« VIOLETA » : la violence discrète du quotidien (par Anaïs Clerc-Bedouet)


Xavier Champagnac est réalisateur et producteur. Après plusieurs années passées à accompagner des films en production, il développe son propre univers cinématographique à travers des documentaires et des courts métrages de fiction sensibles et engagés. Violeta, son dernier court métrage de fiction, s’attache aux petites batailles du quotidien, ces négociations invisibles qui révèlent, en creux, la violence discrète de l’injustice. Sélectionné en compétition nationale au Festival International du Court Métrage de Clermont-Ferrand 2025, ce court métrage témoigne de son regard attentif sur l’ordinaire et sur ce qu’il dit de nous.


Retour d'écran : "la violence discrète du quotidien" par Anaïs Clerc-Bedouet

« Encore un film tourné dans la cuisine de Madame Lebreton ! », me dirait mon oncle. Cette phrase, que j’ai entendue mille et une fois depuis mon enfance sur le ton de la plaisanterie, décrit les films français à petit budget qui montrent les gens dans leur quotidien, des films où il ne se passe pas grand-chose, juste la vie brute, telle qu’elle est. La vie de Monsieur et Madame Tout le Monde. Les films que j’aime.

Ici, c’est dans la cuisine de Violeta qu’est tourné le film. Comme tout le monde, Violeta prend son petit déjeuner. Comme tout le monde, elle se lave les dents. Comme tout le monde, elle doit travailler pour vivre, et subvenir aux besoins de son fils Paco, qu’elle élève en garde partagée avec un certain Ludovic. Et comme tout le monde, elle affronte les aléas de la vie. Sa grand-mère meurt, comme cela arrive à une majorité de quadragénaires. Et son manager est d’une cynique rigidité, comme tant d’autres dans ces emplois mal payés et contraignants.

Sauf que Violeta n’est pas comme tout le monde. Déjà parce que personne ne l’est vraiment – on est d’accord, j’enfonce une porte ouverte. Mais aussi parce qu’elle est étrangère – et ça aussi, pourtant, c’est d’une terrible banalité. Sauf qu’être étrangère et avoir un emploi mal payé et contraignant implique qu’elle n’a pas vu sa grand-mère depuis plus d’un an et que, désormais, la grand-mère est morte. Que sa famille la voit rarement, elle, mais aussi son fils Paco. Qu’elle est désormais davantage chez elle en France qu’en Espagne.

Pourquoi est-ce que ce ne pourrait pas être plus facile d’aller tout simplement en Espagne lorsque la nécessité se présente ? De se déplacer pour aller voir sa famille ? Pourquoi n’est-ce pas une évidence pour tout le monde que ce devrait être un droit universel, que celui de se rendre à l’enterrement de sa grand-mère et de prendre le temps nécessaire pour partager cette épreuve avec sa famille ? Pourquoi devoir négocier ce qui devrait être un droit au nom d’un emploi – dans lequel, de toute façon, il ne se passe pas grand-chose ? Pourquoi devoir négocier ce qui devrait être un droit avec le père de l’enfant au nom de son droit à lui – c’est sa semaine –, au nom de l’école ou au nom de cousins avec lesquels le petit devait passer le week-end ?

Et Violeta négocie, patiemment. Elle explique, elle réplique, elle se défend dans un calme que l’on sent explosif, une colère sourde, ravalée.

Ce rôle, c’est Julia Gómez Valcárcel qui l’incarne, avec un jeu silencieux et des mots pesés qu’elle a elle-même écrits. La caméra semble posée là, à l’observer, comme dans un documentaire. Et pourtant c’est bien une fiction et Julia joue. Elle donne à Violeta un air de Madame Tout le Monde qui ne l’est pas. L’air d’une personne à laquelle on peut facilement s’identifier. L’air d’une personne que l’on aimerait aider.

En fait, c’est ça, l’ingrédient secret de ce film : montrer la violence discrète de l’injustice qui se glisse, presque invisible, dans un quotidien ordinaire.

Et c’est probablement l’ingrédient secret de tous les films tournés dans la cuisine de Madame Lebreton !

 

Anaïs Clerc-Bedouet, mars 2025.


SUR LE RÉALISATEUR : Xavier Champagnac

PORT_XAVIER_CHAMPAGNAC

Xavier Champagnac est réalisateur et directeur de production. Il commence sa carrière comme régisseur sur des longs-métrages (Avant que j’oublie de Jacques Nolot, Le Clan de Gaël Morel, Rester vertical d’Alain Guiraudie, Plaire, aimer et courir vite de Christophe Honoré) avant de se tourner vers la réalisation. De sa rencontre avec des personnes démunies dans une pension du nord de la France naît son premier documentaire, La vie, ici. Il développe alors un cinéma ancré dans l’humain, explorant les réalités sociales et affectives des territoires en déclin.

À travers Les Décentrés (2017), Les Gendarmes et le Territoire (2019) ou encore Maux d’absence (2021), il suit ceux dont le travail et la place dans la société sont souvent invisibilisés. Son dernier film, Les Vaillantes (2024), prolonge cette démarche en s’immergeant dans le quotidien d’aides à domicile auprès de personnes âgées dépendantes. Sélectionné au Festival International du Court Métrage de Clermont-Ferrand 2025, court métrage de fiction, Violeta, s’inscrit dans cette même veine, interrogeant la violence feutrée des contraintes administratives et familiales qui entravent les trajectoires individuelles.


SUR LE FILM : VIOLETA

Violeta de Xavier Champagnac

Une journée dans la vie de Violeta, une femme espagnole qui vit en France seule avec Paco, son fils de 6 ans. Au cours de cette journée, Violeta apprend le décès de sa grand-mère. Cette mort la confronte au présent. Au fil de ces quelques heures, de ses hésitations, elle se construit une nouvelle façon d’être au monde. Elle s’éveille, elle désire à nouveau.

22 minutes • France • 2024

Scénario : Xavier Champagnac et Julia Gómez Valcárcel • Réalisation : Xavier Champagnac • Avec : Julia Gómez Valcárcel, Elouann Lucas, Sheila Maeda, Thierry Barbet, Isabelle Sempéré et Jérémy Robert • Directeur de la photographie : Félix Moy • Chef opérateur du son : Philémon Schaffhauser • Monteur image : Régis Noël • Étalonneur : Pierre Bouchon • Monteur son et mixeur : Henry Puizillout • Scripte : Esther Jacopin • Directrice de production : Ophélie Pihan • Cheffe décoratrice : Maud Coué • Régisseuse générale : Amandine Jeanclaude

Un film produit par Les Salines Films : Alyson Cleret et Lucile Mayet