La tendance se confirme depuis plusieurs années : de plus en plus de réalisateurs prennent la caméra pour tourner eux-mêmes les images de leurs films documentaires. Effet de génération ? Apprentis réalisateurs cherchant à faire leurs preuves ? Pas si sûr ! Des professionnels plus aguerris, habitués à travailler en équipe, se sont mis à tourner en solo. Les raisons sont-elles artistiques ? Economiques ? Technologiques ? Rencontre avec deux réalisateurs qui viennent de sauter le pas : Céline Dréan pour »Pascaline et Klara » et Hubert Budor pour »Les confidences ».
– Qu’est ce qui vous a décidé à vous saisir de la caméra ?
– Hubert Budor : dès le premier après-midi de repérages de mon projet Les confidences, j’ai découvert des situations où je trouvais le sens de mon documentaire. A la base, j’avais juste pris des photos avec mon IPhone. Mais j’ai vite décidé qu’il me fallait revenir la semaine suivante équipé et en solo, car il se passait des choses que je ne pouvais pas rater. Il y avait des séquences où je devais filmer seul pour respecter l’intimité de mon personnage. C’était une évidence. Si j’ai finalement décidé de tout filmer seul, c’est parce que financièrement on n’a pas réuni le budget à temps. Aujourd’hui j’en suis au montage et je sais que le film va être différent de ce que j’imaginais.
Hubert Budor : »Aout 2013 : quinze jours à la maison de retraite de Lanmeur. Jean-Louis Le Vallégant va de chambre en chambre visiter quelques résidents. Et il rencontre Daniel. La confidence a lieu au café. »
– Céline Dréan : moi je n’avais jamais cadré. Enfin, juste un peu à l’université. C’était en HI8 à l’époque. Depuis j’avais toujours travaillé avec une équipe jusqu’au film Le Veilleur. Sur ce tournage, je ne sais pas pourquoi, tout d’un coup, j’ai eu très envie de prendre la caméra. Durant une séquence de repas tournée à deux caméras, j’ai pu m’y essayer et j’ai beaucoup aimé ça. Après quoi, j’ai emprunté une caméra pour m’entraîner toute seule à filmer des petites scènes de la vie familiale. J’ai vite compris que ce n’était pas si simple que ça. Du coup, j’ai décidé de faire une formation au cadre avec Les lapins bleus. Ce qui m’a permis de comprendre qu’il fallait beaucoup travailler !
Plus tard, les circonstances m’ont permis de prendre la caméra. Le tournage de Pascaline et Klara allait se dérouler durant toute une année universitaire. Avec un cadreur, j’aurais eu moins de journées de tournage. Et puis c’était à côté de chez moi, à Rennes. Ce n’est pas comme quand on part au loin et qu’il ne faut pas se »louper ». Ici je savais que je pouvais éventuellement re-tourner. Pourtant j’ai pas mal hésité. On en a discuté avec Gilles Padovani, mon producteur, et même avec les diffuseurs. Tout le monde m’encourageait. Non pas que je sois particulièrement douée, mais ça donnait du sens à ma relation aux personnages. Du coup, j’ai cadré 70% des images. Il y a quelques séquences que l’on a tournées à deux, et quelques unes que je n’ai pas du tout cadrées, lorsque j’avais besoin de recul, comme des manifestations, etc. Au final, j’ai trouvé ça complètement passionnant. Il y a un véritable plaisir physique à cadrer, cette sensation d’être là qui est très forte.
– Quelle influence ce choix de filmer seul peut-il avoir sur la réalisation ?
– H.B : je n’ai pas vraiment eu d’autre option. Je ne pouvais pas reculer. Il fallait que j’y sois, que j’y aille car je croyais au projet. Le financement est arrivé trop tard. Et si le producteur, Philippe Guilloux, m’avait dit « on n’y va pas tant que les financements ne sont pas là » ou si je n’avais pas pris la caméra, le film n’existerait pas. J’ai eu raison de le faire, j’ai accepté le contrat. Mais à un moment, c’est une contrainte quand même, par rapport au projet de départ. Car le traitement que je voulais, je ne l’ai pas au final. Et pourtant j’ai une formation de cadreur, d’OPV, je viens de là. Cadrer, c’est une chose que j’adore. Je prends vraiment du plaisir et j’ai pris du plaisir. J’ai davantage de craintes pour le son.
– C.D. : comme j’étais très concentrée sur le cadre, parfois j’ai fui ma place de réalisatrice, et je m’en suis aperçue au montage bien évidemment. Sur »Pascaline et Klara », comme sur tous les tournages, tu as des soucis de dramaturgie, des questions qui émergent, des choses qui marchent pas, etc. Mais c’est la première fois que j’ai parfois mis ça sous le tapis. J’ai pris la caméra et je me disais : « fais des images ». Je me suis dit que je faisais mon travail. Mais quand tu travailles avec des techniciens, ils t’obligent à t’exprimer, à dire ce que tu fais, ce que tu veux, même si ça te fait peur, quitte à te rendre compte que tu vas dans le mur et à devoir faire autrement. Quand tu as des collaborateurs au tournage, tu es obligé d’expliquer et de mettre du sens.
Céline Dréan : »Une image issue de mes tous premiers repérages. Elle représente bien ce moment : joyeux ! »
– Est-ce que prendre en main la caméra permet une meilleure réactivité face à son sujet ? Plus de sensibilité ? Ou à contrario, une dispersion et un manque d’attention ?
– H.B : sur »Les confidences », grâce à cette logistique très souple et cette disponibilité, j’ai filmé avec plus de liberté. J’ai l’impression de toujours avoir su à peu près pourquoi j’étais là. Pourtant, ça m’est arrivé sur le tournage de ne pas trouver ce que j’étais venu chercher. Plusieurs fois, je me suis dit « je reste, je vais tourner quand même ». Mais je cherchais le sens de ce que je faisais. Sur Discriminations, mon film précédent, j’ai tourné avec 5 chefs-opérateurs différents. Or ils n’ont pas toujours bien interprété mes intentions et au final j’ai des séquences qui ne sont pas homogènes. C’est compliqué. Mais sur ce film-là, je voulais travailler avec une équipe. Il m’a fallu attendre 4 ans pour que la production se monte. J’ai attendu.
Au final c’est une histoire d’intimité. Ce n’est pas une histoire de production, mais d’intention et de démarche de réalisation. Moi qui ai déjà fait des films en solo, sur mon prochain documentaire, je sais que je veux une équipe, car je serai confronté à une institution et à de nombreux protagonistes. Et là, j’aurai besoin de disponibilité pour être avec mes personnages et les autorités.
– C.D. : effectivement, pour »Pascaline et Klara », il y avait quelque chose entre nous que l’on n’avait pas envie de partager avec d’autres. On est peut-être devenues trop proches. J’ai parfois manqué un peu de recul. Pour moi, la technique prend beaucoup plus de place. C’était ma toute première expérience, mais je n’ai jamais travaillé en automatique. Le point, la balance des blancs, etc : ça peut paraître simple pour un chef-op, mais cela reste difficile pour moi.
Quant à la réactivité, je n’ai jamais eu l’impression que les chef-ops avec qui j’ai travaillé en aient manqué. Je prends toujours du temps pour échanger avant de partir en tournage. Je n’ai jamais travaillé avec quelqu’un dans une logique de subordination. Je fais tout pour qu’on travaille ensemble. Je trouve que c’est vraiment riche de travailler avec un cadreur.
Propos recueillis par Mael Cabaret
Photo de Une : Pascaline et Klara de Céline Dréan