Aide publique à la production : un modèle flamand en pleine expansion


Comment concilier l’économique et l’artistique dans l’audiovisuel et le cinéma ? Sans nullement chercher à donner la leçon, la région Flandre en Belgique voit son cinéma décoller grâce à une structuration progressive de l’aide accordée à la filière. Celle-ci peut désormais s’appuyer sur trois piliers autonomes mais compatibles qui ont pour noms VAF, Screen Flanders et Tax Shelter. Une approche de cette dynamique a été fournie dans le cadre des dernières Rencontres de Films en Bretagne à Saint-Quay-Portrieux.

Le mariage de la culture et de l’économie est au cœur de nombreuses réflexions qui traversent le réaménagement territorial actuellement en chantier en France. À l’heure de définir des pistes qui pourraient dessiner un paysage du cinéma breton au-delà des cinq prochaines années, les Rencontres de Films en Bretagne ont choisi de se focaliser sur un exemple européen qui a émergé ces derniers temps. Il s’agit du modèle de la région Flandre en Belgique, où, dès 2002, s’est progressivement mis en place un dispositif en plusieurs couches qui se traduit désormais par la reconnaissance d’un cinéma flamand bien estampillé pour son dynamisme dans une région qui compte six millions d’habitants et où sont implantées près de cinquante sociétés de production.

Jan Roekens, responsable des productions au sein du Screen Flanders et Dries Phlypo, producteur pour la société A Private View, laquelle a bénéficié de ce dispositif global pour le film belgo-français Vincent de Christophe Van Rompaey sorti en 2016, sont venus témoigner d’une réalité qui, pour être spécifique à la Belgique par certaines dimensions, peut donner matière à réflexion.

 


Plusieurs voyants illustrent, de manière significative à leurs yeux, le développement actuel du cinéma en Flandre. Le nombre de films flamands comme celui des productions internationales tournées en région sont à la hausse. Il en va de même des entrées en salle ou de la représentation flamande dans les festivals de cinéma à l’étranger. La filière professionnelle est directement impactée. Depuis 2012, où le système est devenu pleinement opérationnel avec notamment la création du Screen Flanders qui peut être considéré comme le dernier étage du dispositif, les principales maisons de production basées en Flandre ont renforcé leurs structures alors que leur base s’est élargie. On note également un nombre croissant de fournisseurs techniques et une meilleure utilisation du potentiel des équipes installées sur le territoire flamand.

Pour mieux comprendre ce modèle qui n’est pas unique en Belgique puisque la Wallonie ou la région Bruxelles-Capitale opèrent avec les mêmes outils et des règles de fonctionnement proches, il faut se référer aux différents échelons de l’organisation administrative belge. Trois sources différentes de financement public sont à l’œuvre au niveau de trois échelons différents de décision, la communauté, la région et l’état fédéral. Le schéma adopté a pour première pierre le Fonds audiovisuel de Flandre à vocation culturelle – le VAF – lequel fonctionne au niveau de la communauté flamande. Érigé en structure autonome, il a véritablement démarré, sous la forme qu’on lui connaît aujourd’hui, en 2002 et il intervient dans la formation et l’accompagnement de talents, le financement des projets et leur promotion, l’éducation du public, les mesures économiques et la recherche par la collecte et l’analyse de données. Fiction, documentaire, animation et films expérimentaux, longs comme courts métrages, sont concernés. Le VAF exclut de son champ d’intervention les films amateurs, le travail d’accompagnement socio-culturel, la création audiovisuelle multi-écrans, les écoles de cinéma ou le patrimoine. Dans son budget, c’est la part consacrée à la création et à la production qui est la plus importante – 11 495 000 euros en 2016. Les projets sont soumis à une commission consultative – la décision finale appartient au conseil d’administration du VAF – qui peut attribuer des aides au scénario, au développement comme à la production. De nombreux critères entrent en jeu selon qu’il s’agisse d’un film d’auteur, grand public ou destiné aux plus jeunes.
Quoiqu’élément dynamisant de la filière audiovisuelle et cinématographique, le VAF s’est vu compléter depuis 2012 par le fonds économique Screen Flanders constitué à l’exemple de ce que pratiquait déjà la région wallonne avec son fonds Wallimage. « Nombre de sociétés de production ont grandi en Wallonie grâce à ce dernier. Nous nous sommes battus pour avoir l’équivalent en Flandre afin de rendre l’industrie plus forte, commente Jan Roekens, Il était nécessaire de mettre en place ce système pour stimuler les sociétés de production et les industries techniques qui leur sont liées. »

 


 

L’échelon de la décision est ici celui du gouvernement flamand qui finance le Screen Flanders à partir du fonds Hermès lequel vise à stimuler la croissance économique, l’innovation et l’esprit d’entreprise en région Flandre. Sa gestion est partagée à égalité dans une commission comprenant trois techniciens de l’action économique et trois représentant du VAF. Entre 2012 et 2016, sur 171 demandes examinées 92 dossiers ont été soutenus. Les critères d’attribution du Screen Flanders sont pour moitié économiques – il existe entre autres un seuil minimum de 250 000 euros de dépenses éligibles en Flandre et la présence nécessaire d’un coproducteur belge – et la qualité du scénario n’intervient que pour 10% dans le choix. Pour être retenu, le film peut être une fiction, un documentaire ou une animation, mais tous doivent dépasser les soixante minutes à l’écran et le Screen Flanders n’accorde son appui qu’aux stades de la production et de la post-production, parfois même quand le tournage a déjà commencé. Son budget annuel pour ses actions de soutien est de 4 500 000 euros, distribué en trois sessions annuelles. Cela donne une aide moyenne autour de 220 000 euros par dossier, mais la fourchette d’intervention tourne entre 50 000 et 400 000 euros.

Après quatre années d’expérimentation, Jan Roekens est en mesure d’annoncer que « 57% des projets pris en compte sont à minorité flamande ce qui correspond bien à la volonté d’attirer en Flandre des structures extérieures. » Les Pays-Bas, la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni constituent les pays d’origine des principaux producteurs partenaires, les régions Wallonie et Bruxelles-Capitale ont également été associées. Un autre chiffre après examen des bilans des différentes productions est révélateur : pour un euro avancé par le Screen Flanders, il y a eu une moyenne de 4,6 euros dépensés en Flandre. Ce souci d’efficacité économique n’empêche nullement l’accompagnement du producteur : celui-ci est d’ailleurs invité à défendre son projet devant le jury. « Nous menons un travail de consultation pour amener les projets dans le meilleur état possible sur la ligne de départ, précise Jan Roekens. L’obtention d’une aide de Screen Flanders est compatible avec un soutien du VAF, même si celui-ci n’est présent que dans 52% des projets soutenus, ou de Wallimage, son équivalent pour la région wallonne. Comme elle l’est aussi avec le Belgian Tax Shelter, le dernier élément à avoir donné du tonus au cinéma flamand. »

Ce troisième étage de la fusée est fédéral. Le Belgian Tax Shelter est un dispositif fiscal qui fonctionne depuis 2003 sous l’autorité du ministère des finances. Il permet aux sociétés belges ou étrangères établies en Belgique, quelque soit leur secteur d’activité, d’investir dans des œuvres de cinéma ou de télévision et d’obtenir en compensation des déductions qui viennent diminuer le montant de leurs bénéfices imposables. À titre de référence le montant total d’investissement levé en 2015 est de 180 000 000 euros. Long ou court métrage, fiction, animation ou documentaire, séries télévisées… toutes les formes peuvent en bénéficier à condition d’être agréées comme œuvre européenne selon les directives communautaires. Le montant de cette aide à la création est fonction des dépenses directes et indirectes éligibles en Belgique nécessaires au projet et les bénéficiaires peuvent être des productions belges ou des coproductions internationales avec la Belgique. L’éventail des aides s’étend en 2015 de 10 000 à 6 300 000. « Au début, il était difficile de trouver des investisseurs, aujourd’hui,cette part du dispositif est assurée mais ce sont les producteurs qui font défaut !, commente Jan Roekens. C’est devenu un produit bancaire et le véritable moteur de l’ensemble du mécanisme d’aide au cinéma flamand. Tous les acteurs sont gagnants. » Le producteur parce qu’il finance une partie importante de ses dépenses éligibles ; l’investisseur puisqu’outre la défiscalisation, il bénéficie de manière sécurisée d’intérêts sur les sommes avancées et l’économie belge au bout de la chaîne qui voit un surcroît d’activité dans sa branche audiovisuelle.

Les temporalités différentes, celle d’une société en quête de défiscalisation et celle des producteurs, ont été prises en compte dans l’élaboration du dispositif. Ainsi l’investisseur, s’engage dans une convention-cadre enregistrée au ministère des finances par laquelle il doit libérer les sommes en jeu dans les trois mois après la signature du document alors que le producteur doit réaliser les dépenses annoncées dans son budget dans les dix-huit mois qui suivent, vingt-quatre pour les films d’animation. « Les dépenses obligatoires liées au Tax Shelter sont déterminantes pour le succès du Screen Flanders », analyse Jan Roekens, convaincu de la bonne complémentarité des différents dispositifs. Il peut s’appuyer sur des bilans flatteurs. Depuis 2013, quarante films belges ont vu Screen Flanders investir à hauteur de 8,4 millions d’euros contre 11,86 pour cinquante-deux productions internationales avec, au bout de la chaîne, des retombées économiques de 41,1 millions d’euros pour les premiers et 51,9 millions d’euros pour les seconds. Jan Roekens précise encore que « notre modèle n’est pas figé dans ses règles puisque des modifications ont été régulièrement adoptées depuis la mise en place de cette structure à trois étages pour la rendre plus compatible avec les besoins de la filière. » Décidément, le modèle flamand a de quoi faire envie.

Christian Campion

 

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