Tënk : le futur belvédère du cinéma documentaire


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DE GAUCHE À DROITE : NICOLE ZEIZIG, DIANE VEYRAT ET HUBERT BUDOR © YLM PICTURES

Si les Rencontres de Films en Bretagne sont désormais résolument ouvertes à la fiction, on peut tout de même arguer que le documentaire fait partie de son patrimoine génétique. Impossible donc de passer à côté d’un rendez-vous porteur d’un grand espoir pour un genre aujourd’hui plus maltraité que jamais : la présentation de la future plateforme de diffusion Tënk par deux piliers d’un projet qui nous regarde tous, Diane Veyrat et Nicole Zeizig.

Quel professionnel, quel amateur de cinéma documentaire n’a pas déjà rêvé à une source où il irait abreuver son insatiable curiosité, soulager une soif d’images et de pensées du monde rendue inextinguible par la sécheresse au menu des jours sur les écrans ? Combien de passionnés de cette forme qui s’ignorent encore ?
Il est un lieu en France où le documentaire est roi : c’est Lussas. On y fête chaque été ce monarque généreux lors des États Généraux du documentaire, on y forme une cour de penseurs et de regardeurs du monde qui ont ensuite à cœur de partager leur point de vue avec les spectateurs au travers de leurs œuvres, on y produit, on continue d’y construire un cinéma menacé par un appauvrissement des canaux de sa diffusion.
Tënk est un projet porté par la conviction que le cinéma documentaire est un outil nécessaire pour penser le monde aujourd’hui et une réponse artistique à tous les clivages et les obscurantismes. Une proposition qui dame le pion au pessimisme ambiant, une utopie en passe de devenir réaliste.

Offrir une visibilité à l’excellence de la production documentaire

Le premier credo de Tënk, cette nouvelle plateforme de diffusion multi-écrans, c’est d’offrir une visibilité, c’est-à-dire de rendre commune une culture qui risquerait bien de ne plus habiter que les rangs poussiéreux des étagères. En cela, Tënk répond à une demande éclairée des professionnels et des assidus du cinéma documentaire, et espère devancer celle, non encore formulée, de ceux qui ne le fréquentent pas plus que ça, faute d’y avoir accès. L’objectif à court terme, c’est que Tënk soit disponible en France dès le printemps prochain, avec l’espoir d’étendre son champ de diffusion à la Suisse, à la Belgique et au Luxembourg en même temps. L’objectif à long terme, c’est qu’elle soit bilingue et disponible partout dans le monde !

 

TOKYO BLUE
TOKYO BLUE, L’ENDROIT AU BORD DE LA RIVIÈRE, UN FILM DOCUMENTAIRE DE SYLVAIN GARASSUS (2014), PROJETÉ PENDANT LES RENCONTRES ET CHOISI PAR TËNK POUR REPRÉSENTER LE PROJET © LES FILMS DU TAMBOUR DE SOIE

L’excellence, ensuite, de la production documentaire, rencontrera l’excellence des conditions de visionnage : ce que Tënk diffusera, ce sont des documentaires d’auteur exclusivement, et qui seront choisis pour leur force, leur beauté et leur niveau d’aboutissement (la barre est haute !), des films peu, pas ou plus visibles, des trésors cachés faute d’un endroit d’où nous regarder. Il pourra s’agir de premiers films ou de grands classiques, d’explorations formelles ou de portraits de notre monde, de pied en cap… L’équipe éditoriale – qui à terme sera formée de duos professionnels : une personne de Lussas et une personne extérieure à Lussas – a d’ores et déjà arrêté le principe du grand angle eu égard à la programmation déclinée selon des « plages » regroupant des propositions de formes et de thématiques, avec un grand nombre d’œuvres visibles en même temps : le chiffre de 80 films disponibles pour une durée de deux mois a été avancé – avec un renouvellement par glissement de 9 films par semaine – ; il pourra évoluer à la baisse d’ici au printemps prochain, mais l’on sait déjà que les abonnés – c’est le principe de la SVOD (1) -, auront de quoi étancher leur soif ! D’autant qu’après leur diffusion bimensuelle, les œuvres ne rejoindraient pas leur rayon mais seraient téléchargeables définitivement selon des modalités qui restent à discuter avec les ayant-droits (pour ce qui est des seuls droits SVOD, on part d’une base pressentie de 300 € l’heure diffusée, hors taxes, pour la France tout du moins). Et qu’ils bénéficieront d’un outil pensé et construit pour offrir à tous et sur tous les écrans les meilleures conditions de visionnage.

 

Groupe-tenk - village
Un portrait qui ressemble déjà à un paysage : le groupe des représentants du Village documentaire à Lussas © Clotilde Bertet, juillet 2015

Une co-construction

Le Village documentaire est l’association des dix structures de Lussas travaillant autour du documentaire, c’est elle qui porte ce projet transversal (son financement et son développement). Elle pilote la création d’une société coopérative d’intérêt collectif pour janvier prochain, dont elle sera l’un des actionnaires majoritaires : une création accélérée par l’intention de déposer rapidement un dossier pour obtenir l’aide à l’innovation technologique, recherche et développement du CNC RIAM.
L’ambition et la philosophie du projet réclamaient d’évidence que des partenaires y soient associés dès le départ : à la fois dans une logique de soutien (subvention, mécénat) et de promotion (échange de visibilité, de contenus, relais…), et aussi de mise en avant des actions menées par d’autres en faveur du documentaire.

Sans parler de la Région Rhône-Alpes et du département de l’Ardèche qui soutiennent déjà le Village documentaire financièrement (2), d’autres régions ont été approchées, choisies en fonction de leur politique de soutien au documentaire : PACA, Aquitaine et Bretagne, cette dernière à Saint-Quay. Nicole Zeizig rapporte l’enthousiasme de ses interlocuteurs au principe de réalité : « les équipes en place sont très intéressées, mais on reparlera de ça en janvier… ». Elle ajoute que « pour ce type de partenariat, les formes sont à inventer. Il n’est pas question de placardiser des films dans une plage « régionale ». On s’appuiera sur les structures et les initiatives existantes ; on ne réussira que si l’on est nombreux, fédérés autour de ce projet. »

La SCAM et la SACEM sont prêtes à s’engager aux côtés de Tënk sur le principe d’une subvention de fonctionnement. Si aucun accord n’est encore signé, c’est en très bonne voie. Les films programmés sur Tënk qui auraient obtenu une bourse ou un prix en porteront mention sur la plateforme. Il n’est cependant pas question d’ouvrir à ces organismes une fenêtre dans la programmation (ce qu’ils ne souhaitent d’ailleurs pas).

Du côté des médias, relais indispensables pour démarrer d’un bon pied et atteindre de nouveaux publics en profitant de dizaines de milliers d’abonnés, Mediapart, Arrêt sur Images et Alternatives économiques sont partants pour faire partie d’une aventure collaborative : enrichissement de leurs contenus et nouveaux espaces de création, d‘échanges et de visibilité. Le webdoc, qui n’appartient pas au champ documentaire intéressant Tënk, pourrait tout de même se voir offrir une petite fenêtre sur la plateforme à la faveur d’un partenariat avec le Blog documentaire.

D’autres partenariats sont encore à construire : pour soutenir la plage « Art » de la programmation, l’équipe doit encore rencontrer musées et fondations. Il est également question de proposer une programmation « festivals » régulière : un focus sur un festival français ou international tous les quinze jours – avec la programmation d’un film de l’édition de l’année et de plusieurs films des éditions précédentes.
Quant aux films de patrimoine que Tënk pourra diffuser, il faudra encore revoir le CNC Patrimoine et rencontrer les cinémathèques des régions pour affiner les conditions d’une possible association.

À terme, pas une plateforme mais deux

Un second projet de plateforme est en cours d’élaboration à destination, cette fois, des professionnels.
Ardèche Images dispose d’un précieux centre de ressources qui recense l’intégralité des films documentaires européens et francophones ainsi qu’une vidéothèque unique en Europe. La Maison du documentaire est devenue cette année « dépôt légal associé » de la BNF pour le documentaire. Les films de la vidéothèque sont en cours de numérisation dans un objectif commun avec la BNF de conservation et de sécurisation du fonds ; il faudra dorénavant faire la même chose pour tous les films entrants, c’est-à-dire les faire directement entrer dans la base sous une forme numérique. C’est ainsi que les membres de l’association ont développé un outil maison, qui pourrait bien, aussi, rendre service aux copains ! Une fiche d’inscription sur le net, la possibilité de télécharger le film (tout cela une fois pour toutes) et les professionnels pourront en un clic inscrire leur film au festival qu’ils veulent parmi tous les festivals partenaires, à l’image du ShortFilmDepot de Clermont-Ferrand. D’ailleurs, pourquoi chercher midi à quatorze heures : le nom de ce nouvel outil sera Doc Film Depot.

La coproduction à l’horizon… 2018

Ceux qui s’attendaient à la présentation d’une plateforme SVOD dédiée au documentaire point-à-la-ligne ont dû revoir leur ponctuation et ajouter des points de suite : après la diffusion en 2016, Tënk s’occupera de coproduction, au plus tard en 2018 !

Dans le grand projet du Village documentaire, il y a la construction d’un bâtiment de 1500 m2, qui équipera Lussas de dix salles de montage, de deux studios de mixage et un d’étalonnage… autrement dit, la chaîne complète de postproduction.
Tandis que les ouvriers du bâtiment seront à l’œuvre sur le chantier relayés par les meilleurs architectes du son, la plateforme de diffusion aura fait du chemin : fait ses premiers pas sur internet, poussé sur les box et continué de grandir comme chaîne locale, donc agréée par le CSA et susceptible de diffuser quelques heures de programme, documentaire, par jour. Autrement dit, quand le bâtiment sera fini, les studios montés, les bureaux investis et les étudiants partout dedans, Tënk sera à même de coproduire les films de jeunes auteurs en tant que chaîne de télévision locale et le fera, dans un premier temps, par un apport en industrie. Quand Tënk aura les moyens d’apporter de l’argent, elle le fera aussi.

 

Diane Veyrat synthétise tout à merveille et c’est une très belle manière de faire le pont entre nos régions, entre ces Rencontres et les rendez-vous d’après-demain.

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Diane Veyrat © YLM Picture

 

Comme le dit Nicole Zeizig : « Nous avons deux ou trois ans devant nous pour développer ce modèle économique de coproduction. On discute déjà avec la région Rhône-Alpes sur la question d’un COM qui ne concernerait pas que Tënk évidemment, mais d’autres chaînes de la région. »

Et oui, de COM en COM, l’avenir du cinéma documentaire se dessine peut-être beaucoup plus souriant qu’il y paraît… qui sait ? Et en attendant l’aurore, Tënk nous offrira bientôt des nuits blanches recouvertes d’une écriture de réel ; des nuits au cinéma.

Gaell B. Lerays

A suivre : « la dramaturgie de la série de fiction »

(1) SVOD : Subscription Video On Demand (ou Service de vidéo à la demande avec abonnement ). En ce qui concerne le prix de l’abonnement et son fonctionnement : il se situera dans la fourchette basse de ce qui se pratique sur ce marché (environ 5,50 euros / mois) et pourrait courir d’un mois à une année.

(2) Tënk bénéficie du soutien financier de la région et du département, et a déjà reçu le soutien d’Initiactive 26.07, également lié à la région. Tënk peut aussi compter sur une aide d’environ 45 000 euros du CNC en tant que plateforme technologiquement innovante. La campagne Ulule lancée cette année a fait voler les estimations en éclats pour atteindre 170 % de la collecte espérée, soit plus de 35 000 € ! Le Village documentaire devra, pour finir, emprunter, et continuer sa chasse aux Pères Noël (avant qu’ils soient trop débordés). Plus tard, Tënk pourra prétendre à l’aide sélective au catalogue du CNC, deux fois par an, et qui permettra de mieux mettre en avant les films.


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