Centre des congrès
Le Centre de congrès de Saint-Quay-Portieux © Yves Le Moullec

Les Rencontres de Films en Bretagne se sont achevées samedi dernier, au terme de trois jours de débats et de rencontres très denses. Voici le premier d’une série d’articles qui va rendre compte des temps forts de cette édition. 

Une 15ème édition, c’est un cap. Parce qu’il y a une histoire, déjà, et un avenir. Pour marquer cette étape de croissance, les Rencontres de Films en Bretagne se sont offert un nouveau nom et un nouveau lieu. Doc’Ouest avait grandi et prospéré sur la jolie croisette de Pléneuf-Val-André. Les Rencontres ont pris leurs quartiers un peu plus à l’Ouest, à Saint-Quay-Portrieux. Avec un invariant : la mer pour horizon. Premier sujet de satisfaction : l’augmentation de la participation des professionnels : 240 cette année contre 217 en 2014 (sans oublier 55 étudiants et 200 scolaires). Ils ont assisté à ces trois jours de réflexion dédiés à la création audiovisuelle et cinématographique d’initiative régionale qui ont été – plus que jamais – placés sous le signe du collectif.

Les gens de l’image connaissent l’importance du décor. Planté face au large qui ne s’est pas départi d’une belle teinte émeraude, le vaste Centre de congrès de Saint-Quay-Portrieux a permis à la manifestation de prendre ses aises et de déployer ses réunions plénières, ses séances en comité plus restreint et ses rendez-vous en tête-à-tête dans les nombreuses salles proposées.

La gueule d’atmosphère du cinéma Arletty avait, quant à elle, la bonne jauge pour recevoir les spectateurs des projections publiques. En ouverture des Rencontres, ils ont pu découvrir Photographic Memory, documentaire que le réalisateur américain Ross McElwee a tourné en partie à Saint-Quay-Portrieux. La projection a été précédée d’un message vidéo enregistré par le cinéaste qui a en quelque sorte inauguré ces Rencontres depuis son domicile américain.

Autre cerise sur le gâteau de ce 15ème anniversaire : pour la première fois cette année, les auteurs ont disposé d’un lieu de travail et d’échanges, rien que pour eux. Et quel lieu ! La grande villa posée sur la pointe de l’Isnain peut faire penser à la maison de Psychose, le film d’Alfred Hitchcock. Sauf qu’elle est beaucoup plus accueillante et qu’aucune festivalière n’y a été assassinée sous sa douche. A part peut-être dans un scénario qu’elle aura inspiré aux nombreux auteurs venus s’y rencontrer.

 


Fierté

Voilà posé le cadre de ces Rencontres qui ont été ponctuées par des temps forts. Ce qui en ressort, – et donne de l’espoir -, c’est l’idée que, seule, la mise en œuvre d’une intelligence et d’une énergie collectives permettra de surmonter les difficultés du contexte actuel : entre réformes territoriale et réglementaire, on sait à quel point la production audiovisuelle et cinématographique est menacée en régions.

Il est réjouissant de constater que le deuxième Contrat d’objectifs et de moyens (2015-2018) a pu voir le jour en Bretagne parce que les diffuseurs et les professionnels, portés par la volonté politique de la Région, ont accepté de faire de leurs différences un atout plutôt qu’un sujet de discorde. Le COM 2 a mis davantage de partenaires autour de la table : aux côtés des télévisions locales (TVR 35, TébéO et TébéSud) qui étaient déjà signataires du premier contrat, on compte désormais France 3 Bretagne, la webtélé bretonnante Brezhoweb, et le futur média en ligne Breizh Créative, dont le site de préfiguration sera en ligne très prochainement. Mieux doté (2 millions d’euros par an contre 1,1 pour le premier), ce nouveau contrat va contribuer à consolider la filière en permettant de produire plus et mieux.

 

Brochette COM 2 4
Les signataires du COM 2 © Yves Le Moullec

Lors de la présentation de cette initiative unique de co-construction, le mot ‘’fierté’’ a été prononcé à plusieurs reprises. Fierté des diffuseurs envers la qualité des films produits grâce à cet outil de décentralisation qu’est le COM, fierté du politique d’avoir pu faire travailler ensemble tous les acteurs du territoire. Même si chaque région doit inventer ses propres dispositifs, le COM breton fait tout de même figure de modèle. En conclusion des échanges s’est exprimé l’espoir que, dans chaque région retaillée par la réforme territoriale, un tel outil puisse voir le jour.

Mobilisation

La décentralisation était aussi au cœur de la discussion sur le documentaire de création en régions. Déjà présent l’an dernier, Vincent Leclercq, directeur de l’audiovisuel au CNC, s’était engagé à venir dresser l’état des lieux de la réforme du Cosip (Compte de soutien à l’industrie des programmes audiovisuels) à l’issue de la première année d’application du nouveau règlement. Elle a été marquée par la mobilisation de la profession au sein de Nous sommes le documentaire et du regroupement des associations régionales d’auteurs. Tout en reconnaissant certains aspects positifs de la réforme (bonification selon des critères de qualité, création d’une commission sélective dédiée au documentaire…), des producteurs, des réalisateurs et d’autres acteurs du documentaire ont vivement réagi au contrôle exercé par le CNC sur les chaînes locales afin de vérifier la réalité de leurs apports en industrie. C’est ce qui a mis le feu aux poudres en provoquant le blocage des subventions et en fragilisant de fait des sociétés de production. Les professionnels ont alors cherché à contrer les effets cumulés de la réforme et du contrôle en faisant au CNC des propositions d’aménagement du règlement.

Des questions restent encore en suspens, mais le combat a d’ores et déjà permis d’avancer sur un point crucial confirmé par le CNC lors des Rencontres : celui de l’intensité des aides publiques. Les films dits fragiles (reste à définir un montant budgétaire) pourraient désormais cumuler jusqu’à 80 % d’argent public. Les professionnels qui ont acquis un remarquable niveau d’expertise sur ces dossiers techniques ont discuté pied à pied avec les représentants du CNC, passant en revue l’ensemble de leurs propositions. Derrière les aspects techniques, se profilent des enjeux politiques majeurs : il s’agit ni plus ni moins de défendre la diversité des écritures et des regards de tous ces films produits avec des chaînes locales, de faire en sorte qu’ils puissent encore exister.

 


Laboratoire

Cette diversité, c’est aussi ce que soutient Tënk, la première plateforme de diffusion multi-écrans dédiée au documentaire d’auteur. Dès le printemps 2016, elle proposera l’accès à un beau catalogue de films, avec une offre éditorialisée et moyennant un abonnement modique. Les Rencontres ont invité les promoteurs du futur site créé par Le Village documentaire (Lussas) à présenter leur démarche ambitieuse puisque Tënk envisage également à terme de coproduire des films. La plateforme vient apporter sa pierre à la défense d’un genre fragilisé, rappelant que les documentaires de création sont des représentations subjectives du réel, des visions du monde qui bousculent, questionnent, instruisent, en un mot : donnent à penser. Et qu’ils sont donc indispensables au débat démocratique.

Cette année, actualité oblige, le documentaire était donc encore fortement représenté dans les débats. Mais la fiction a pris une place de choix après avoir fait une entrée discrète l’an dernier. La volonté d’ouvrir les Rencontres à tous les genres s’est traduite par plusieurs rendez-vous : un point pour aider à décrypter la convention collective cinéma, un atelier sur l’écriture des séries de fiction et une session autour de la distribution des premiers films. Fiction et documentaire se sont d’ailleurs partagés l’affiche à parité : dans le cas de La Belle vie de Jean Denizot, sorti sur les écrans en 2014, comme dans celui de Je suis le peuple d’Anna Roussillon qui sera en salles en janvier 2016, on aura compris que bâtir une stratégie de distribution pour chaque film est une nécessité et que le distribuer relève du parcours du combattant. Les participants aux Rencontres n’étant pas du genre défaitiste, ils auront fait leur miel de ces études de cas très détaillées.

Le programme de ces trois jours a mis en évidence des initiatives et des prototypes. Si les Rencontres ont une raison d’être, c’est bien celle d’ouvrir toute grande la porte du laboratoire pour donner à voir ce qui mijote dans les éprouvettes. Pari largement tenu !

Nathalie Marcault

Toutes les photos sont signées Yves Le Moullec

A suivre : Une nouvelle ère s’ouvre pour l’audiovisuel breton