Suppression des emplois aidés : quelles perspectives pour l’économie associative ?


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Le 16 août 2017, la nouvelle tombe : le gouvernement gèle la création des emplois aidés (CUI, CAE, Emploi d’avenir) et ne reconduira pas les contrats en cours. Le secteur culturel, largement structuré grâce à l’emploi associatif, est fortement impacté par cette mesure. Les premières mobilisations contre cette décision ont lieu pendant le festival de Douarnenez. Dès la rentrée, un front commun s’organise en Bretagne pour interpeller l’État sur les conséquences de ces suppressions. En janvier, la ministre du Travail Muriel Pénicaud présente les grandes lignes d’un rapport sur la réforme de ces contrats. Au-delà des effets d’annonces, quelles sont les réelles perspectives pour l’emploi associatif en Bretagne ?

Rétrospective

Depuis 2015, le collectif des associations citoyennes se mobilise pour dénoncer un « plan social » masqué qui menace les associations, avec la baisse des subventions et des commandes publiques. Les emplois aidés faisaient alors office de sparadrap pour compenser les pertes. Lorsque le gouvernement annonce le gel de ces contrats, c’est un nouveau coup dur pour les associations. En Bretagne, une première mobilisation a lieu pendant le festival de Douarnenez, directement concerné par cette mesure : deux des quatre salariés de l’association qui porte le festival sont en contrat aidé. Sur la seule commune de Douarnenez, 80 emplois sont ainsi amenés à disparaître. Un exemple parmi tant d’autres dans la région, terre d’associations et de festivals…

Co-fondateur de Courts en Betton depuis 2009 et président jusqu’en 2016, Antoine Lareyre est devenu salarié de l’association en juillet 2017 en CAE-CUI. Son poste de chargé de mission, rémunéré au SMIC à hauteur de 20h par semaine, englobe des fonctions de direction administrative, de coordination et de programmation.

« Courts en Betton a principalement un rôle de diffuseur. Nous œuvrons à la mise en valeur de cinématographies émergentes et innovantes, de films qui ne sont pas économiquement viables. L’association mène aussi des actions éducatives, principalement auprès des jeunes générations, et accompagne les associations de production du territoire (1). Nous défendons un projet associatif qui replace les droits culturels au cœur de notre société. Nous sommes des militants qui défendons un projet d’intérêt social. Lors du Festival du film de l’Ouest, notre temps fort qui a lieu en juin, les 1500 entrées ne sont pas suffisantes pour dégager des bénéfices. Le contrat aidé était le seul moyen de financer un emploi associatif dans un contexte où nos capacités d’autofinancement restent limitées. »

Son contrat est maintenu jusqu’en juillet 2018 mais il ne pourra pas être renouvelé. Le jeune chargé de mission regrette cette décision prise par l’exécutif à un moment où l’association se renforçait grâce à cet emploi. Pour tenter de mesurer les conséquences de cette mesure dans le secteur de la diffusion en Bretagne, Antoine Lareyre a sondé les autres associations :

« Tous les festivals sont impactés par cette mesure brutale. À court terme, le risque est que les associations soient en concurrence les unes avec les autres sur les dispositifs d’aide comme les emplois associatifs d’intérêt régional. À moyen terme, les petites structures comme les nôtres, fonctionnant quasi uniquement sur le bénévolat, risquent de disparaître. Nous sommes déjà en mode survie… »

Un front commun inédit

Brewenn Hellec, producteur pour Les Films de l’Heure Bleue et membre du Conseil culturel de Bretagne s’est investi sur ce sujet au sein de l’instance régionale :

« Dans le secteur audiovisuel, ce sont les festivals qui sont les plus pénalisés. La production cinématographique et audiovisuelle se structure plutôt autour de sociétés qui embauchent des professionnels sous le régime de l’intermittence. Ce n’est donc pas le champ le plus touché et de ce fait, il nous semblait difficile de faire poids auprès du gouvernement. Cependant, si on met bout à bout les arts plastiques, le livre, le spectacle vivant et la musique, le patrimoine, les langues régionales et la diffusion culturelle, beaucoup d’emplois vont disparaître. L’économie associative concerne l’ensemble du monde culturel. Au sein du Conseil culturel de Bretagne nous avons demandé un moratoire immédiat sur le gel des emplois aidés et la mise en place d’une concertation avec la Région et l’État pour trouver des solutions. »

Dès septembre 2017, le Conseil culturel de Bretagne lance  une enquête pour évaluer les conséquences de la suppression des emplois aidés dans le secteur culturel de la région. Les 70 retours obtenus évoquent la perte de 248 emplois, et 69 projets de création de postes avortés pour 2018. Ils montrent, à eux seuls, à quel point cette décision, si elle est maintenue, aura de graves conséquences sur la vie culturelle, économique et sociale en Bretagne.

Dans ce Panorama économique des activités culturelles et patrimoniales en Bretagne on peut également lire que « contrairement à certaines affirmations selon lesquelles ces emplois aidés ne déboucheraient pas sur des emplois pérennes, un très grand nombre d’emplois en contrat à durée indéterminée dans le secteur associatif proviennent d’emplois aidés à l’origine. » Sont aussi rappelés le rôle structurant de ce type de contrats, leur participation à l’équilibre territorial et à l’insertion des personnes en difficulté dans la vie professionnelle, en leur apportant expérience et formation.

En décembre 2017, le CESER (2) livre un autre rapport : Les défis de la vie associative en Bretagne. Il pointe lui aussi l’importance de l’emploi associatif tous secteurs confondus, 11,4% de l’emploi privé, avec une forte proportion dans les territoires ruraux.

Un front commun inédit se met en place en Bretagne pour rassembler les acteurs du monde associatif au sens large. Piloté par le Conseil culturel de Bretagne, le Mouvement associatif de Bretagne et la Chambre d’Économie Sociale et Solidaire, des réunions d’informations s’organisent un peu partout sur le territoire. L’objectif est de maintenir la mobilisation et de réfléchir à des solutions concrètes pour demain.

« Au fil des discussions, poursuit Brewenn Hellec, nous nous sommes rendus compte que nous défendions un système vertueux mais imparfait. Les contrats aidés, même s’ils facilitent l’accès à l’emploi et la dynamique locale et associative, génèrent aussi des emplois précaires. L’État doit accepter la discussion et être à nos côtés pour trouver des solutions. »
Le débat sur l’efficacité des emplois aidés (et avant emploi « jeune » ou « d’avenir ») est récurrent. Les emplois aidés n’ont jamais été considérés comme la solution idéale par les acteurs du monde associatif, souvent orientés sur ces dispositifs par défaut : c’était le seul soutien de l’État qui demeurait.

« Le gouvernement n’a mené aucune étude d’impact en amont de la décision ni d’analyse sur de nouveaux dispositifs, » rappelle Paul Robert (3), rapporteur du groupe de travail au sein du Conseil culturel de Bretagne. « L’argent qui a été retiré des dispositifs pour l’emploi aidé a été transféré vers les partenaires sociaux et les collectivités territoriales. Un salarié qui se voit privé de son emploi aidé aujourd’hui, pointera demain à Pôle Emploi : s’il a assez de droits il percevra l’Allocation de Retour à l’Emploi, ou sinon il percevra le RSA, géré par les conseils départementaux. Ce n’est pas une économie mais un simple transfert de charges. »

Le rapport Borrelo

Les acteurs associatifs mobilisés ont sollicité leur préfet de région et l’État a commencé à mettre en place des concertations avec les têtes des réseaux associatifs au niveau national.

C’est à Jean-Marc Borrelo président fondateur du groupe SOS, le numéro un européen de l’économie sociale et solidaire, que Muriel Pénicaud commande un rapport sur la suite à donner aux contrats aidés. Le 16 janvier dernier, la ministre du Travail en présentait les grandes lignes. La mesure phare le « Parcours Emploi Compétence » vise à accompagner les personnes en difficulté vers l’emploi et la formation. Un dispositif qui concernerait 5 700 emplois – contre 11 000 pour les emplois aidés – à destination du secteur non-marchand exclusivement, c’est-à-dire les collectivités territoriales et quelques associations triées sur le volet.

Paul Robert commente : « ce dispositif va les mettre en concurrence ! C’est une logique dangereuse. Les démarches administratives risquent d’être trop lourdes pour les petites associations. Et quid des 5 300 autres emplois ? Nous demandons d’autres financements comme le fonds de développement à la vie associative. Édouard Philippe a proposé de le doter de 25 millions supplémentaires mais nous avons besoin d’un milliard… D’autre part, au niveau régional, il y aurait le fonds unique pour l’inclusion : c’est un dispositif moins homogène au niveau national mais sur lequel il y a des discussions à avoir avec le préfet de région. »

Ces six derniers mois, le monde associatif a engagé un questionnement profond sur son fonctionnement et son avenir, pertinent dans certains cas, pour trouver des modèles de développement alternatif et durable. Des groupements d’employeurs aux SCOP, il existe d’autres modes de gouvernance dans le champ de l’Économie Sociale et Solidaire, dont les associations pourraient s’inspirer. Mais il n’y a pas de solutions magiques dans un secteur par définition hétérogène. L’État n’est pas dans une posture encourageante et les collectivités locales sont souvent démunies face aux problématiques du monde associatif.

De ces nombreuses concertations, un sentiment domine : une grande inquiétude doublée d’un manque de visibilité à court terme. Non seulement il faut trouver des solutions pour défendre l’emploi et préserver la dynamique associative, mais aussi mobiliser l’État, infléchir ses décisions puis attendre que les nouveaux dispositifs se mettent en place. Une gageure pour les petites associations déjà fragiles, dont le rôle structurant et fédérateur n’est pourtant plus à prouver. Afin de dresser un premier bilan des actions engagées et les perspectives pour les prochains mois, des assises de la vie associative se tiendront le 14 avril 2018 à Saint-Brieuc.

Pauline Burguin

(1) à travers le réseau R.A.P.A.C.E. (Réseau des associations de production audiovisuelle et de cinéma émergent).
(2) Conseil économique, sociale et environnemental régional.
(3) Paul Robert est Président de la Fédération Régionale pour la Culture et le Patrimoine Maritime.