Au printemps 2015, Alexandre Cazères quitte la direction de la Case de l’Oncle Doc, sur France 3. Après 18 ans à la tête de la seule émission française qui diffuse des documentaires initiés en région au niveau national. L’occasion de faire le point sur ce rendez-vous discret, car diffusé tardivement, mais souvent remarqué par la presse. Et l’un des moteurs historiques du développement des films documentaires décentralisés…
C’est l’une des plus anciennes émissions de la chaîne : créée en 1992 sous la direction de Jacques Chancel et présentée par Aline Pailler, elle fut au départ une case documentaire parmi d’autres. En 1998, un objectif de 20 films issus des régions lui est attribué : la moitié de sa production annuelle actuelle. Une grande nouveauté à l’époque, puisque la production audiovisuelle hors de Paris est balbutiante. Celle-ci se développant, Louis-Marie Davy, Directeur Adjoint des Programmes en charge du régional, obtient dès 2004 que tous les documentaires de la Case soient proposés par les stations décentralisées de France 3, soit 40 documentaires de 52 minutes par an.
« Pour une fois, on a renversé la logique, l’initiative vient de la province. Comme le documentaire voyage bien, a du sens partout, c’est une passerelle idéale entre les antennes régionales et nationale, qui ont parfois du mal à dialoguer », raconte Alexandre Cazères, qui prend les rênes de l’émission en 1997. Le principe en est le suivant : les projets sont choisis par une commission de l’unité documentaire parmi la production présentée par les antennes régionales. Ils reçoivent un apport en cash supplémentaire de France 3, et une diffusion nationale qui s’ajoute aux diffusions régionales. Pour les réalisateurs et producteurs en dehors de Paris, cette diffusion permet de mieux financer les films, d’être plus visibles et chroniqués par la presse spécialisée audiovisuelle, comme Télérama ou Le Monde. Cet investissement supplémentaire est essentiel pour les projets plus ambitieux ou plus coûteux.
« Je me suis régalé à faire les meilleurs films possibles », s’enthousiasme Alexandre Cazères. « Même si l’essentiel du travail revient au réalisateur, j’ai essayé d’homogénéiser ce regard documentaire. On peut regretter que cette émission fasse un peu ghetto régional, c’est vrai. Mais le fait d’être diffusé tardivement permet d’avoir des sujets plus libres, et moins de pression sur l’audience.
Et ma plus grande satisfaction est d’avoir eu la reconnaissance de la presse, et ce, sans commune mesure avec nos moyens limités ou notre exposition tardive. »
Le paradoxe de cette émission, présentée pourtant sur la « chaîne des régions », est que cet ancrage n’est pas affiché pour le grand public… Seul l’œil exercé permet de décrypter dans les génériques la présence de France 3 Bourgogne, Aquitaine ou Pays de la Loire ! Mais les professionnels de l’audiovisuel le savent : la Case de l’Oncle Doc a largement encouragé et accompagné ce développement du documentaire décentralisé. « J’ai vu globalement la qualité progresser », précise Alexandre Cazères, régulièrement présent à des manifestations comme Doc Ouest. « De regards sur l’environnement direct, les films ont évolué vers des problématiques sociétales plus larges, comme par exemple l’homoparentalité, les soins palliatifs : des sujets auparavant très « parisiens ». Les régions qui étaient fortement productrices il y a dix ans, comme l’Alsace ou la Bretagne, ont été rattrapées par d’autres, et cela tend à mieux se répartir sur le territoire. Même si certaines n’ont pas encore de tradition documentaire. La Bretagne reste cependant l’une des plus actives, avec les Parisiens, ce qui est nouveau… »
Mais pour lui, l’origine territoriale tend à se banaliser : de plus en plus de sociétés de production implantées en région, comme Grand Angle à Bordeaux, ou 13 Productions et Comic Strip à Marseille, prennent des bureaux à Paris. Les réalisateurs peuvent produire pour différentes régions, indépendamment de leur lieu de résidence.
Et pourquoi ne pas encourager les regards croisés entre régions ? « L’unité documentaire a récemment diffusé un film sur le passé trouble d’Édouard Leclerc, pendant la Seconde Guerre mondiale. Par ailleurs, il était le fondateur de la grande distribution, et à ce titre responsable de la fermeture de milliers de petites épiceries de village ou de quartier. C’est un réalisateur et un producteur de Paris qui ont fait ce film. Certains Bretons du milieu audiovisuel m’ont dit qu’il aurait été impossible pour eux de le faire, ou de le programmer, et cela m’interroge. Pas forcément facile d’aller gratter là où ça fait mal, quand on est à proximité… »
Prenant ses droits à la retraite, le responsable éditorial va passer la main au début du printemps, mais restera actif dans le documentaire. Il sera remplacé pour la Case de l’Oncle Doc par 5 responsables éditoriaux, déjà conseillers de programme à France 3. Anna Glogowski sera en charge du Sud-Est, Emmanuel Migeot en charge du pôle Corse Via Stella, Florence Jammot supervisera la coordination de l’émission, tout en s’occupant également du Sud-Ouest, ainsi que du pôle Nord-Est en tandem avec Clémence Coppey.
Olivier Guiton sera lui en charge du Nord-Ouest, donc entre autres de la Bretagne. Il tient à rassurer les professionnels, inquiets de voir les échelons de décision se multiplier. « Cela ne changera rien aux délais, nous nous réunirons tous les deux mois en comité éditorial. Nous choisirons les projets parmi ceux déjà validés par les régions. Et cela fait toujours 40 films pas an. Notre ligne éditoriale ne change pas non plus, nous continuons à privilégier les thèmes de société, d’histoire et de culture. La Case de l’Oncle Doc est totalement pérenne en 2015 ! Après, je ne suis pas responsable du devenir de France 3 dans sa globalité, alors qu’un changement de Président se profile. »
Selon lui encore, l’émission doit devenir un lieu de repérage de jeunes réalisateurs, avec un objectif minimal de deux premiers films par pôle et par an. « Nous visons aussi plus de souplesse et de porosité entre les cases », détaille Olivier Guiton. « Comme avec ce qui s’est passé pour l’Or Rouge, la bataille du sang, produit par Vivement Lundi ! Le film a migré de la Case de L’Oncle Doc vers Docs Interdits, de la troisième vers la deuxième partie de soirée. Nous nous efforçons également de monter des programmations en harmonie avec les Lundis de l’histoire. »
Le signe que cette émission trouve aujourd’hui son insertion dans la grille nationale de France 3 ? Bien que peu coûteuse, valorisante en termes d’images, l’émission a souvent changé de programmation, et a même été menacée de disparition en 2009. Deux pétitions des professionnels de l’audiovisuel avaient convaincu la chaîne des régions de ne pas la supprimer, puis de ne pas repousser sa programmation tard dans la nuit. Tant ce rendez-vous a créé une dynamique pour la création documentaire en région, dont il semblerait difficile de se passer.
Camille Jourdan