« Dégradé » est le premier long-métrage de Mohammed et Ahmad Abunasser, dits Arab et Tarzan Nasser. En compétition à la Semaine de la critique, le film des deux frères originaires de Gaza sort tout juste des studios rennais d’AGM Factory. Initié en Palestine, tourné en Jordanie, « Dégradé » est accompagné par des producteurs de Palestine, Paris et Rennes.
Rencontre au sommet du cinéma palestinien et au berceau d’une coproduction franco-palestinienne, soutenue par la Région Bretagne.
– Arab et Tarzan sont vos noms de scène ?
Arab Nasser : Oui… Mais ils nous suivent depuis l’enfance ! Nos parents et nos amis nous appellent ainsi…
– Votre frère n’est pas là, vous êtes seul au studio de mixage ?
A.N. : Notre court-métrage Condom Lead est présenté à un festival consacré au cinéma du Moyen-Orient en Italie. Nous ne pouvions pas y aller tous les deux car il faut finir Dégradé. Tarzan est en Italie et moi, je suis resté à Rennes.
– Votre premier long-métrage « Dégradé » est en fin de post-production. Pouvez-vous revenir sur l’histoire du film ? L’idée motrice qui vous amène aujourd’hui à le présenter en compétition à Cannes ?
A.N. : Nous avons commencé à faire du cinéma, il y a huit ans à Gaza. Il y a cinq ans, nous avons dû quitter le pays à cause de problèmes avec le gouvernement et nous sommes allés en Jordanie. Nous y avons rencontré notre ami Rachid Abdelhamid (producteur chez Made in Palestine Project, ndlr) et nous avons commencé à travailler ensemble. Il a produit notre film Condom Lead (1) qui évoque la question du désir sexuel en situation de guerre.
Nous avons beaucoup d’idées de films. Nous venons de Gaza où il se passe tant de choses ! Des choses futiles aussi ! Pas toutes en lien avec l’occupation israélienne !
Nous avons très vite commencé à imaginer un premier long-métrage. Il ne pouvait se faire qu’en Jordanie. Même si c’est loin d’être évident, en Jordanie, il y a un espace de liberté. À Gaza, non. Nous avons écrit le scénario d’un film intitulé Castings. Il parle du gouvernement islamique à Gaza qui se lance dans l’industrie du cinéma. Faire du cinéma à Gaza est impossible, mais nous voulions le raconter sur le ton de l’humour avec très peu de dialogues. Nous avons proposé le scénario mais on nous a répondu que c’était trop « indépendant » et pas assez commercial ! C’est compliqué de trouver une production qui soutienne ce genre de projet.
– Particulièrement dans l’endroit où vous vivez…
A.N. : Oui, mais c’était notre histoire ! Nous n’avons pas envie de la changer. Nous avons décidé de laisser de côté ce scénario et avons cherché une autre histoire, en gardant la première à l’esprit. Nous savions que nous n’aurions pas un gros budget. C’est alors que nous est venue cette idée d’un huis clos dans un salon (2).
Il y a suffisamment de problèmes à l’intérieur de notre société pour ne pas parler systématiquement de l’occupation. Certains sujets nous paraissent plus importants. Par exemple, les femmes à Gaza : personne ne connait rien d’elles ! Elles portent le niqab, elles sont stupides, elles sont « comme les chameaux » ? C’est triste, mais ce n’est pas l’unique réalité ! Comment ces femmes se comportent-elles sous l’occupation? Et avec les deux gouvernements palestiniens ? Gaza est notre pays, nous l’aimons, le trouvons beau et nous y avons notre vie et nos histoires.
– Et quel genre d’histoires ?
A.N. : Par exemple, celle du zoo ! Un jour, le propriétaire du zoo a décidé de ramener un lion… par les tunnels qui mènent à Gaza. Essayez d’imaginer un lion parmi les poules et les rats qui courent partout !
Avant que le Hamas ne prenne Gaza, il y avait déjà beaucoup de familles mafieuses. Un jour le père d’une de ces familles est allé au zoo. Et il a décidé de repartir avec le lion et personne n’a pu s’y opposer. Dans la presse, le Hamas a demandé la libération du lion puis s’en est pris à la famille. Ce sont des choses comme ça, aussi stupides, qui font notre quotidien !
Le huis clos, pour Dégradé, nous permet de parler, d’une part, de ces histoires et, d’autre part, de travailler dans un espace exigu qui contraint les existences, comme à Gaza. Dégradé est l’histoire de treize femmes qui se croisent dans un salon qui ressemble à une petite Gaza. Il y a la mafia, il y a ce lion, il y a les islamistes, il y a cette femme russe qui tient le salon… Il y a la vie !
– Et côté production, comment ça s’est passé ?
A.N. : Avec Rachid Abdelhamid, nous avons fait traduire le scénario et cherché des investisseurs dès mars 2014. Au Dubaï Film Connection, Rachid a rencontré Rani Massalah, le réalisateur de Girafada (3). Rani a accepté de travailler avec nous, il créait alors sa société, Les films du Tambour, avec la productrice Marie Legrand. Puis, nous avons cherché des coproducteurs un peu partout, certains ont rejeté le projet, d’autres l’ont accepté comme .Mille et Une. Films à Rennes.
– Où s’est déroulé le tournage du film ?
A.N. : Nous avons tourné en août et septembre 2014 pendant 25 jours à Amman en Jordanie. 70 % de l’équipe est palestinienne. La plupart des actrices sont palestiniennes. Très peu avait fait du cinéma, exceptée Hiam Abbas. Nous avons tourné avec un chef-opérateur français, Eric Devin, et son assistant.
Et aujourd’hui nous terminons le mixage du film à Rennes. Nous avons fait ce film avec une belle équipe avec qui nous avons pu échanger, même si nous ne parlons pas tous la même langue.
– Justement, n’est-ce pas difficile de monter un film avec une équipe qui ne comprend pas la langue ?
A.N. : Nous avions commencé le montage avec un monteur palestinien, puis nous sommes venus en France pour avoir un autre regard sur le film. Nous avons convié la monteuse Soufia Loren.
– Sophia Loren ?!
A.N. : Euh non… So… Sophie Reine. C’était la première fois qu’elle montait un film en arabe. Et cela n’a pas semblé compliqué pour elle en dépit du fait que la langue française n’a pas les même intonations que la nôtre.
– Allez-vous bientôt présenter Dégradé à Gaza ?
A.N. : Non, pas pour le moment. À Gaza, si vous cherchez des informations sur Condom Lead sur Internet, l’accès est bloqué par un message qui annonce que le film comporte des scènes érotiques. Ce qui n’est pas vrai. Alors un film qui met en scène treize femmes dans un salon… Vous n’imaginez pas !
Le film fera peut-être le tour du monde mais il ne sera pas montré officiellement en Palestine. Nous faisons des films pour être heureux, pour exister, c’est la vie ! Depuis cinq ans nous n’avons pas vu notre famille restée à Gaza. Notre maman est heureuse pour nous, même si elle ne se rend probablement pas compte de ce que nous vivons…
Propos retranscrits de l’anglais et de l’arabe par Pauline Burguin
(1) Condom Lead, littéralement « capote de plomb », fait référence à l’offensive israélienne de 2009 Cast Lead ou Plomb durci.
(2) Les salons dans les pays arabophones désignent les salons de coiffure et de manucure.
(3) Girafada s’inspire d’un fait divers, la mort d’une girafe au zoo de la ville palestinienne de Qalqilya.
Dégradé, première coproduction Palestine/France
Dégradé est le premier film produit par la société de production parisienne Les film du tambour créée en mars 2014 par Marie Legrand et Rani Massalah. Il sera bientôt présenté à Cannes, en compétition à la prestigieuse Semaine de la Critique. Marie Legrand revient sur la production du film.
« Dégradé est la première coproduction entre la France et la Palestine. Le traité de coproduction (accords intergouvernementaux facilitant les co-productions entre pays, ndlr) pour la Palestine est tout récent. Il impose que l’artistique soit partagé entre les pays coproducteurs. Même si nous n’avons pas eu l’aide à la production du CNC, ce film est une initiative commune entre les deux pays.
Nous avons tourné en Jordanie avec des comédiennes palestiniennes et avions prévu de faire la post-production en France. Notre rôle étant d’amener le film sur le marché, nous avons trouvé un distributeur français, Le Pacte. Nous avons également obtenu l’aide au développement du Festival du Rotterdam. Ensuite, nous avons contacté Yann Legay d’AGM Factory, Rani Massalah avait mixé son film Girafada avec lui. Yann nous a présenté Gilles Padovani qui est devenu coproducteur du film et a centralisé la post-production du film en Bretagne.
Le budget global du film est de 850 000 euros ce qui est peu au regard des budgets de production des longs-métrages de fiction. »
Gilles Padovani complète : « Lorsque j’ai lu le scénario, l’idée maîtresse du film et le choix du huis clos m’ont séduit. J’ai été sensible au parcours des deux frères, le fait qu’ils défendent un cinéma gazaoui. Et puis ils ont une personnalité, un style !
Après Melody, Dégradé est le deuxième long-métrage que .Mille et Une. Films coproduit à l’international. Coproduire me permet d’être acteur de la filière et d’engranger de l’expérience. C’est un processus intéressant. Nous avons sollicité l’aide à la production associée de la Région Bretagne. C’est une aide destinée aux producteurs qui ont déjà fait un long-métrage. Elle est relativement modeste, mais elle encourage et favorise la coproduction. Par la suite, le Breizh Film Fund (fonds de dotation porté par Le Groupe Ouest, ndlr) s’est également engagé pour participer à la post-production du film en Bretagne dans la mesure où le fonds peut soutenir des films émergents étrangers.
Nous ne savons pas encore comment le film sera distribué en Bretagne. La sélection en compétition à Cannes et la présence du Pacte, un distributeur important et présent depuis le début : tout cela est bon signe pour la suite. Est ce que, comme pour Melody, le Breizh Film Fund souhaitera soutenir la diffusion du film dans les réseaux de salle en Bretagne ? »
A suivre…
P.B.
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Avec le film Crache Coeur de Julia Kowalski, la Bretagne sera également représentée dans la section parallèle proposée par l’ACID (Association du Cinéma Indépendant pour sa Diffusion).
Crache Coeur : long métrage de fiction, scénario et réalisation Julia Kowalski, produit par Les Films de Françoise (Mina Driouche)
Avec Liv Henneguier, Yoann Zimmer, Andrzej Chyra, Fabienne Rocaboy
Tourné à Saint-Brieuc et en Pologne dans la région de Miedzylesie.
Soutien de la Région Bretagne (aide financière et aide logistique d’Accueil des tournages en Bretagne), de l’aide à la production de l’Institut polonais PISF, du préachat de Ciné + et de Arte cofinova. Prix Sopadin du meilleur scénario en 2013 et le Prix Script Pro du meilleur scénario polonais en 2014
La distribution en salles sera assurée par Epicentre Films.