Identification d’une filière


L’identification d’une femme – et même de deux – a eu lieu lors de la projection en avant-première de Melody du Belge Bernard Bellefroid, beau portrait de deux héroïnes contemporaines. Celle d’une filière – le long métrage d’initiative régionale – a fait l’objet de longs et fructueux échanges. Et c’est ainsi que la fiction a fait son entrée à Doc’Ouest par la grande porte !

Dans un avenir proche, peut-être faudra-t-il rebaptiser la manifestation. C’est à la demande des professionnels bretons que, cette année, la fiction a partagé l’affiche avec le documentaire, genre qui constitue le socle du PAB. Les temps changent. De jeunes sociétés de production tournées vers le court métrage se sont implantées en Bretagne – qui ne s’arrêteront pas en si bon chemin – et des structures régionales parmi les plus expérimentées ont déjà produit des fictions longues.

On pense à Microclimat de Marie Hélia produit par Paris-Brest Productions, aux Lendemains de Bénédicte Pagnot, par .Mille et Une. Films ou encore au film d’animation Louise en hiver de Jean-François Laguionie, en cours de production chez JPL Films. La fiction longue d’initiative régionale cherche à émerger. Nourrie de témoignages, d’expériences puisées ailleurs en Europe, d’initiatives locales récentes, la table ronde qui lui était consacrée s’est interrogée sur les leviers à actionner pour que davantage de projets de longs métrages émanent des régions.

Valérie Ganne, journaliste en charge du dossier spécial Régions pour Ecran Total, a fait un tour d’horizon de la production de fictions hors Paris. Le nombre d’entreprises a certes fait un bond entre 2000 et 2010, mais celles qui ont produit des longs métrages ne sont pas légion. Et pourtant, Cédric Pellissier, le directeur d’Ecla Aquitaine, en est convaincu : « Les régions où des compétences se sont forgées présentent une véritable alternative au développement de la production cinématographique », concentrée en Ile-de-France. Pour Antoine Le Bos, le directeur du Groupe Ouest, « elles pourraient même devenir des territoires emblématiques d’un cinéma audacieux à budget limité ».

Melody a été développé en partie au fin fond du Finistère, à Plounéour-Trez, d’où le Groupe Ouest jette ses filets sur le reste du monde, créant des partenariats avec d’autres régions européennes pour faire émerger des projets de fictions longues. La Région Bretagne a soutenu le film à travers son fonds filière. 17 jours de tournage en Bretagne sur 37 au total, embauche de techniciens d’ici, post-production au studio rennais AGM Factory : les 100 000 euros d’aides ont généré 300 000 euros de dépenses.

Mille et Une. Films est intervenue en tant que coproducteur délégué. « Un rôle qui me fait exister comme acteur de ce réseau et me permet de me former sur le tas. Grâce à cette opportunité, la société commence à se faire sa place dans le monde du cinéma », s’est réjoui Gilles Padovani.

Jusqu’à présent, la Région Bretagne n’autorisait pas d’autres formes de coopération que la coproduction déléguée. Le règlement a évolué depuis peu. Désormais, les sociétés de production peuvent s’engager sur des coproductions associées, dispositif plus souple et plus avantageux que le producteur de .Mille et Une. Films mettra à profit très bientôt sur un film palestinien.

Les fonds régionaux d’aides à la fiction longue ne fonctionnent pas tous de la même façon. En Aquitaine, la territorialisation des tournages n’est pas exigée. Soutenu par Ecla, Pasolini, le dernier film d’Abel Ferrara, a été tourné à Rome mais monté à Bordeaux pendant deux mois, et accompagné de master-class, de projections, etc., que Cédric Pellissier qualifie « d’effets de dominos positifs ». Cette région joue sur différents registres pour structurer sa filière : aides aux programmes d’entreprise, soutiens à l’écriture et au développement, accompagnement par le bureau des auteurs, résidences.

Car, en la matière, l’argent n’est pas le seul nerf de la guerre. En témoigne la situation de la Région Rhône-Alpes, dotée d’un fonds cinéma important qui n’a pourtant pas entraîné l’émergence de professionnels – producteurs et réalisateurs – . « La question de la formation est essentielle », a insisté Jérôme Duc-Maugé, producteur lyonnais de Parmi les lucioles films. En Bretagne, l’idée d’une maison des auteurs fait son chemin. Et la prochaine mouture du dispositif Estran formera à la fois des jeunes réalisateurs et des producteurs.

Cet accompagnement renforcé limiterait la fuite des talents au moment de franchir le pas du premier long métrage. Ancienne stagiaire d’Estran, la réalisatrice Vanessa Le Reste va se lancer dans sa première fiction longue avec une société parisienne. Elle pensait « pouvoir travailler avec un producteur breton », qu’elle n’a pas trouvé, « soit parce qu’il n’en avait pas l’envie, soit pas les épaules sur le plan financier ». « Du coup, j’ai bien été obligée de partir à Paris ! ».

Pascale Breton a témoigné de l’importance du réseau. La cinéaste qui vient de terminer le montage images de son deuxième long métrage, tourné à Rennes, a commencé sa carrière comme scénariste à Paris. Elle n’est revenue en Bretagne qu’après avoir réalisé deux moyens métrages. Elle continue cependant à faire produire ses films par des Parisiens (1), – car « établir des passerelles entre les différents acteurs en régions prend du temps » – , et y voit un intérêt : « Cela fait un autre endroit d’où travailler ». Elle considère néanmoins qu’un « renouvellement peut venir des régions, un appel d’air, Paris étant une ville repliée sur elle-même ».

En Bretagne, la fiction longue d’initiative régionale vient de se doter d’un nouvel outil de financement. Le premier fonds de dotation dédié à la création cinématographique a été créé à l’initiative du Groupe Ouest, plateforme européenne de développement de scénarii. « Nous avons constaté qu’il y avait peu de longs métrages bretons issus de nos sessions. Il y avait donc un pilier manquant », a fait remarquer Charlotte Le Vallégant, chargée de la coordination générale du Groupe Ouest. D’où ce fond privé, inspiré d’expériences menées dans d’autres régions européennes et qui fera pendant aux subventions publiques.

Le Crédit agricole a apporté la mise de départ : 1 million d’euros qui devront être abondés par d’autres investisseurs, « l’objectif étant d’attirer des entreprises bretonnes de portée internationale et d’autres plus petites », a précisé Vincent le Hir, qui s’occupe des partenariats au Groupe Ouest. « En contrepartie, 60% des sommes investies seront défiscalisées. Il faudra aussi que ces sociétés trouvent leur compte en matière de communication. Nous allons leur proposer un programme sur-mesure : avant-premières pour les salariés, découverte d’un tournage, présence dans les festivals… ». Située dans le champ de l’économie sociale et solidaire, le Breizh Film Fund aidera prioritairement « la création émergente, un couple réalisateur-producteur, et favorisera les collaborations entre professionnels de Bretagne et d’autres régions du monde », a souligné Antoine Le Bos, pour qui « faire des films, c’est aussi fabriquer du développement sur un territoire ».

Au sein de Films en Bretagne, le ‘’groupe fiction’’ (2) planche déjà sur l’émergence de cette filière. Doc’Ouest aura permis d’associer d’autres régions à cette réflexion. L’envie de coopérer s’est fortement exprimée. « Il ne faut pas traîner », a-t-on entendu en forme de conclusion enthousiaste à cet atelier de travail.

Nathalie Marcault

(1)  Illumination (2004) produit par Gemini Films, Mémoire vive (en cours de finition) produit par Zadig Films.

(2)  Entre autres initiatives, le groupe de travail ‘’fiction’’ animé par Films en Bretagne a organisé à Doc’Ouest les premières rencontres entre auteurs et producteurs de longs métrages d’initiative régionale. Une dizaine d’auteurs ayant un projet de fiction longue en lien avec la Bretagne ont pu échanger avec des producteurs expérimentés établis en régions.

Photo de Une © Béatrice Pettovich

Le film Melody sera à projeté lors de la journée Le Soleil se lève à l’Ouest  le 17 octobre à Questembert.

Melody – Long-métrage de Bernard Bellefroid, écrit par Bernard Bellefroid, Carine Zimmerlin et Anne-Louise Trividic.

Une coproduction avec Artémis Production (Belgique), Samsa Film (Luxembourg), Liaison Cinématographique (France) et .Mille et Une. Films (France). Avec le soutien de Soficapital, Eurimages, de la Région Bretagne, de la Communauté française de Belgique, de Bruxellimage, du Film Fund Luxembourg, de la RTBF. En association avec Cofinova 10. Le film a été développé avec le soutien du Groupe Ouest dans le cadre de sa sélection annuelle 2012.

Prix du public de la ville de Namur au Festival du Film Francophone de Namur 2014 • Prix Cinevox au Festival du Film Francophone de Namur 2014 • Prix d’interprétation pour Rachael Blake et Lucie Debay au Festival des film du monde de Montréal 2014 • Mention spéciale du jury œcuménique au Festival des Films du Monde de Montréal 2014.