Franck et Marie-Laurence Delaunay se sont immergés trois ans dans un conseil général préparant une réforme impliquant une plus grande mobilité de ses salariés. Retour avec ses réalisateurs sur un film qui questionne les notions de dialogue social et de service public.
Comment en êtes-vous arrivés à vous intéresser à la mobilité des agents du Conseil général d’Ille-et-Vilaine ?
Marie-Laurence Delaunay : Nous voulions réaliser un film sur le changement, que nous ressentons comme une problématique forte dans notre société. Comme dans nos films précédents, Franck et moi avons toujours travaillé sur la problématique du choix, nous retrouvions dans ce projet des questions que nous explorons depuis près de dix ans.
Autre intérêt : la question de la décentralisation. Nous avons réalisé ce film dans une période charnière, où l’on parle sans arrêt de décentralisation alors que nous sentons surtout une recentralisation. Ce projet de création d’agences du conseil général réparties sur l’ensemble du département, nous semblait être une bonne occasion pour questionner les équilibres territoriaux.
Comment avez-vous approché l’institution ?
Franck Delaunay : Cela a été excessivement long. Nous étions confrontés à l’angoisse des agents qui s’inquiétaient de ce qu’ils pourraient dire devant la caméra, des conséquences que leurs propos pourraient avoir sur leur carrière.
Avec la direction, cela a été plus simple. Ils nous connaissent et savaient que nous cherchions une approche équilibrée du sujet.
Marie-Laurence (en désaccord) : Il ne faut pas oublier que les agents étaient bousculés par cette réforme. Je ne les sentais pas angoissés par la caméra, mais je crois qu’ils s’en méfiaient. Ils ne la jugeaient pas tous opportune et ne souhaitaient pas que nous filmions leurs difficultés.
Franck : Nous avons essuyé des refus et il nous a fallu du temps pour trouver un « casting » d’une douzaine de protagonistes. Puis, nous avons rencontré un souci majeur : ne pas limiter la problématique à ces douze agents territoriaux tout en les faisant exister de manière équilibrée à l’écran. Et cela nous a semblé beaucoup plus compliqué que lorsque vous concentrez un film sur trois ou quatre personnages.
En duo : Pour comprendre notre rapport aux différents intervenants et notre conviction dans le sujet, il faut évoquer notre formation initiale en Economie et gestion des administrations : elle nous a permis d’avoir une compréhension immédiate de l’institution. Et, de fait, le sujet nous intéressait alors qu’il pouvait paraître rebutant.
Votre film comporte de nombreuses scènes de réunions. N’avez-vous pas eut peur d’un film trop statique ?
Franck : Non, pas vraiment. Dès le début, nous avons pu filmer de nombreuses réunions de direction. Nous avons constaté qu’il existait une vraie dramaturgie dans ces moments, que les enjeux étaient clairement perceptibles.
Le film donne le sentiment d’un dialogue constant et relativement apaisé entre syndicats et direction. Cela vous a-t-il surpris ? Vous attendiez-vous à une tension plus vive ?
Franck : Nous nous doutions que la crise entre les agents et leur direction se gèrerait car les agents sont salariés du conseil général à vie. Ils n’ont pas vraiment le choix : le dialogue s’avère rapidement impératif.
Marie-Laurence : Et il faut souligner qu’il y a eu un réel travail de la direction pour que cette concertation soit effective.
Dans le climat actuel, qui dévalorise souvent la fonction publique, n’avez-vous pas craint de réaliser un film à charge contre les fonctionnaires ?
Marie-Laurence : Ce problème a été posé très tôt et de manière très crue par un des diffuseurs : comment allez-vous créer de l’empathie avec des fonctionnaires et à quoi sert la fonction publique ?
Comme nous avons tourné à un moment où, effectivement, les collectivités sont régulièrement attaquées, où elles sont fragilisées, je crois que cela influence bien évidemment l’état d’esprit des agents territoriaux. Ce contexte peut même faciliter la création d’une forme d’empathie vis-à-vis de ces agents qui se retrouvent confrontés à des problèmes proches de ceux que rencontrent des salariés du privé qui connaissent un changement déstabilisant dans leur vie professionnelle.
Justement, comment avez-vous travaillé cette approche empathique ?
Marie-Laurence : Pour ressentir de l’empathie envers quelqu’un, il faut essayer de le comprendre jusqu’à sentir ce qu’il ressent. C’est pourquoi nous avons cherché à « humaniser » nos personnages, nous voulions que les spectateurs ne voient pas seulement un statut, une fonction mais regardent au-delà, c’est-à-dire des hommes et des femmes avec des histoires individuelles, soumis à des émotions, des appréhensions et confrontés à des changements auxquels ils ne sont pas préparés.
Franck : Il y avait là un vrai risque et ce pari nous intéressait. Tenter de faire découvrir un monde finalement méconnu et montrer que, si les fonctionnaires ont un statut considéré par les salariés du privé comme privilégié, on ne peut pas vraiment les considérer comme des privilégiés.
Pour revenir à cette approche empathique, nous avons fait le choix des plans fixes pour que nos personnages s’approprient la caméra et qu’ils portent leurs discours.
Dans le film, la direction du Conseil général apparaît souvent à l’écoute de ses salariés. N’avez-vous pas craint que votre film se révèle parfois trop institutionnel ?
Marie-Laurence : Dès que tu fais un film sur une institution, il y a la crainte du film institutionnel. Il faut se faire confiance, être clair sur son approche du sujet, chercher une forme de neutralité.
Franck : Le monde n’est pas toujours aussi manichéen que certains militants veulent le prétendre. Je trouve cette vision systématique du monde du travail lassante.
C’est le quatrième film que vous cosignez depuis 2002. Quelle place occupe la réalisation par rapport à votre travail de producteurs ?
Franck : Nous faisons ce métier par désir de faire des images. Le tournage reste pour moi la partie la plus agréable du travail.
Marie-Laurence : Nous avons créé Candela pour produire nos films. Puis des opportunités se sont présentées et nous avons produit d’autres réalisateurs. Certains sujets nous tiennent à cœur et nous ne trouvons pas toujours des auteurs intéressés. Donc, nous les traitons nous-même…
Propos recueillis par Jean-François Le Corre
Dans la tourmente / documentaire / 55’ / 2010
Une coproduction Candela Productions / TV Rennes 35 / Public Sénat
> première diffusion sur TV Rennes 35, le 9 avril à 20h40
> première diffusion sur Public Sénat, le 12 avril à 18h30
Photo © Candela Productions