Un documentaire de création, ça s’écrit ! Et comme tout exercice d’écriture singulière, il est empreint de solitude et nécessite souvent une pugnacité possiblement nuisible au projet. Sans compter que les réalisateurs ne savent pas toujours écrire. À différents moments et pour des interventions de natures diverses, certaines personnes peuvent aider à lancer, aboutir, ou relancer un projet. On les nomme, faute d’un terme générique unanimement employé, collaborateurs, consultants, ou accompagnateurs à l’écriture. Céline Dréan et Nathalie Marcault ont l’écriture dans la peau. Elles font partie de ces compagnons d’un temps qui mettent ce talent au service d’autres gens.
Céline Dréan et Nathalie Marcault sont toutes deux réalisatrices de documentaires et ont chacune eu l’opportunité de rendre un peu de ce qui leur avait été transmis à un moment donné, en mettant au service d’un autre leur goût et leur disposition pour l’expression écrite.
Fortes de leur expérience du dossier documentaire, des chemins qu’il faut emprunter pour arriver, de leur savoir-faire aussi, acquis au fil des films, des emplois et des années, elles ont développé ce qui est devenu pour elles un complément d’activité régulier.
Nathalie Marcault a toujours écrit, aimé raconter des histoires, et toujours pris un immense plaisir à chercher la meilleure forme pour chaque type de récit. Après des études de lettres, elle s’est engagée dans le journalisme pour travailler dans la presse écrite. Mais, ayant fait une seconde partie de carrière un peu trop longue, et déceptive, à la télévision, elle a quitté le métier après dix ans : « Si j’avais continué en presse écrite, je serais peut-être encore journaliste à l’heure qu’il est ? », s’interroge-t-elle.
Son stage aux Ateliers Varan lui donne à comprendre ce qu’est un film documentaire, et c’est ensuite la voie qu’elle choisit de tracer. Ce n’est cependant pas avant son premier long métrage qu’elle raccorde avec l’écriture et plonge dedans : « J’ai commencé à écrire seule une première version d’À la gauche du père, en 2003. J’ai obtenu l’aide à l’écriture de la Région Bretagne, ce qui m’a donné confiance en moi. J’ai ensuite suivi une résidence d’écriture à Lussas, dont je suis partie avec des outils pour écrire un dossier et le structurer. C’est aussi là que j’ai compris comment on pouvait faire accoucher d’un film, par le dialogue, en poussant l’auteur dans ses retranchements, en creusant l’intention et en revenant toujours au point de départ : le désir du film », se souvient-elle.
Une deuxième résidence mise en place par le Groupe Ouest, et accueillie par Ty Films à Méllionnec, lui fait dire que ces expériences ont servi sa pratique de l’accompagnement à l’écriture.
Le travail d’écriture en collaboration avec un producteur a été lui aussi très formateur pour elle. Nathalie souligne que « Jean-Raymond Garcia (alors producteur chez Moviala Films, coproducteur d’A la gauche du père avec Tarmac Productions) comme plus tard Jean-François Le Corre et Sabine Jaffrennou de Vivement lundi ! (pour David et Fritz), et aujourd’hui Cécile Lestrade (Alter ego productions pour Pierdel, puis La Moitié du monde, en développement, avec cette fois Elise Hug, productrice elle aussi) sont très exigeants et savent très bien accompagner artistiquement l’écriture de dossiers. C’est très important, et j’ai eu cette chance de les rencontrer. »
La bonne réception de ces dossiers dans les comités et l’avis favorable des lecteurs lui donnent confiance et l’encouragent à continuer à écrire des films, ses films. Puis à proposer à d’autres par la suite une démarche éprouvée qu’il faut constamment réinterroger.
Céline Dréan a elle aussi bénéficié de ce compagnonnage avec Jean-François Le Corre tout au long de son parcours (qui a produit la presque intégralité de ses films documentaires et de ses webséries), et de cette exigence fructueuse dans la phase de l’écrit.
Outre ses expériences d’écriture personnelle, Nathalie estime s’être formée à l’accompagnement à travers d’autres pratiques. Son expérience de deux ans comme lectrice en Aquitaine lui permet de se confronter aux dossiers des autres¹ ; celle des « Echanges de regards« ² est un moyen pour pallier les affres de l’écriture, la solitude en particulier ; et enfin, la pratique de la lecture régulière d’autres projets la nourrie en continu.
« Je conseille toujours aux jeunes gens de lire des projets et de voir le film fini ensuite, pour voir l’écart entre le film et la note d’intention. Pour constater comment on a pu anticiper les choses qu’on retrouve dans le film. C’est très formateur », précise-t-elle.
C’est alors que Nathalie fait partie du Bureau des auteurs, en Aquitaine encore, qu’elle a maille à partir avec la rédaction de ses premières fiches de lecture, une première étape vers la collaboration à l’écriture. Nous sommes en 2012, elle multiplie ensuite les modes d’intervention en fonction des nécessités et des sollicitations.
Comme pour Céline, des producteurs font appel à elle pour des consultations très en amont, sorte d’audits sur les qualités d’un projet. Ou pour des réajustements pouvant aller jusqu’à des réécritures de dossiers commencés par les réalisateurs qui, pour une raison ou pour une autre, et à différents degrés, ne tiennent pas encore la route. Elle a aussi participé à une résidence pour Ty Films en tant qu’accompagnatrice, sur un temps plus long, où il s’agissait d’appliquer une maïeutique inspirée de sa propre expérience, et adaptée au projet.
Nathalie et Céline sont par ailleurs toutes deux inscrites au répertoire des tuteurs mis en place par Films en Bretagne, qui propose systématiquement aux auteurs qui ont obtenu l’aide à l’écriture de la Région Bretagne, la possibilité de se faire accompagner dans le cadre d’un tutorat.
« Ce tutorat n’est pas seulement utile pour les retours que l’on fait sur l’écriture de projets, qui en sont souvent à leurs balbutiements. C’est aussi l’occasion de guider des auteurs inexpérimentés, de leur parler des différentes aides à l’écriture existantes, et aussi des producteurs qui les entourent, des orientations qu’ils peuvent prendre », commente Céline.
Pour Nathalie, l’accompagnement à l’écriture est bien souvent « un accélérateur de particules » dans le cas de ses propres films, qu’elle s’applique à déclencher pour ceux avec qui elle est amenée à collaborer.
Elle pour qui le temps de l’écriture s’étire le plus souvent beaucoup trop dans le temps, pense qu’à l’avenir elle choisira de co-écrire ses films. « Ce temps permet de rester dans le confort du film rêvé, avant de se confronter au tournage et donc à la réalité ! » confie-t-elle.
Céline ne pense pas autrement quand elle dit « si fécond de travailler à plusieurs. L’écriture c’est une pression forte et des inquiétudes, qui sont un peu diluées quand le processus est partagé ! ».
Comme Nathalie, Céline s’est sentie légitime à prêter main forte à d’autres dans l’écriture des dossiers, une fois qu’elle a eu réalisé son premier film.
Malgré une expérience au long cours en tant que directrice de production chez Vivement lundi !, où on lui donnait l’occasion d’aider les auteurs de la maison à aboutir l’écriture de leurs dossiers à différentes étapes, c’est après avoir été confrontée à une écriture beaucoup plus personnelle – commencée avec La Mémoire d’Alan (2007, produit par Vivement lundi!) – et ensuite, au fil du temps – parce que d’autres producteurs ont fait plus souvent appel à elle pour des fiches de lecture, des consultations ou de l’accompagnement à l’écriture – qu’elle a pu considérer que l’exercice était pour elle devenu un métier. Il y a trois ou quatre ans seulement.
Comme Nathalie, elle a aidé des auteurs à débrouiller leurs intentions et à se poser les bonnes questions : Mehdi Ouahab pour la première fois (ndlr : Volvera, Retour à Managua), puis Gulya Mirzoeva, Hubert Budor, et récemment Xavier Champagnac. Chaque projet définissant son propre processus d’accompagnement : un audit, une semaine, un an. Comme elle, cela a servi sa propre pratique et lui a permis d’assumer un récent statut de scénariste en animation et en fiction.
Après 9 ans environ de pratique de cette maïeutique, Céline a connu tout récemment une expérience rare et pour le moins privilégiée. L’évaluation est parfois délicate quand il s’agit de juger de l’importance et des limites de l’aide qu’un accompagnateur doit apporter à un projet. Dans ce cas, c’est une collaboration complètement partagée qui s’est aussitôt dessinée.
En juin 2017, Jean-Jacques Rault, réalisateur de documentaires et directeur de Ty Films, lui demande de l’aider à écrire son nouveau film. Un documentaire sur les paysans en difficulté raconté au moment où ils se rendent compte qu’ils vont avoir besoin d’aide pour s’en sortir, ou capoter. Le réalisateur souhaitait inclure à son récit sa propre histoire. Céline est citadine et ce monde paysan lui est étranger.
Pourtant, dès leur premier rendez-vous de travail en novembre 2017, quelque chose se passe pour tous les deux qui conduit à l’évidence que cet accompagnement présumé sera une co-écriture du film : « On est sortis de ces deux heures avec un projet complètement différent, né de notre dialogue, et Jean-Jacques envisageait d’emblée une co-réalisation. Je pensais moi qu’il fallait avancer pas à pas, se lancer d’abord dans l’écriture et voir ce que nous éprouverions ensuite quant à la réalisation », confie Céline.
Ils s’entendent finalement pour poursuivre l’accompagnement sous la forme prévue initialement, mais dès leur première session de travail, ils écrivent à quatre mains. « Nous avons même fait de cela le cœur de notre note d’intention qui s’intitule « je tu nous », précise-t-elle. Très vite, leur collaboration tend à les conforter dans le sens pressenti par Jean-Jacques, et même à dépasser les attentes de chacun.
Finalement, ils co-écrivent, et co-réalisent le film, intitulé aujourd’hui Scaout Vraz. « Je me sens complètement dans une démarche de co-réalisatrice quand on travaille ensemble, je ne me situe pas qu’à l’endroit de l’écriture », ajoute Céline.
Pour ce qui est des qualités nécessaires à ces variations sur le thème de la collaboration à l’écriture, il est avant tout nécessaire, selon elles, d’être à l’écoute de l’auteur et de son désir de film, en ayant toujours soin de ne pas plaquer ses intentions sur les siennes.
La bienveillance est aussi de mise, « sans complaisance », précise Nathalie Marcault. « C’est toujours la rencontre de deux subjectivités, il faut être vigilant », ajoute-t-elle.
Aucune recette connue à ce jour, et que l’une ou l’autre pourrait divulguer. Des outils tout au plus, le dialogue, et un questionnement circonstancié et permanent.
Et leur expérience, qui à son tour se nourrit de ces échanges pour affiner les écritures de leurs films rêvés.
Gaell B. Lerays
¹ pour ECLA, devenue aujourd’hui ALCA, où Céline Dréan a été lectrice elle aussi, comme pour CICLIC. Céline vient d’ailleurs de rallier le lectorat de Brouillon d’un rêve pour la SCAM.
² sessions réunissant des auteurs autour des projets de chacun, mit en place avec le CA de l’ARBRE, dont Nathalie partage alors la présidence avec Antoine Le Bos.