Les auteurs à cœur


Après trois jours intenses de présentations, tables rondes et projections, les 2e Rencontres de Films en Bretagne se sont achevées sur un rendez-vous très représentatif de la manière dont elles étaient structurées cette année. On y mettait l’auteur à l’honneur, sous l’angle de la création accompagnée et à partir d’un panel de trois structures régionales. Retour d’horizon de cet évènement de rentrée, et dernier tour de table qu’on espère apéritive, pour les auteurs, les professionnels, et pour l’année à venir… 

En employant deux fois le terme d’accompagnement – celui des œuvres pour commencer, celui des auteurs pour terminer – la programmation des Rencontres, mettait l’accent sur la création, et sur les créateurs : les revers qu’ils essuient, les écueils qu’ils rencontrent, mais aussi et peut-être surtout, les portes à enfoncer et les chances qui leur sont offertes d’écrire et de réaliser plus qu’un rêve : un film. Court, long, documentaire et fiction, chaque forme et tous les formats étaient invités sur le devant de la scène.

 

Les auteurs Guillaume Grosse, Jean-Baptiste Mees, Germain Huard, Clémence Dirmeikis.


Au cinéma Arletty, on applaudissait l’émergence de nouveaux talents avec la projection des 4 courts-métrages de fiction issus du dispositif ESTRAN 6. Après 18 mois d’un long parcours professionnalisant, qui alliait temps de formation, travail collectif en résidence et mise en production, quatre films existent, chacun d’excellente facture, et qui augurent de fort beaux lendemains aux auteurs et aux producteurs impliqués.
Au cinéma Arletty toujours, on pouvait encore parler d’émergence mais en s’intéressant cette fois à l’étape d’après : on y projetait Toril, le premier long-métrage d’un réalisateur ayant déjà fait ses preuves dans le court, Laurent Teyssier, produit par Tita Productions, à Marseille. Son scénariste, Guillaume Grosse, était présent, qui témoignait de son parcours lors d’un rendez-vous animé par Bénédicte Pagnot. 
Côté documentaire, c’est un autre jeune talent, Jean-Baptiste Mees, qui s’était déplacé pour échanger avec le public sur cette précieuse expérience qu’est la réalisation d’un premier film, très subtil et assez irrésistible sur ce que représente La vie adulte (son titre), pour les personnages du film comme, peut-être, pour son auteur…

Comme pour refermer une boucle en guise de cercle qu’on espère vertueux, les Rencontres proposaient, lors d’un ultime rendez-vous cette année, de revenir au tout début de ce long cheminement qui conduit au film : l’idée et sa mise en forme, l’écrit. Autrement dit, en invitant trois structures travaillant en région, porteuses chacune d’une proposition singulière d’accompagnement à la création, c’est à l’écriture qu’on revenait, là où tout commence et là où il faut tâcher que rien ne s’arrête. Et ce n’est pas si facile.
Étaient présents pour en discuter : Éminé Secker pour De L’Écriture à l’image, à Saint-Quirin (57) ; Charlotte Le Vallégant pour Le Groupe Ouest, à Brignogan-Plages et Plounéour-Trez (29) et Sébastien Lasserre pour La Ruche, à Gindou (46). Colette Quesson, productrice (À Perte de Vue), animait cette table ronde.

 

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De gauche à droite : Charlotte Le Vallégant, Sébastien Lasserre, Colette Quesson, Éminé Seker © YLM Picture

 

Du désir, des lieux et un temps pour des histoires.

En revenant sur son parcours d’auteur, Guillaume Grosse insistait sur l’importance pour l’écriture de Toril d’un détour par la Maison bleue, une résidence d’écriture à Contis, dans les Landes. C’est là, pour lui, qu’ont émergé les personnages et les lignes de force du récit. Avant cela, Guillaume était passé par l’Atelier de la Fémis, et par les Ateliers d’Angers… Autant d’étapes déterminantes dans un processus au long cours fait de dérives et de circonvolutions et où l’auteur est seul la plupart du temps, confronté aux affres de l’écriture.
Il y a donc ces dispositifs et ces lieux inventés tout exprès pour accueillir ces auteurs, et où tout est pensé et organisé pour leur permettre d’aller le plus au bout possible d’une histoire, d’une forme, leur projet. En confiance.

Eminé Secker, Charlotte Le Vallégant et Sébastien Lasserre ne disent pas autre chose quand ils évoquent chacun leur tour ce qui a déclenché un désir de structure et motivé le passage de l’idée à sa concrétisation : la nécessité d’aider des talents à se révéler, celle de répondre à – ou de devancer – un besoin de collectif et d’accompagnement pour y arriver.

De l’Écriture à l’image, c’est d’abord l’étincelle d’un désir, celui d’un collectif de créatifs – Jamais deux sans trois – qui voulait faire des films et qui s’est réuni pendant un mois pour avancer le plus vite possible. Il s’agissait alors de documentaire seulement, sur un territoire historiquement centré sur la production du genre. D’autres projets ont essaimé – des ateliers, des week-ends d’écriture – jusqu’à devenir cette jeune organisation structurée aujourd’hui autour de différentes propositions de résidences : à destination d’auteurs de documentaires toujours, de fiction aussi, depuis 2012 (alternativement court et long-métrage) et un troisième format pour la deuxième fois cette année, dédié aux écritures innovantes.
La résidence La Ruche est plus jeune encore (elle a 4 ans) et s’est inscrite en continuité d’un festival – les Rencontres Cinéma de Gindou –, d’actions diverses menées autour du cinéma à l’année, et d’un travail de soutien à la création et à l’écriture de scénario au long cours. L’idée d’une résidence est surtout née du constat que rien n’était proposé aux autodidactes en cinéma, que Sébastien décrit comme « ceux qui œuvrent seuls dans les marges ». La Ruche ne s’adresse qu’à eux, et aux films qu’ils ont en tête, pour faire courts.
Le Groupe Ouest est le plus ancien des trois dispositifs puisqu’il fête ses dix ans. Le plus développé également, avec de nombreuses ramifications maintenant.
Il s’agissait au départ d’œuvrer dans le sens d’une décentralisation par le cinéma et depuis la Bretagne. « Nous voulions contribuer à créer les conditions d’une véritable émergence en matière de création de longs-métrages, » se souvient Charlotte. « Il y a une dizaine d’année, l’écriture de scénario était très peu structurée en collectifs, très peu considérée et tout aussi peu rémunérée. » En toute logique, Le Groupe Ouest a donc décidé de se placer au premier stade de développement d’un projet cinématographique, l’écriture, quand l’auteur est seul le plus souvent, sans producteur, sans financement. La première sélection annuelle est créée en 2008 pour les accueillir, « les renforcer, et les aider à aller plus loin en eux et dans les histoires qu’ils ont à raconter ».

Des territoires, la politique en jeu.

Quand ils présentent chacun leur tour le lieu d’où tout est parti, on sourit à les entendre renchérir à qui vit dans le village le plus petit : 300, 800, 1000 habitants ! L’isolement du lieu et l’exception du cadre, mais aussi la synergie avec l’endroit et ses habitants, semblent jouer un rôle déterminant dans la réussite de leurs processus tels qu’ils sont pensés.
Un point commun qui en rencontre un autre, voisin : le rôle des politiques territoriales. Eminé Seker témoigne ainsi de « l’impulsion déterminante d’un changement de politique territoriale et d’une volonté de participer à un écosystème économique et culturel de la création audiovisuelle de la part des responsables politiques. Nous avons été plus ou moins invités à créer notre structure ! Par la suite, nous avons obtenu un fonds européen qui nous a permis de mettre en place la résidence fiction. » La Ruche, quant à elle, est soutenue localement par la Région Occitanie et par le CGET (1) qui intervient principalement dans la politique de la ville, et donc des quartiers. « Mais il y a une autre dimension très stimulante pour nous, le partenariat avec les régions où nous voyageons avec nos auteurs, l’agence régionale ECLA et Rhône Alpes Cinéma », précise Sébastien Lasserre, dont la résidence est en partie itinérante et couplée à des festivals ce qui permet aux résidents de s’immerger dans des temps professionnels (2).

Le Groupe Ouest a démarré « avec des financements publics territoriaux très volontaristes et, dès le départ, dans une logique de collaboration internationale avec d’autres entités européennes », qui lui ont valu de pouvoir compter sur des financements européens.

Grâce à ces soutiens, les structures sont en mesure d’accueillir les auteurs dans des conditions qu’ils veulent optimales ; elles ne s’interdisent cependant pas de leur demander une participation financière au programme. Au Groupe Ouest, « tout l’accompagnement et les frais de résidence sont pris en charge. Les huit auteurs ont à payer leur billet pour venir jusqu’à nous », précise Charlotte Le Vallégant. Une répartition qui n’est pas exactement celle de La Ruche, qui « demande des frais de participation de 120 euros à la résidence », les déplacements étant aussi à la charge des auteurs. Sébastien Lasserre précise qu’il peut néanmoins leur arriver « d’aider, à ce niveau, un lauréat désargenté. » Après s’être longtemps posé la question, l’équipe de Saint-Quirin a décidé de demander à ses heureux élus une cotisation de 300 euros, une façon pour elle de concrétiser l’engagement qui lie l’association à l’auteur.

Accompagner l’individu et engager le collectif : faire profils hauts.

Chacun de ces dispositifs ne s’adresse donc pas au même public ni ne reçoit le même type de projet. En revanche, il semble que le processus de sélection et le principe de base de l’accompagnement soient sensiblement les mêmes pour leurs résidences « historiques», à quelques variantes près.
Après une sélection en plusieurs étapes visant à créer un groupe cohérent, capable de cheminer ensemble, constitué pour un enrichissement des êtres et des projets, il s’agit d’accueillir les auteurs en immersion plusieurs fois dans l’année (3) et de poursuivre entre-temps le développement des projets, avec l’obligation de rendre des éléments très régulièrement. « Ce séquençage des résidences permet à l’auteur de prendre du recul, de revenir la fois suivante mieux armé grâce à ce temps de maturation essentiel », juge Eminé Seker.

 

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Même si l’exigence de fond et l’implication qu’elles demandent ne varient pas, la finalité de ces résidences n’est pas la même. Ainsi, pour Charlotte Le Vallégant, « Le Groupe Ouest accompagne l’émergence certes, mais pour que les scénarios deviennent des films, pour que le projet aille jusqu’à l’écran. Nous nous adressons à des auteurs de premier, deuxième ou troisième long métrage, ayant déjà une première expérience de mise en production d’un film. Dans le cas d’un premier long, nous nous assurons pendant la sélection que les auteurs pressentis ont bien conscience du parcours qu’il faudra accomplir. » Pour Sébastien Lasserre, il s’agit d’aider les jeunes autodidactes qui postulent « à structurer leur projet de professionnalisation dans le cinéma. La résidence n’est qu’une toute première étape et nous nous assurons d’ailleurs qu’ils le comprennent. » Eminé Seker enfin évoque « la cohérence entre le cv de la personne qui présente le projet et le projet lui-même » dans les critères de sélection. « Nous n’avons pas d’exigence en termes d’expérience dans le court ou le long métrage. Nous attendons bien sûr de la  créativité et de l’originalité, mais nous nous posons surtout la question de savoir s’ils seront capables d’aller au bout. Nous savons maintenant mesurer, par exemple, la capacité à écrire et à réécrire du candidat, ce qui est primordial dans notre approche : il faut pouvoir réagir très vite aux retours qui ont lieu tous les deux jours. Nous insistons aussi sur les motivations de l’auteur à choisir la résidence, cherchons à connaître les points de blocage qu’il a pu identifier et s’il est prêt à se mettre à nu. »

Tous les trois insistent sur une alchimie essentielle qui dépend de « la composante humaine ». Elle permettra à chacun d’avancer seul et ensemble dans son projet. Au Groupe Ouest, « c’est neuf mois de travail dans une logique collective où les auteurs se lisent les uns les autres, s’adressent des retours les uns les autres, où les rendez-vous se succèdent selon différentes géométries de travail, différentes énergies, très intimes y compris. » Pour Eminé Seker, « la composition du groupe est évidemment l’une des clés de la réussite de la résidence. Beaucoup de nos auteurs continuent à travailler ensemble après. Nos critères de sélection ne sont donc pas tous objectifs ; nous tenons compte de la parité, des tranches d’âge, de ce que les projets se répondent bien les uns aux autres… »

Ce cheminement au long cours ne peut se faire qu’en généreuse compagnie, celle de ceux qu’on nomme coachs, consultants, tuteurs, tous experts et engagés au service du projet et de son créateur. Au Groupe Ouest, des scénaristes encore en activité – c’est-à-dire encore « confrontés à ce que c’est que de chercher ce qu’on veut raconter » – interviennent en binôme, ce, pour échapper au regard unique et à une confrontation des subjectivités qui seraient dommageables pour le projet. Ils savent déceler les « perspectives de réécriture générées par les propositions de l’auteur et participent à faire émerger les lignes de force du projet. » Mais ils ne sont pas seuls, le collectif entrant pour une part essentielle dans la progression de chaque individualité : « les sessions collectives sont là pour ouvrir les yeux de l’auteur sur son projet. On voit souvent beaucoup mieux ce qui pêche dans le projet du voisin que dans le sien. Ce qu’on dit à l’autre fait souvent écho à ce qu’on traverse et qu’on n’ose pas s’avouer ! ». Chacun se forme donc dans une expertise pour son projet et celui des autres. Ces sessions collectives sont programmées en alternance avec des temps de travail individuel, pour approfondir.
À Saint-Quirin, un groupe constitué de tuteurs du Grand Est (auteurs, réalisateurs, scénaristes), et d’intervenants extérieurs (producteurs et chargés de programme, intégrés tôt afin de faire entrer la notion de faisabilité du projet dans le parcours), encadre les auteurs en groupe, mais aussi en tête-à-tête, « l’auteur pouvant alors formuler des choses qu’il n’a pas envie de dire publiquement et qui peuvent lui permettre d’avancer. »
À Brignogan, Gindou, Saint-Quirin, les auteurs vivent sous le même toit, partagent la cuisine et cela apporte au collectif une occasion précieuse, renouvelée quotidiennement, de « débriefer de façon informelle. » Ainsi, les apéros et les soirées choucroutes du Grand Est, fréquents, servent-ils une dynamique de groupe !
Pour La Ruche, la spécificité d’un public autodidacte et inexpérimenté oblige à un accompagnement plus adapté et plus souple encore que dans le cas des deux autres dispositifs. « Nous sommes trois, moi et deux auteurs-réalisateurs en activité. Nous avons des sessions collectives, tous ensemble ou par groupe de quatre, mais l’essentiel du travail se fait dans une partie de ping-pong entre l’auteur et son tuteur. J’interviens plus tard, quand un peu de recul s’avère nécessaire. Les projets sont souvent directement liés à une histoire personnelle et une remise en question peut tout bloquer chez ces jeunes auteurs. Il nous faut trouver une justesse en fonction des moments, être protecteur mais savoir aussi bousculer quand il le faut ! ».

 

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Sebastien lasserre © YLM Picture

Ouverture(S).

De plus en plus de dispositifs de ce type sont créés en régions, sur tout le territoire français, pour soutenir très en amont la création et gagner en temps et en qualité des projets. Ils n’ont pas vocation à se substituer  aux producteurs, qui le savent bien et proposent eux-mêmes souvent ce temps d’aparté à leurs auteurs. Le CNC l’a aussi bien compris. Valentine Roulet (chef du service de la création au CNC) était dans l’assistance. Nous apprenions ainsi que le CNC prévoyait d’intervenir et d’aider les auteurs dans cette phase de résidence, « afin d’être plus progressif dans les dispositifs d’aides. Nous recevons entre 1400 et 1500 scénarios par an pour l’aide avant réalisation et nous en aidons 50. La masse de frustration des auteurs qui tapent à cette porte nous a donné envie de proposer des accompagnements un peu différents ; et c’est ce que nous avons fait avec les tutorats, l’augmentation importante des aides à la réécriture et le nouveau dispositif mis en place suite à la réforme du court-métrage. Nous allons créer des bourses de résidence pour le court-métrage, avec l’attribution d’une bourse pour les candidats à l’aide avant réalisation. Nous prévoyons également de le faire dans la commission Images de la diversité, pour les aides à l’écriture. Ces aides seront complémentaires du tutorat et des aides à la réécriture. » (4)
Le Groupe Ouest pense à étendre son rayon d’action au court-métrage en 2017, « la demande d’accompagnement en la matière étant de plus en plus importante. »

De nouveaux soutiens et des ouvertures qui accentuent la flamboyance d’un rouge passion, celle des auteurs pour la création cinématographique. Gageons que pour la  prochaine édition des Rencontres de Films en Bretagne, de nouvelles œuvres accompagnées ici ou là en régions écloront sur les écrans… Rendez-vous en octobre 2017 pour y assister.

Gaell B. Lerays

(1) Commissariat Général à l’Égalité des Territoires

(2) Premier temps en résidence lors des Rencontres cinéma de Gindou, puis en octobre à Bordeaux durant le Festival international du film indépendant en partenariat avec l’agence Ecla Aquitaine, et enfin à Villeurbanne durant le Festival du film court, en partenariat avec Rhône-Alpes cinéma.

(3)  Cinq auteurs à St Quirin, pour 2 fois 2 semaines ; Huit à la Sélection annuelle du Groupe Ouest, 3 fois une semaine ; Huit également à la Ruche, avec 3 fois dix jours.

(4) Le bureau des auteurs du CNC prépare un guide des résidences d’écriture, de réalisation, de postproduction, mais aussi des structures d’accompagnements des auteurs et des bureaux d’accueil des auteurs sur le territoire. Ce guide sera consultable prochainement sur le site du CNC ici.


En savoir +

Le site de De l’Écriture à l’Image

Le site de La Ruche

Le site du Groupe Ouest

En complément : des informations sur la prise en charge de la formation professionnelle des auteurs.

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Dans le cadre du partenariat entre Films en Bretagne et l’association rennaise Clair Obscur, un second volet sur ce thème de la création accompagnée sera proposé le 14  février 2017 pendant les rencontres professionnelles du festival Travelling. Plus d’informations à venir en amont de cet événement.