Retours d'expériences : « LES CONTES DU POMMIER »


Après une première mondiale à La Berlinale, le long métrage d’animation Les Contes du pommier (Tales from the Magic Garden) co-réalisé par Jean-Claude Rozec, co-écrit par Blandine Jet et co-produit par la société rennaise Vivement Lundi !, sera présenté – en compétition Contrechamp – au Festival international du film d’animation d’Annecy (du 8 au 14 juin 2025).

Le film, qui sortira en salle l’année prochaine (le 8 avril 2026), démarre, par ailleurs, sa carrière festivalière avec des sélections annoncées au Seattle International Film Festival (USA), au Zlín Films Festival (République Tchèque) et au Filmfest München (Allemagne).


Les Contes du pommier est inspiré du livre de contes pour enfants de l’auteur tchèque Arnošt Goldflam qui explore le pouvoir de la narration à travers quatre récits uniques qui mêlent fantaisie, humour et exploration sensible de la perte, aidant les enfants à faire face à la mort d’un être cher.

Ce « film omnibus » s’articule autour des trois contes de Goldflam adaptés pour le cinéma par Kaja Balog et Maja Križnik, Patrik Pašš, Marek Král et Petr Krajíček et lié par un récit transversal original écrit par Blandine Jet. Il est co-réalisé par David Súkup (République tchèque), Patrik Pašš (Slovaquie), Leon Vidmar (Slovénie) et Jean-Claude Rozec (France). La production est aussi le fruit d’une collaboration à parts égales entre quatre sociétés de production européennes : Maurfilm (République tchèque), Artichoke (Slovaquie), ZVVIKS (Slovénie) et Vivement Lundi ! (France). À noter que le film a reçu le soutien de la Région Bretagne / Bretagne Cinéma ainsi que de Rennes Métropole, TVR, Tébéo et Tébésud, France Télévisions – France 3 Bretagne.

À l’occasion de sa sélection à Annecy, 4 collaborateurices de l’équipe française du film nous ont partagé leurs expériences : Jean-François Le Corre, co-producteur, Blandine Jet, co-scénariste, Jean-Claude Rozec, co-réalisateur, ainsi que Mathilde Gaillard, cheffe opératrice…


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Une partie de l'équipe française du film | Photo : Mathilde Gaillard

Jean-François Le Corre, producteur (Vivement Lundi !)

Jean-François Le Corre, producteur (Vivement Lundi !)

Né en 1965 à Quimper. En 1998, il crée à Rennes la SARL de production audiovisuelle Vivement Lundi !. Il y produit des documentaires, des films et séries d’animation qui ont glanés plus de 600 distinctions dans les plus grandes manifestations nationales et internationales. Il est membre de l’Académie des Oscars depuis 2020.


SON RETOUR D'EXPÉRIENCE :

Je rencontre le projet Tales of the Magic Garden (Les Contes du pommier) en mars 2019 au Cartoon Movie. À l’époque, il a pour titre Of Unwanted Things and People et c’est une coproduction entre la République Tchèque, la Slovaquie, la Slovénie et la Pologne. En août de la même année, Juraj Krasnohorsky, le producteur slovaque, me recontacte : le partenaire polonais se retire et les autres producteurs nous proposent de les rejoindre. Ce concept de film « omnibus » m’intrigue, raconter le deuil aux enfants est un défi narratif, il y a un teaser de bonne facture et l’organisation de la coproduction nous permettrait de travailler avec un·e scénariste et un·e réalisateurice français·e sur le segment de l’histoire dont nous aurions la charge. C’est une coproduction paritaire, chaque partenaire ayant 25% des parts de coproductions, ce qui est rare. Blandine Jet et Jean-Claude Rozec se montrent intéressés et cela fini de nous convaincre. La Région Bretagne nous accorde son aide au co-développement international début 2020. Particularité du segment français : ce sera une histoire originale qui devra tisser le récit entre les trois contes. Blandine doit en permanence dialoguer avec 4 producteurs ayant des cultures différentes. Comme mes trois autres collègues européens, j’accompagne tout le développement artistique du film et j’associe régulièrement Mathieu Courtois aux échanges.

Le budget du film est serré. Le distributeur Gebeka Film qui avait repéré le projet dès 2019, nous rejoint. La Région Bretagne soutient à nouveau le film, en production cette fois. Denis Walgenwitz – un « stop-motion lover » – est en cours de création de la société Have A Nice Day Films dans le Nord de la France et nous décidons de postuler ensemble à une aide à la production de Pictanovo. A Rennes, une opportunité inattendue se présente : Rennes Métropole crée un fonds de relance économique post-Covid et dote un COM qui peut soutenir des films via la chaîne TVR : le COM Tempo s’engage ! Fin 2023, un beau soutien d’Eurimages vient valider la pertinence de notre coproduction.

Sur le papier, le développement littéraire se passe bien, mais les difficultés se précisent quand les producteurs et les réalisateurs se retrouvent à Ljubljana pour découvrir la première animatique du film : cela ne fonctionne pas. Jean-Claude, mi-figue mi-raisin, dit que nous avons créé un « monstre à la Frankenstein ! ». C’est pourtant lui qui remontera une animatique fluide et trouvera les bonnes « coutures » entre les histoires. Il tourne son segment à Rennes et la postproduction globale du film démarre entre Prague (montage image et design sonore), Bratislava (musique), Ljubljana (étalonnage) et Lille (version française). Début 2025, le film est terminé et, sincèrement, je manque de recul, j’ai du mal à me projeter sur la carrière de cet objet particulier. La sélection en compétition à la Berlinale vient atténuer mes doutes (sourire).

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Tournage du film à Rennes | Photo : Mathilde Gaillard

Blandine Jet, co-scénariste

Blandine Jet, scénariste

Scénariste depuis 2016, Blandine a coécrit Jeter L’ancre un seul jour, de Paul Marques Duarte et Les Silencieux de Basile Vuillemin, nommé aux César 2024 et Lauréat du Magritte du meilleur court métrage de fiction. Actuellement, elle coécrit, entre autres, les premiers longs métrages de Basile Vuillemin, de Jenny Teng et de Gabriel Vanderpas. Crédit photo : Chloé Vollmer-Lo


SON RETOUR D'EXPÉRIENCE :

Fin 2019, quand Jean-François Le Corre me parle du projet, je suis immédiatement séduite par la proposition. À la fois pour le défi d’écriture qu’elle représente, avec le dispositif complexe d’une histoire à tiroirs portée par plusieurs auteurs, et d’autre part pour les questions qu’elle aborde : la perte des êtres chers, les liens qui perdurent par-delà la mort, les choses qu’on laisse… L’ultime défi étant de traiter ces sujets à hauteur d’enfants, sous un angle sensible et drôle, mais aussi sans détours.

Je découvre l’œuvre singulière et impertinente d’Arnošt Goldflam, dont seront tirés les contes réalisés par les équipes slovène, slovaque et tchèque. Des histoires qui ne donnent pas dans la facilité et semblent de prime abord complexes à faire coexister dans une même œuvre ! Pour tendre vers cette unité, il m’apparaît essentiel de donner à notre récit « transversal » sa propre dramaturgie, ses enjeux et trajectoires de personnages, tout en servant de cadre au déploiement des trois contes.

L’écriture du scénario démarre au printemps 2020. En plein Covid, me voilà en train d’imaginer l’histoire d’enfants touchés par la mort de leur mamie et qui font face au vide qu’elle laisse, pour leur papy comme pour eux. L’histoire sera portée par Suzan, 7 ans, qui s’empare de l’héritage de conteuse de sa mamie disparue et qui, par le prisme de l’imaginaire, offre à chacun d’exprimer et de partager à son tour ses émotions. Le papy, le grand frère, comme le petit dernier : chacun manifeste différemment son chagrin. C’est le cœur du propos : les histoires aident à surmonter les moments difficiles. Je réalise, après coup, à quel point j’ai moi-même pu tenir à distance le climat anxiogène de la pandémie grâce aux scénarios, celui-ci en particulier…

Le chantier progresse au gré d’allers-retours avec les autres équipes, dont les histoires sont plus ou moins avancées. Un tissage délicat s’engage, différents essais structurels sont menés pour imbriquer au mieux les histoires, avec le souci de les faire résonner subtilement les unes avec les autres. Pas toujours simple, notamment compte tenu des divergences culturelles sur le propos.

En fin d’écriture, je découvre les superbes recherches graphiques de Jean-Claude Rozec : les bouilles de mes personnages surgissent (le papy prend les traits de Goldflam en personne !), c’est un moment particulièrement émouvant. Plus tard, je visite la construction des décors et la fabrication des marionnettes, à nouveau des étoiles dans les yeux. J’ai une admiration totale pour les équipes de Vivement Lundi !, pour ces « petites mains » aux grands talents. Le résultat est là : Jean-Claude relève le défi d’unité de l’œuvre et signe une magnifique réalisation, sublimée par l’image de Mathilde Gaillard. Un duo à suivre !

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Tournage du film à Rennes | Photo : Mathilde Gaillard

Jean-Claude Rozec, co-réalisateur

Jean-Claude Rozec, réalisateur

Jean-Claude Rozec commence à travailler comme story-boarder, animateur et décorateur au début des années 2000. Il est l’auteur des courts métrages Monstre Sacré, Cul de Bouteille, la Maison de Poussière et Têtard, tous récompensés dans de nombreux festivals internationaux.


SON RETOUR D'EXPÉRIENCE :

Les segments tchèques, slovaques et slovènes étaient tournés ou en cours de préparation quand j’ai rejoint Les Contes du pommier.

Avec le storyboarder Vincent Chassé, on a adapté le plus fidèlement possible le scénario de Blandine, mais une fois l’animatique montée, le film paraissait trop long et dense. J’ai dû beaucoup réduire le deuxième acte, en supprimant des sous-intrigues. De cette manière, l’ensemble est plus rythmé et les différents courts métrages sont mieux mis en valeur.

Il y avait beaucoup de choses que j’aimais dans le scénario de Blandine, comme les effets de circularité et les rimes. On a retranscrit ça avec des mouvements de caméra tournants et des cadrages qui se répètent. Il y a des échos entre les contes que narre Suzan et l’environnement des enfants, chaque histoire aide un personnage à accepter le deuil.

J’ai tourné ce film comme j’aurais tourné un de mes courts métrages. La seule différence est que je ne l’avais pas écrit, et que son imaginaire n’est pas le mien.

Le fait que ce soit une coproduction entre quatre pays ne m’a posé aucun problème jusqu’au montage. Là, j’ai eu de gros désaccords avec les producteurs, qui voulaient remanier mon segment dans un sens que je n’aimais pas. Mais malgré les différends, c’est ma version du montage qui est aujourd’hui proposée.

Ce film m’a donné l’occasion de retravailler avec des gens qui m’avaient formé à mes débuts, il y a une vingtaine d’années : les décorateurs Jean-Marc Ogier, Emmanuelle Gorgiard, Hughes Brière, le marionnettiste David Thomasse

Pendant le tournage, j’ai eu la chance d’avoir une équipe très hétérogène. Il y avait des animateurs expérimentés, comme Gilles Coirier et Goulwen Merret, mais aussi des débutants, comme Léonie Liefooghe et Maya Visscher… Ça a créé une bonne dynamique. On s’est beaucoup amusés à faire ce film !

On a attentivement regardé les courts métrages tchèques, slovaques et slovènes avant de tourner, afin d’avoir la même énergie dans l’animation. L’idée était de privilégier l’expressivité et de garder le charme de la stop motion. Ça collait à l’esprit des textes d’Arnost Goldflam, à son surréalisme étrange.

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Tournage du film à Rennes | Photo : Mathilde Gaillard

Mathilde Gaillard, cheffe opératrice

Mathilde Gaillard, cheffe opératrice

Mathilde Gaillard est cheffe opératrice. Formée aux métiers de l’image à l’ESRA Paris ainsi que sur les plateaux de tournage, elle travaille actuellement en fiction, documentaire, clip, et animation stop motion.


SON RETOUR D'EXPÉRIENCE :

En tant que cheffe opératrice, mon rôle est d’accompagner les réalisateur·ices dans la fabrication technique et artistique des images concernant la lumière et la caméra.

Pour Les Contes du pommier, les intentions visuelles ont été posées en premier lieu par Jean-Claude Rozec qui a illustré et peint des moments phares du film. Ces références m’ont servi d’appui et d’inspiration pour imaginer la suite des ambiances et faire des propositions qui allaient dans la bonne direction notamment sur les cadrages et les couleurs. Le film propose une belle explosion colorée dans des tons orange, violet, bleu, avec des ombres souvent teintées, et des couleurs saturées. Je travaillais en aller-retour régulier avec mon logiciel d’étalonnage pour avoir un suivi des couleurs précis tout au long du tournage et garder la vision d’ensemble sur l’image.

Le tournage d’un tel film est très fractionné car nous ne tournons pas dans l’ordre chronologique. En stop motion particulièrement, puisqu’on tourne plusieurs séquences du film simultanément, ce qui pose des questions de continuité assez importantes auxquelles je dois veiller avec le réalisateur.

Au tournage, nous avons fait le choix d’utiliser le moins de fond vert possible pour privilégier au maximum les matières réelles. Pour cela, nous avions imprimé des ciels peints en aquarelle sur du tissu en très grand format, pour les placer en arrière-plan des décors. Cette façon de faire du cinéma qui revient aux fondamentaux, apporte beaucoup sur les plateaux. Pour moi, c’est une joie de pouvoir éclairer les décors en adéquation avec les éléments que je peux sentir en direct,  et cela permet surtout de ne pas reporter certains choix artistiques en post production.

Concernant la caméra, nous avons travaillé avec un certain nombre de focales assez courtes (interviennent alors des grandes problématiques de décor et de plafond !) ainsi que des plans en mouvement. Les travellings motorisés ont été rendus possible par l’ingéniosité de Quentin Lemouland qui conçoit des systèmes de motion control, et qui a été mon opérateur sur le film. Pour mettre en place les plans travelling, mon travail a consisté à chorégraphier méticuleusement et programmer les mouvements de caméra. Ce travail s’est fait en lien étroit avec les animateur·ices, qui me proposaient un rythme inhérent aux personnages et à la scène, pour qu’on trouve la dynamique du plan ensemble.

Après le tournage, mon travail s’achève avec l’étalonnage colorimétrique qui permet d’aller au bout des intentions du film et d’affiner certains choix. Nous avons travaillé avec l’étalonneur Teo Rižnar qui a étalonné les 4 parties du film, ce qui a permis de réunir ces récits morcelés dans un sentiment de cohérence visuelle, on l’espère !

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Tournage du film à Rennes | Photo : Samuel Zbynovsky

LE FILM :

Les Contes du pommier de Patrik Pašš, David Súkup, Leon Vidmar et Jean-Claude Rozec

1h11 • République Tchèque, Slovaquie, Slovénie, France • Sortie le 8 avril 2026

Trois enfants passent la nuit chez leur grand-père. Pour combler le silence laissé par le décès de leur grand-mère, la conteuse de la famille, ils commencent à créer leurs propres histoires et découvrent le pouvoir de l’imagination. Ce film réconfortant célèbre la créativité et sa magie curative.

Le long métrage est une coproduction paritaire entre les sociétés Maurfilm (République tchèque), Artichoke Production (Slovaquie), ZVVIKS (Slovénie) et Vivement Lundi ! (France).

Avec (notamment) le soutien de la Région Bretagne / Bretagne Cinéma ainsi que de Rennes Métropole, TVR, Tébéo et Tébésud, France Télévisions – France 3 Bretagne.

Distribution (France) : Gebeka Films

Ventes internationales : New Europe Film Sales


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