Soutien au documentaire de création : les professionnels dialoguent avec le CNC


Parmi les temps forts des Rencontres de Films en Bretagne : la discussion, toujours très attendue, avec le CNC. Occasion, cette année, de faire un état des lieux de la réforme du Cosip à N+1, et de donner la parole aux associations de professionnels qui se sont mobilisés pour défendre le documentaire de création.

2015 aura été marquée à la fois par l’entrée en vigueur de la réforme du Cosip et par le combat pour la refondation du soutien au documentaire de création. Le nouveau règlement dont certains aspects sont jugés positifs suscite toujours des inquiétudes. Mais ce qui a déclenché la crise et provoqué le regroupement des professionnels au sein de collectifs, c’est la campagne de contrôle des chaînes locales par le CNC. Elle aura été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Non pas qu’elle soit injustifiée sur le fond puisqu’il s’agit de mettre un terme à des pratiques de surévaluation des budgets et de fausse industrie, mais parce qu’en ciblant les maillons les plus fragiles de la création documentaire, elle menace la diversité des productions et l’existence d’un tissu professionnel artisanal.

 


Face à Vincent Leclercq, le directeur de l’audiovisuel du CNC, et Claudine Manzanarès, chef du service du soutien documentaire : le producteur Marc Faye, représentant « Nous sommes le documentaire » (1) et la réalisatrice Anna Feillou, porte-parole du regroupement de treize associations d’auteurs-réalisateurs (2). Tous deux aguerris par une année passée, au sein de leurs collectifs, à décrypter des dossiers techniques, à réfléchir, à imaginer des propositions constructives et à discuter avec les institutions. Pour Anna Feillou, cette crise «  a eu le mérite de pousser les professionnels à se mobiliser ». Ils ont ainsi obtenu voix au chapitre au sein du groupe de travail « Transparence », mis en place à l’initiative du CNC, pour tenter de trouver une issue à la crise.

 

COSIP_Public

Le dialogue s’est donc poursuivi lors des Rencontres de Films en Bretagne autour de la question centrale des chaînes locales qui ont été les grandes oubliées de la réforme. Marc Faye a présenté la copieuse étude qu’il a menée sur 300 films produits par des télévisions locales. « Elle m’a permis de comprendre le rôle important qu’elles jouent dans le soutien à la création ». Et de citer des indicateurs qui parlent d’eux-mêmes : sélection fréquente de ces films dans de nombreux festivals, y compris à l’international, renouvellement de la création grâce à la production de premiers ou seconds films, liberté des formats et diversité des écritures…

Mais ce rapport met aussi en évidence la fragilisation provoquée par les effets conjugués des réformes territoriale et réglementaire ainsi que du contrôle des locales : 160 films sont en danger qui, à l’avenir, pourraient ne plus voir le jour. « Le CNC est bien conscient du fait que ces chaînes sont un espace essentiel de soutien à la création », précise Vincent Leclercq. Il explique que ces audits visaient des télévisions qui détournaient de l’argent public en gonflant leurs budgets de captations de spectacles vivants et que le documentaire a été touché par ricochet.

 

La table ronde a tenté de faire la part des choses et pointé les effets positifs de la réforme du Cosip : arrêt du soutien à des programmes qui ne relevaient pas du documentaire, bonification du soutien aux œuvres de création, mise en place d’une commission sélective dédiée au documentaire… Mais, selon les chiffres donnés par CNC, cette réforme a aussi entraîné la perte de leur compte automatique pour une trentaine de sociétés, dont la plupart situées en régions.
Et si les relèvements à 12 000 euros de l’apport minimal horaire exigé du diffuseur et à 70 000 euros du seuil annuel des engagements nécessaires pour déclencher le soutien automatique ont permis de mieux financer les films, des chaînes comme France 3 (antennes régionales) ou LCP ont diminué le nombre de leurs coproductions pour compenser la hausse de leurs apports en cash. Vincent Leclercq estime que « la réforme exclut peu ». Il ajoute que les économies générées par la baisse de 20% du soutien aux programmes empruntant aux codes du magazine ou du reportage vont se reporter sur les documentaires bonifiables. Il faudra pourtant attendre le mois de février pour mesurer, à l’issue d’une année d’exercice, comment la répartition des subventions aura été modifiée par le nouveau règlement. Le CNC s’engage à publier la liste des films soutenus tant à l’automatique qu’au sélectif.

Le sélectif est-il soluble dans l’automatique ?

Anna Feillou s’interroge sur le bien fondé du relèvement des seuils d’accès à l’automatique : « En quoi est-ce favorable ? ». Vincent Leclercq explique que le CNC avait pour objectif de rééquilibrer le ratio entre l’industrie et le numéraire qui, seul, donne une marge de manœuvre financière aux entreprises. Il réaffirme aussi la volonté du CNC d’aider au regroupement des sociétés, jugeant le secteur de la production « atomisée ». Anna Feillou s’inquiète de ce qui ressemble pour elle à un phénomène de « concentration ». Une chose est sûre : cet appel du pied du CNC envers le secteur ne prend pas. A la question du producteur Gilles Padovani, modérateur des débats : « Attendez-vous des fusions de sociétés ? », Vincent leclercq répond : « On n’attend rien. Vous êtes des entrepreneurs. Chacun mène sa barque. Mais je n’ai pas senti de demandes dans ce sens-là ».

Ce qui ressort des échanges, c’est que la réforme a creusé le clivage entre les films aidés à l’automatique et ceux dépendant du sélectif. Depuis la salle, la réalisatrice Céline Dréan interroge le CNC sur une possible porosité entre ces deux dispositifs de soutien. Les propositions des collectifs vont dans le sens d’un ajustement du règlement en faveur des films dits fragiles. Certaines d’entre elles ont d’ores et déjà été acceptées. Jusqu’à présent, le budget d’un film ne pouvait pas dépasser 50% d’argent public. Pour imposer ce quota, le CNC invoquait la réglementation européenne. Il s’agissait en fait d’une interprétation des textes. Car, en les étudiant, les associations professionnelles ont levé un lièvre : elles se sont rendu compte que chaque état avait la latitude de décider du seuil des aides publiques. Le CNC s’est déclaré favorable à un relèvement à 80% pour les films à petits budgets. Voici une première avancée. Reste à fixer le montant du « petit » budget : 100 000 euros, 150 000 euros ? Et à préciser le calendrier de mise en application de cette mesure.

Les collectifs militent pour un ajustement du règlement. Parmi les points d’achoppement qui demeurent : la règle imposant aux diffuseurs de fournir un apport de 25% du budget. C’est une des conditions indispensables pour avoir accès au soutien automatique. Les chaînes locales y sont soumises comme les autres diffuseurs, sans avoir les mêmes moyens. Les associations professionnelles demandent une exemption de cette règle pour les documentaires à petit budget, lesquels sont majoritairement produits par les télévisions locales. « Il y a un vrai choix politique à faire », souligne Anna Feillou. « Le collectif que je représente propose de créer des passerelles entre l’automatique et le sélectif selon une double modalité pour les films produits avec les chaînes locales. Il s’agit d’une part de permettre à une partie des films qui n’atteignent ni le seuil des 12 000 euros d’apport horaire ni les 25% du budget – et qui relèvent de fait du sélectif – de « générer » au titre de leur qualité artistique ; et d’autre part, de faire en sorte que les films à petit budget qui répondent à un seul des deux critères, à savoir le seuil des 12 000 euros, puissent passer pour avis devant la commission sélective et si l’avis est favorable, générer. »]

Vincent Leclercq répond qu’il « ne balaie aucune proposition », que la question sera posée même s’il sera plus difficile de déroger à cette règle des 25%. « Elle concerne tous les genres et toutes les productions. C’est compliqué d’y toucher. En outre, le système des aides du CNC va être revisitée par la Commission européenne en 2017. Si on change le dispositif, cela pourrait avoir des conséquences sur l’exception culturelle française ». Anna Feillou propose une expérimentation sur un an qui « ne figera rien dans le marbre ». Les discussions ne sont pas closes. La prochaine commission « Transparence » examinera ces questions essentielles pour l’avenir du documentaire de création.

Nathalie Marcault

A suivre : « Tënk – le futur belvédère du cinéma  documentaire »

(1) Le collectif « Nous sommes le documentaire » regroupe des réalisateurs, producteurs, techniciens, diffuseurs, associations, directeurs de festivals, médiathèques, enseignants unis pour défendre le documentaire.

(2) AARSE – Association des Auteurs Réalisateurs du Sud-Est – Provence Alpes Côte d’Azur. ACID – Association du Cinéma Indépendant pour sa Diffusion. ADDOC – Association des cinéastes documentaristes. ALRT – Association Ligérienne des Réalisateurs et Techniciens – Pays de la Loire. ARBRE – Auteurs Réalisateurs en Bretagne. ATIS – Auteurs de l’Image et du Son en Aquitaine. Le Plateau – Association des cinéastes, auteurs et réalisateurs de l’image et du son en Auvergne. SAFIR Nord Pas de Calais – Société des Auteurs de Films Indépendants en Région. SAFIRE Alsace – Société des Auteurs de Films Indépendants en Région Est. SAFIRE Lorraine – Société des Auteurs de Films Indépendants en Région Est. REAL – Association des Réalisateurs, Expérimentateurs et Auteurs Languedoc-Roussillon. SFR-CGT – Syndicat Français des Réalisateurs. SRF – Société des Réalisateurs de Films.

En Une : De gauche à droite : Claudine Manzaranès, Vincent Leclercq, Gilles Padovani, Anna Feillou, Marc Faye © YLM PICTURES


Séquences enregistrées lors de la présentation publique le 9 octobre 2015 à Saint-Quay Portrieux :

Réalisation Jennifer Aujame © Films en Bretagne


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