Ceux qui connaissent Stéphen Seznec savent combien il est attentif et impliqué. En toute discrétion, il a accumulé une solide expérience en tant que régisseur et, douze années plus tard, il assure une première direction de production sur un long métrage : une coproduction internationale tournée en France, en Belgique et au Maroc. Retour sur un parcours saisissant !
Régulièrement Stéphen Seznec est invité par l’ESRA à présenter son métier de régisseur, en tant qu’ancien étudiant aujourd’hui professionnel aguerri. Et invariablement il scande les mêmes conseils : « Dans nos métiers, notre CV est notre meilleure carte de visite, le réseau est fondamental et on le fait dès l’école. Nous continuons tous à apprendre beaucoup de choses au fil des expériences, sur le tas, dans une forme de compagnonnage. On grandit bien dans son poste en « milieu protégé », quand on a une famille de travail à ses côtés. C’est indispensable de ne pas être seul, d’avoir une équipe autour de soi, quand on a des questions, des doutes, quand on se trompe. »
Avec toute la cohérence qui le qualifie, Stéphen a résumé, ici en quelques phrases, le secret de sa réussite. Questionné sur son parcours, il en cite les jalons essentiels : les projets qui lui ont permis d’apprendre son métier, ou de passer un cap, ceux qu’il qualifie d’artillerie lourde, instructifs et exigeants, et puis des rencontres, nombreuses, certaines déterminantes, toutes porteuses de nouveaux projets.
Premières armes : courts-métrages et téléfilms !
Encore étudiant, les premières expériences sont déjà l’occasion de travailler avec des professionnels qu’il côtoiera plus tard à de nombreuses reprises comme la scripte Marilyne Brulé ou le réalisateur Pascal Stervinou avec qui il tourne Reptil. C’est le premier tournage professionnel de Stéphen, il est régisseur, sous la houlette du regretté Yann Tesson. Son stage de fin d’études l’emmène au Guatemala et, diplôme en poche, il choisit de rester à Rennes plutôt que tenter Paris comme nombre d’étudiants du secteur. Il occupe ses premiers mois avec des captations vidéos pour des compagnies de théâtre et des petits boulots, jusqu’à apprendre qu’un important tournage s’implante en région, celui de la série Dolmen. « Marilyne m’en a parlé et j’ai voulu moi aussi faire partie de ce projet. J’ai appelé à droite à gauche et grâce à Pascal Stervinou, j’ai pu joindre Eric Lionnais, en charge des repérages. Il cherchait un appartement à Quimper : j’étais quimpérois et disponible mais ça n’a pas suffit car l’équipe était complète. J’ai quand même travaillé deux jours en renfort et puis, coup de théâtre : le réalisateur et le chef opérateur ont quitté le projet ! La nouvelle équipe a choisi de nouveaux décors, ce qui a demandé plus de travail en régie. Finalement j’y suis resté plus de six mois, dont une bonne partie à Belle-Île, en passant de renfort régisseur, à assistant 2ème équipe, puis régisseur plateau. Une expérience folle ! J’y ai retrouvé Yann Tesson et rencontré Fanny Sabatier, Catherine Delalande. Dolmen c’est tout ça, un bond inouï en terme apprentissage et l’occasion de côtoyer des professionnels qui comptaient dans la région. »
De retour sur le continent, Stéphen fait valoir cette première expérience en s’inscrivant sur la base de données du Bureau d’Accueil de Tournage (aujourd’hui Accueil des tournages en Bretagne). Rapidement s’ensuivent d’autres projets qui voient Stéphen s’épanouir à différents postes en régie, notamment Petits meurtres en famille, 24 mesures, et L’Epervier. « Le compagnonnage est une réalité dans nos métiers et particulièrement en Bretagne grâce à la personnalité de gens comme Eric notamment. Il est passionné par son métier et aime transmettre. Il m’a appris les métiers de la régie puis celui de repéreur. Il a un grand réseau et le sens du collectif. Dès qu’il le peut, il parle des autres techniciens, met en avant leurs compétences. C’est un super agent de techniciens ! Avec Fred Le Gall, ils m’ont parlé du travail d’Actions Ouest (1), j’ai découvert le maillage associatif du territoire, et combien cela portait ses fruits ! »
Au fil des tournages, il croise le chemin d’autres régisseurs et directeurs de production, repéré pour son efficacité et son sérieux, un tournage en amène un autre. « Je suis tombé au bon moment aussi, grâce au travail fourni par le bureau d’accueil et aux compétences qui se renforçaient sur le territoire. On m’a confié de nouvelles responsabilités. Eric, que je n’ai jamais manqué d’appeler pour prendre conseil, m’a encouragé à les accepter ! C’est une chance de se sentir porté, ça donne confiance, ça pousse à se dépasser. » Notamment sur One day, une comédie romantique anglo-américaine : « C’était un rêve que de se retrouver à tourner un film américain, moi qui ai grandi avec ce cinéma ! Et puis quelle démesure ce tournage, 156 personnes à la cantine ! ».
Stéphen se retrouve assez naturellement sur de nombreux projets rennais dont le prestigieux Les beaux gosses, et un jour c’est l’aventure Les lendemains qui marque une nouvelle étape dans son parcours. « J’avais travaillé avec .Mille et Une. Films sur une production allemande – Was Du nicht siehst – dont ils assumaient la production exécutive et Gilles Padovani m’a proposé la régie générale du film de Bénédicte Pagnot. Le premier long métrage breton produit avec l’Avance sur recettes : à la fois grisant et marquant dans la région ! J’étais intéressé d’accompagner Gilles et Bénédicte qui passaient tous deux au long métrage et flatté de la confiance qu’ils me faisaient, ma première régie générale d’un long métrage ! Une super aventure. D’abord humainement puisqu’on tournait en équipe réduite, je retrouvais Liza Guillamot, Maryline Brulé… Et travailler avec l’administration pénitentiaire, la SNCF, bloquer une autoroute, implanter le tournage dans deux villes, que de challenges ! J’avais un stagiaire avec moi, Mathieu Le Coz et Fred Le Gall a fait quelques renforts. C’était une vraie folie, tout le monde mettait la main à la pâte ! Un film militant à plus d’un titre qui cristallisait tous mes engagements dans l’associatif et mon envie de défendre l’emploi dans la région. »
Première diffusion à la télévision de Les lendemains de Bénédicte Pagnot : sur TVR, Tébéo et TébéSud le Jeudi 4 février à 20H45.
Car Stéphen est depuis peu, trésorier d’Actions Ouest et administrateur à Films en Bretagne, où il est question « des enjeux des différents métiers et souvent question du FACCA, des tournages qui se faisaient ou pas dans la région. Avec Fred, nous avons rencontré les responsables de la politique de soutien au secteur à la Région Bretagne pour défendre une autre forme d’appréciation des demandes d’aides, par l’artistique bien sûr mais aussi par l’emploi. Le BAT avait déjà dix ans et les professionnels, nombreux en Bretagne, cumulaient beaucoup de compétences. Pour qu’ils restent ici et qu’ils montent encore en savoir-faire et en responsabilité, il fallait qu’ils travaillent et qu’ils le fassent sur des projets rémunérateurs. Nous demandions donc à la Région que les projets aidés embauchent des gens sur le territoire. » Une pierre de plus pour la reconnaissance des compétences régionales techniques, et à la clé une réforme du FACCA avec la création du Fonds Audiovisuel Régional (d’abord appelé fonds de développement de la filière), qui porte un regard plus économique sur les projets.
Désormais régisseur général, Stéphen apprécie le rôle central de ce poste : « Tout le monde vient nous voir à un moment ou un autre, et puis on est impliqué autant dans le tournage qu’avec le monde extérieur. C’est un métier de rencontres et grâce auquel on sait tout ce qui se passe dans les différentes équipes d’un film ». Il s’intéresse de plus en plus à la direction de production, « dans un premier temps, pour mieux travailler ensemble ». Dans cet état d’esprit, il suit une formation à Montreuil, et prend un vrai plaisir à travailler sur les devis. Son formateur l’encourage, « ça correspond à ton tempérament. Fais encore deux-trois films en régie générale et tu seras prêt pour faire de la direction de production. »
En attendant cette bascule, Stéphen alterne tournages et repérages en Bretagne, occasionnellement à Paris et continue d’accroître son réseau. Depuis 2012, il a constitué son équipe de fidèles « avec qui progresser ». Thomas Delarue, Marie-Amélie Aubert, Mathieu Le Coz et Mickaël Paytra, dont Stéphen « apprécie la façon de faire, l’implication », ont fait partie des aventures Je me tue à le dire et Les chaises musicales. « Encore un premier film ! Et en ce qui nous concerne le premier en annexe III de la nouvelle convention collective. Cela a marqué une évolution du travail de régisseur général puisqu’il faut davantage veiller aux amplitudes horaires de l’équipe régie, aux heures hebdomadaires. Ça implique de passer plus de temps au bureau à gérer les plannings. Les pratiques changent, aujourd’hui toutes les heures travaillées sont payées ! Ça m’a fait connaître plus finement la convention collective et en prendre la mesure. » L’occasion aussi de travailler conjointement avec la direction de production. Cette collaboration renforce son envie d’une expérience en la matière.
Prudent, il décline une offre de court-métrage, « les contraintes budgétaires étaient drastiques, ça ne correspondait pas avec ce que j’essayais de défendre sur le terrain de l’emploi. J’ai préféré continuer la régie encore quelques temps et notamment avec un épisode de Joséphine ange gardien, entièrement tourné en Bretagne, pour le côté grosse machine, extrêmement rodée, c’était un super exercice ! ». Et enfin Taularde, dernier tournage rennais en tant que régisseur général : « Tourner à quelques mètres de chez moi et rejoindre le plateau à pied, le luxe ! Et c’était l’opportunité de retravailler avec l’administration pénitentiaire pour faire revivre la prison Jacques Cartier, désaffectée depuis 3 ans, et y implanter une équipe de tournage avec toutes les contraintes que ça implique en termes de sécurité de travail, de chauffage en plein hiver. »
Je me tue à le dire, produit par Novak Films et Tobina Films, avec le soutien du CNC (avance sur recettes), de la Région Bretagne et d’une aide à la production de la Communauté Française de Belgique. Prix du meilleur premier film au Festival International de Palmspring
Première direction de production
Peu de temps après, le producteur d’origine finistérienne Gurvan Riou lui envoie un scénario accompagné d’un message sibyllin : « Lis-le et on se voit ! ». Après de nombreux rendez-vous manqués avec Gurvan, « j’avais plusieurs fois décliné ses propositions, faute de disponibilité », ils ont enfin l’occasion de retravailler ensemble et cette fois sur un important projet. « La folle histoire de Max et Léon (3) se déroule pendant la Seconde Guerre mondiale, c’est une comédie et une fresque historique à la fois, un premier film porté par un trio artistique fort : deux auteurs, David Marsais, Grégoire Ludig et un réalisateur Jonathan Barré (encore un Breton !) – que je connaissais déjà depuis leur Very bad blagues. » Gurvan lui propose la direction de production en l’assurant de sa présence en tant que producteur. « Un pari risqué mais le parrainage que m’a proposé Gurvan me rassurait et qu’est-ce que je regretterais le plus, de le faire avec la prise de risque que ça comportait ou de ne pas le faire ? » Stéphen continue donc d’apprendre en faisant et se retrouve à la tête d’un budget de plusieurs millions d’euros. Il pilote un tournage en costumes avec 80 rôles, des effets spéciaux physiques et numériques, des cascades, et le tout sur trois pays différents ! « On a tourné en Bourgogne, à Marrakech et en Belgique. Mickaël Paytra a assuré la régie plateau et j’ai eu également le plaisir de retrouver une partie de l’équipe de production belge de Je me tue à le dire. » Lui qui aime avoir une famille de travail à ses côtés… Et comme la production réserve bien des surprises : « Nous cherchions une barge de débarquement pour la dernière séquence et nous l’avons trouvée aux chantiers navals de Plouhinec. Nous avons donc filmé les dernières images sur le port de plaisance de Douarnenez. » Une journée bretonne sur les quarante-cinq jours de tournage c’est peu mais Stéphen ne boude pas sa satisfaction !
« Être à cette place, c’est avoir une vision globale sur le film, sur sa faisabilité, pas juste assurer les besoins des uns et des autres et les contraintes de régie. Et puis on ne pense pas uniquement au tournage. Je me suis rendu compte à quel point tout est interdépendant, un choix, une envie auront des conséquences nombreuses, à plusieurs endroits. Tout devient affaire de compromis. » Ce coup d’essai a confirmé son envie de creuser le sillon de la direction de production. « C’était une expérience forte. Même si le budget paraissait confortable, c’était compliqué à tenir avec tous les paramètres et assez étrange de me retrouver à échanger avec des techniciens qui avaient deux fois plus d’expériences que moi ! Leur faire entendre nos contraintes financières n’était pas toujours simple. Je comprends qu’en tant que techniciens ils avaient envie d’avoir les moyens de bien faire le boulot. Il fallait trouver ensemble comment faire le mieux qu’on pouvait avec ce qu’on avait. » Il boucle actuellement le bilan financier après avoir passé la main à un directeur de post-production. D’autres projets se profilent, mais « il est encore tôt pour en parler, j’ai un peu de temps devant moi ! » Du temps pour profiter de la vie rennaise, ré-endosser son habit de trésorier d’Actions ouest, et se faire plaisir avec les pratiques artistiques qu’il tâche de préserver entre deux tournages, car entres autres talents Stéphen est aussi guitariste et photographe.
Camille Jourdan
(1) Association des techniciens et comédiens bretons, voir encadré.
(2) 24 mesures, Les beaux gosses, Les lendemains, Les chaises musicales, Je me tue à le dire, Taularde : tous des premiers films !
(3) La Folle Histoire de Max et Léon est produit par Blagbuster, Légende, et Nexus.
Les prochains rendez-vous d’Actions Ouest se tiendront pendant le festival Travelling :
◦ Assemblée générale, le samedi 6 février de 12H à 15H à la Maison des associations, 6 cours des Alliés à Rennes.
◦ Matinée de rencontres et de rendez-vous destinée aux professionnels du montage et organisée par Films en Bretagne en partenariat avec Actions Ouest, Accueil des Tournages en Bretagne et Clair Obscur.
- Master class / Jean-Gabriel Périot connaît la musique !
Vendredi 5/02 • 18h • Liberté // L’Etage. En présence de Jean-Gabriel Périot et animé par Thierry Méranger (les Cahiers du Cinéma).
- Étude de cas : De la salle à la salle, un projet transmedia : Voyage à Kullorsuaq
Samedi 6/02 • 16h > 18h • Auditorium – Maison des associations. En présence de Sébastien Betbeder (réalisateur), Frédéric Dubreuil (producteur – Envie de tempête), Zoé Peyssonnerie (chargée de programmation – UFO Distribution) et Oriane Hurard (productrice transmedia – Les Produits Frais).
- Drones de caméras, de l’utilitaire à la création
Samedi 6/02 • 18h30 > 21h00 • Espace rencontre Ciné-TNB. Animée par Benoît Labourdette (réalisateur et producteur, expert dans le domaine des écritures numériques). Intervenants : Marc Christie (chercheur à l’Inria), Élisabeth Lehagre (juriste spécialisée en droit des nouvelles technologies), Corto Fajal (réalisateur) et Florent Bohuon (Responsable du studio 4e Dimension production).
- Webmédias : qu’est-ce qui se trame ?
Lundi 8/02 • 12h30 • Espace rencontre Ciné-TNB. En présence de Serge Steyer et Benoit Labourdette
- Séminaire / La série de fiction # 2
Mardi 9/02 • 9h > 12h30 • 4 bis. Sur inscription auprès de Films en Bretagne : www.filmsenbretagne.org En présence de Samuel Bodin et Alexandre Philippe. (créateurs de la série Lazy Company).
- Master class / Jérôme de Gerlache et le rockumentaire.
Mardi 9/02 • 18h • Espace rencontre Ciné-TNB. En présence de Jérôme de Gerlache (réalisateur), Élisa Cossé (monteuse), et animée par Charlotte Avignon (intervenante musique et cinéma).
Retrouvez ici le programme des différents rendez-vous proposés aux professionnels et au public du festival Travelling