Pascale Breton est en montage de son prochain long-métrage. La réalisatrice du très beau « Illumination » revient au cinéma avec « Mémoire vive », fruit d’une résidence à l’Université de Rennes II. Retour sur une expérience inédite qui a permis à onze étudiants de la filière cinéma de s’inscrire dans un tournage professionnel.

Ce nouveau film, Pascale Breton désirait le tourner sur le campus de Villejean. Des lieux qu’elle connaît bien pour y avoir étudié, et qui habiteront totalement son histoire. En témoigne le synopsis du film (1) qu’elle transmet, avec une note d’intention très axée sur la transmission, à Roxane Hamery et Eric Thouvenel, enseignants en cinéma de l’Université de Rennes II. Rapidement le souhait d’accueillir la cinéaste est partagé par les enseignants ainsi que par Estelle Faure et Pierre Bazantais, respectivement responsable du service culturel et directeur de l’Université. Pascale Breton viendra réaliser son film à Villejean dans le cadre d’une résidence et devra ouvrir son projet aux étudiants volontaires.

« Étudiants associés »

Étudiants de Master et Licence 3 de cinéma sont sollicités, une trentaine de candidats se proposent. Lettres de motivation, entretiens, onze sont retenus. Les étudiants associés comme les appelle la cinéaste, « au sens d’artistes associés d’un espace de création, comme ce qui existe dans le théâtre, l’opéra ; ils gardent leur propre démarche mais sont associés à la création sur des désirs communs, qu’on définit ensemble », se joindront au processus du film dès la préparation, au tournage et au montage.

En septembre 2013, des réunions publiques sont proposées à l’ensemble des étudiants, tous niveaux confondus, pour rendre compte du scénario, de son ancrage dans les lieux. En parallèle, des échanges plus réguliers sont proposés aux étudiants associés. Ici les rendez-vous hebdomadaires visent à présenter plus concrètement la démarche de l’auteur et à les impliquer. « Ce qu’on proposait était en quelque sorte l’inverse des ateliers de cinéma », ajoute Pascale Breton. « C’était plus proche de la démarche des ateliers de peintres de la Renaissance. Ce n’est pas un intervenant extérieur qui aide les étudiants à faire leur film mais l’inverse. Je les invitais à m’aider à faire mon film et ils apprenaient en voyant, en suivant et en faisant avec… Parfois, ils m’accompagnaient sur les recherches, venaient avec moi à la rencontre de quelqu’un ou quelque chose qui m’inspirait pour le film, j’essayais de leur faire profiter le plus possible de cette expérience. » Pas à pas, ils s’investissent sur des « petites missions » : créer une pochette de disque pour la déco, rechercher des archives de Villejean, faire les essais caméra, filmer le casting et même assister Pascale Breton et son équipe pour affiner le plan de travail. « Ils connaissent très bien le campus, le lieu et aussi ses règles : à telle heure, il y a foule à la BU, c’est le bon jour pour organiser telle séquence. » Les étudiants sont invités à découvrir le processus de création, explorer les différents métiers du cinéma.

« Difficile de savoir quand on aide et quand on est dans les pattes ! »

Tous relatent des débuts hésitants : « Difficile de trouver sa place, nous n’étions ni professionnels, ni stagiaires puisque nous n’avions pas l’obligation d’être là tout le temps, il fallait ne pas rater les cours. Alors au début on a fait des petits trucs tout en essayant d’être là le plus souvent possible », rapporte Jana Noel, très investie dans la préparation de la première session de tournage en septembre. « Au début c’était déroutant pour tout le monde, équipe comme étudiants, de trouver sa place. Mais après quelques jours d’observation, collés au mur, c’était plus facile de voir où est sa place, où on aide… », précise Clémence Dirmeikis. « J’ai eu la chance d’être aux accessoires lors des premières sessions, une position stratégique en terme d’observation et aussi très proche de la mise en scène. Je travaillais avec la scripte et les assistantes à la mise en scène. » Elle se rappelle aussi combien « la période de casting a été intense pour beaucoup d’entre nous. Pour recruter des figurants, on passait dans les salles de cours faire des annonces ». Les séances de castings dits sauvages se multiplient, une centaine d’appels à passer, des phrases types à répéter, convaincre, rappeler qu’il s’agira de rester, parfois longtemps, d’être patient et puis recueillir les coordonnées, informer des horaires… Une expérience et un défi pour certains, comme pour Anthony Le Brun qui avoue « qu’aller vers les gens, passer des coups de fils, c’était pas trop mon truc… Finalement je me suis lancé… », ou Clémence pour qui « ces missions étaient aussi l’occasion de dépasser sa timidité, un sacré travail sur la confiance ».

Le casting fut un moment particulier pour l’une des étudiantes qui a vu sa participation à la résidence prendre une autre tournure. Après quelques temps passés auprès de Danila Fatowich-Pahun, chef-costumière, Manon Evenat, qui fait du théâtre depuis le lycée, est invitée à passer un casting. Elle obtient le rôle de Lydie, petite amie de Ion, un des deux personnages principaux. « Jouer devant une caméra était une vraie nouveauté. C’est très différent du théâtre où l’on est protégé du public qui est dans le noir. C’est vraiment très exposant de jouer devant la caméra. Heureusement je jouais une jeune aveugle et pouvais me reposer sur mes accessoires, lunettes et canne blanche, je me concentrais là dessus pour m’aider et oublier la caméra et l’équipe. »

Anthony a aussi découvert le travail de bureau à la production, installée dans une aile du bâtiment A du campus : « En novembre, j’avais encore pas mal de cours, j’étais moins impliqué dans le tournage, et je me souviens l’avoir regretté. J’étais plus présent pour février et c’était génial, j’ai pu mettre à jour les feuilles de service, les continuités dialoguées, travailler à partir du dépouillement. En cours, on nous avait présenté ces documents, on savait que ça existait mais pas forcément comment s’en servir. » L’encadrement par des professionnels est une réalité dès la seconde année en licence de cinéma « et ça nous guide », ajoute-t-il « mais pendant les tournages d’étudiants, on est assez libre et c’est plutôt la débrouille ! »[mk_gallery images= »1698,1699″ column= »2″ height= »310″ frame_style= »simple » disable_title= »false » image_quality= »1″ pagination= »false » count= »10″ pagination_style= »1″ order= »ASC » orderby= »date »][vc_column_text disable_pattern= »true » align= »left » margin_bottom= »0″]

Même cheminement pour les autres étudiants : après les premières missions, ils s’agrègent plus volontiers à une équipe en particulier pour ne plus la quitter. Les techniciens professionnels jouent le jeu de la transmission. Jana qui assiste à la caméra en a encore les yeux qui brillent : « au début je n’approchais pas de la caméra. Ce genre de caméra professionnelle, on n’y a pas accès d’habitude ! Mais Tom Harari, le chef op, et Alan Guichaoua, son assistant, m’ont fait confiance, m’ont appris plein de choses et m’ont laissée faire… et au bout du compte, il y a un énorme écart en termes de technique entre le début et la fin du tournage. » Certains ont découvert des métiers. Simon Penhouët connaissait « ceux de l’image mais mal celui de machiniste. Je me suis rapproché d’Eric Fontenelle, chef machiniste et électricien sur le film. Il m’a appris le matériel, la technique. Au début quand il me demandait d’aller chercher quelque chose, j’étais obligé de demander à quoi ça ressemblait, je partais de zéro. Les professionnels ont pris le temps de nous expliquer et en faisant ça rentre ! » Même chose pour Ronan Dereuder, « très branché photo, du coup dès qu’il y avait un boulot sur la photo, ils faisaient appel à moi ! ». Il est présent sur les essais comédiens ou la fabrication d’accessoires et a aussi exploré le travail d’électricien sur le plateau.

L’échappée belle

« Tous ces progrès se sont faits au fil du temps », précise Pascale Breton, « en assistant aux tournages et aux temps préparatoires, ils avaient une grande connaissance du film, dans sa continuité. En février ils savaient tous comment « être » sur le plateau ». De cette première expérience sur un film professionnel, les étudiants retiennent l’organisation générale bien sûr très différente des courts-métrages d’étudiants : « ici le nombre de personnes intervenant sur le projet est bien plus important mais surtout il y a cette dynamique particulière, l’énergie qui circule entre les postes, tous ces gens qui travaillent ensemble, ce microcosme… », pointe Clémence qui a particulièrement apprécié ce temps hors de tout qu’est un tournage. « C’est une période très intense. On est comme dans une bulle ou un tunnel, la perception du temps n’est plus la même, il est comme dilaté. Au début, les temps d’attente me paraissaient insupportables, puis petit à petit j’ai compris que ce temps-là était nécessaire. »

« On a bien fait d’envoyer cette lettre l’an dernier ! »

La participation des onze étudiants a été variable, fonction de leur disponibilité et de leur niveau d’études. Le contrat était clair : s’inscrire dans cette résidence ne devait pas se faire au détriment des cours ou des recherches. « Le risque était grand », précise Roxane Hamery, « que les étudiants se laissent détourner. Nous avons veillé à ce que la participation à cette résidence reste libre, sans obligation de présence, il fallait que ça demeure une opportunité de découvrir la démarche artistique autant que le tournage et ses coulisses. » Un écueil qui a été évité puisque tous sont parvenus à allier les deux à l’instar de Clémence : « Bien sûr pendant le tournage, les études étaient mises en parenthèses. Et d’ailleurs c’est pas évident de quitter cette énergie, l’adrénaline du tournage et de revenir à un travail beaucoup plus sec : l’écriture, les recherches. Mais le mémoire c’est cette année alors il faut s’y remettre ! »

Tous s’accordent pour dire que ça été une chance inouïe de découvrir ainsi in vivo un tournage professionnel. « On se plaint souvent de ne pas avoir assez de pratique à la fac », ajoute Simon qui a le sentiment de « faire sa culture générale en cours, mais les connaissances pratiques et concrètes, je les tiens du tournage. » Jana renchérit : « On était au cœur, pas juste en observation, on y participait ». Elle qui prépare les concours d’entrée aux écoles de cinéma voit dans cette expérience un très bon complément des contenus enseignés à la fac. Manon a apprécié « cette expérience très concrète, à côté du travail de recherche pour le mémoire. Avoir découvert l’envers du décor a modifié ma façon de voir les films. Avant je me concentrais plus sur les acteurs, maintenant je pense plus à la mise en scène ».

Pour tous, cela a confirmé leur désir de cinéma, voire déterminé leur vocation. Ronan a envie « de continuer sur cette voie technique. Je garde contact avec le chef électricien du film et sur ses conseils, après les examens, j’enchaîne avec un stage dans une boite de location, pour continuer à manipuler, me familiariser avec le matériel et me faire des contacts ». Idem pour Simon qui « a l’impression d’avoir trouvé sa voie ». Manon est encore indécise mais elle « aime écrire sur le cinéma, alors être critique, pourquoi pas, ou continuer des études de recherche. »

Et pour Pascale Breton, « c’était une expérience fantastique ! Un des sujets du film est la transmission à l’Université et au-delà, la transmission est le sujet du film. Vivre pleinement cette transmission avec ces étudiants était super intéressant ».

Elodie Sonnefraud

(1) Une année universitaire à Rennes 2, vécue par deux personnages dont les destins s’entrelacent : Françoise, historienne de l’art, et Ion, étudiant en géographie. Trop occupés à fuir leurs fantômes, ils ignorent qu’ils ont un passé en commun.
Mémoire Vive de Pascale Breton, produit par Paul Rozenberg, Zadig Films.
Avec Valérie Dréville, Kaou Langoët, Elina Löwensohn, Manon Evenat, Klet Beyer, Tanguy Daniel, Yvon Raude, Laurent Sauvage, Peter Bonke.
Avec le soutien de l’Avance sur recettes du CNC, avec l’aide de la Région Bretagne, en association avec Indefilms et en coproduction avec Sylicone.
Photographie de Une : La comédienne Elina Loëwensohn sur le plateau de Mémoire Vive © Clémence Dirmeikis
Autres photographies © Aude Carleton et Elodie Sonnefraud