point d’entrée de Ty Films. Les étudiants de l’UBO (Université de Bretagne Occidentale) qui viennent en formation depuis quelques années se sont, pour beaucoup, inscrits comme bénévoles. Ils ont également construit et présenté une séance.
E.D : On pense aussi à la diffusion des films qui sortiraient de Skol Doc lors des Rencontres. Dans tous les cas, on essaie que les gens qui viennent dans les activités de Ty Films à l’année aient une place au moment des Rencontres. Par exemple, l’invitation aux auteurs en résidence d’écriture à Ty Films à participer à la plateforme Auteurs-Producteurs en collaboration avec Films en Bretagne…
J.J.R : De la même manière que chaque action aboutit aux Rencontres, ce qui est intéressant c’est aussi que ce soit une manière d’appréhender Ty Films et ses actions à l’année. Plein de gens ont entendu parler de Mellionnec par les Rencontres mais ne sont pas forcément au courant de l’ensemble des actions menées à l’année.
Quelles sont les dates pour la prochaine édition ?
E.D : Le dernier week-end de juin 2020 ! Mais pour l’instant, on se remet tranquillement de cette édition !
Propos recueillis par Adrien Charmot