Comment devient-on compositeur de musique de films après avoir exercé un tout autre métier ? Rencontre avec Cyril Planchon, un jeune musicien au parcours singulier qui a décidé, il y a trois ans, d’écrire une nouvelle partition.
Pendant 12 ans, Cyril Planchon a travaillé comme programmeur-informaticien, métier qu’il a exercé – entre autres employeurs – chez Canal Plus Technologies à Paris et chez Technicolor à Rennes. Au lieu de rejoindre ses collègues à la pause de midi, il avait pris l’habitude de se rendre dans une école de musique pour travailler en solo son piano ou composer des musiques. Et grignoter ainsi, en guise de déjeuner, de précieux moments dédiés à l’exercice de l’instrument fétiche qu’il pratique depuis l’âge de six ans et qu’il a longtemps enseigné. « La frustration commençait à s’installer. Et j’ai saisi l’occasion de partir quand elle s’est présentée ».
L’occasion, ce fut un plan de départs volontaires, assorti d’aides au reclassement et à la formation. Mais avant de succomber au chant des sirènes, le trentenaire a bien pesé le pour et le contre : « J’ai mis un an avant de me décider à quitter Technicolor. J’ai étudié la question à fond. La composition musicale est un domaine vaste. La musique de films m’est apparue comme le débouché le plus intéressant. » Pour mettre toutes les chances de son côté, Cyril Planchon enchaîne pendant deux ans plusieurs formations – musique à l’image, musique d’orchestre, écriture musicale – qui sont des lieux d’apprentissage autant que de rencontres. Celle avec Sarah Gurévick, la fondatrice de la Maison des scénaristes (MDS), sera déterminante. Ironie du sort : c’est finalement grâce à l’informatique qu’il a laissé tomber que Cyril va pouvoir commencer son nouveau métier. « La MDS avait besoin d’un site internet. J’ai proposé mes services. De fil en aiguille, j’ai été intégré à l’équipe qui m’a invité au Festival de Cannes en 2014. La Maison est présente au marché du film. J’ai pu ainsi faire la connaissance des scénaristes dont les projets de longs métrages avaient été retenus et qui avaient été conviés au festival. »
En l’espace de deux ans, le compositeur a fait ses gammes sur huit courts métrages. Il a d’emblée compris qu’il fallait d’abord apprendre à communiquer avec les réalisateurs : « C’est au compositeur de décrypter les envies du réalisateur. Je lui demande toujours quelques musiques ‘’d’exemple’’. Je ne veux pas parler de ces extraits que l’on plaque au montage pour éviter le silence et qui sont de vraies catastrophes car il est très difficile de s’en débarrasser. Non ! Il s’agit pour moi d’approcher le climat musical du film. Avant de s’entendre sur le style et les instruments à utiliser, il faut parler un langage commun qui est celui de l’émotion. De la même manière, j’aime connaître les goûts musicaux du réalisateur. » De sa jeune carrière, le musicien a déjà tiré quelques enseignements : « Certains réalisateurs donnent carte blanche, d’autres savent ce qu’ils veulent. Je préfère de loin ce dernier cas de figure car j’ai besoin d’être guidé, à condition qu’en face, il y ait une ouverture d’esprit ». Cyril Planchon s’est aussi frotté au long métrage, à travers sa collaboration sur Presque heureuse de David Ergas. « C’est la première fois que j’abordais le genre romance/thriller et une technique d’écriture différente, d’inspiration plus contemporaine pour certains passages. A travers cette fiction, qui s’est enrichie d’un travail en co-composition, j’ai pu faire la synthèse de toutes les expériences issues des courts métrages sur lesquels j’ai travaillé.
Cyril débute toujours par une lecture du scénario où il puise ses premières impressions, se fait « sa propre image du film », analyse l’histoire. De là, peut surgir une première structure musicale. Puis il se met au piano et poursuit le travail de composition devant les images du film, vu et revu. « Je n’hésite pas à faire et à défaire jusqu’à ce que le résultat me plaise. » Il préfère la mélodie à la musique climatique et aime utiliser les instruments de l’orchestre, même si sa culture musicale se nourrit de toutes sortes de styles « techno, rock, trip-hop, classique, contemporain… ».
Ses goûts cinématographiques sont tout aussi « éclectiques ». Est-ce parce qu’ils se sont forgés dans le cinéma d’un village qui avait une programmation diversifiée ? En tout cas, tout le monde ne peut pas s’enorgueillir qu’il existe un cinéma portant son nom. A La Possonnière, près d’Angers, la salle-régie s’appelle Gérard Planchon. Le père de Cyril qui en était le projectionniste a beaucoup contribué au développement du cinéma dans cette commune. Il a formé son fils au maniement du projecteur 35 mm. « J’étais amoureux de ce cinéma ! Comme plusieurs salles des environs se partageaient le même projecteur, il fallait que le matériel soit léger. On ne pouvait pas mettre tout le film sur un même projecteur. Il y avait donc un entracte pendant lequel on rembobinait la galette de pellicule à la main ! »
Dans la cabine de projection ou dans la salle, le jeune homme a vu beaucoup de films. Déjà, il tendait l’oreille, particulièrement attentif à la bande-son. « Au cinéma, je passe mon temps à écouter la musique. Il m’arrive souvent d’aller voir des films en fonction des compositeurs. » Et quand on lui demande de désigner ses préférences, il s’excuse presque de son manque d’originalité : « James Horner pour Braveheart, musique que j’ai écoutée en boucle, John Berry pour Danse avec les loups et Out of africa, Jerry Goldsmith pour la B.O. de Basic Instinct, Hans Zimmer pour Gladiator, Bernard Herrmann pour Psychose notamment. Et mon préféré, John Williams pour Star Wars et Jurassic Park entre autres ! Car sa musique est riche de beaucoup de styles. En fait, il suffirait d’étudier les musiques de films composées par Williams pour parcourir toute l’histoire de la musique. Il se renouvelle sans cesse ».
Le jeune compositeur ne manque pas une occasion d’enrichir sa propre palette musicale. A Cannes en 2014, il a rencontré Stéphane Poulin et Marion Bellahsen, deux responsables de France Médias Monde (1). Son univers a séduit ces éditeurs de musique à l’image qui lui ont commandé quatre albums dans différents styles : médiéval, contes et légendes, guerre, aventure (à écouter ici). « Pour chaque album, j’ai composé 10 musiques orchestrales. J’aime beaucoup traiter un même univers en l’abordant sous différentes couleurs musicales. » Cyril connaissait l’édition musicale avant d’entrer dans l’écurie de France Médias Monde. Et c’est une fois de plus l’informatique qui lui a valu d’être associé à la création d’Argilmusic, aux côtés d’Arnaud de Buchy et de William Pigache. « Le premier a été l’un de mes formateurs. Il avait le projet de fonder une société d’édition de musique à l’image et tenait à le faire avec d’autres compositeurs parce qu’il était important de comprendre les gens avec lesquels on allait être amenés à travailler. A nous trois, nous possédons tous les outils et les savoir-faire nécessaires. Argilmusic existe depuis février 2014 et ça n’a pas été une mince affaire de contacter les compositeurs, d’indexer les 500 musiques que compte actuellement le catalogue, de créer le moteur de recherche, etc. Nous en sommes au tout début. Mais il n’est pas question de prendre le tout-venant. C’est la qualité qui nous importe et la relation avec le compositeur ». Cyril apprécie beaucoup le métier d’éditeur de musique, tout comme il aime jouer le rôle de l’orchestrateur : « En ce moment, je travaille à l’orchestration de Sheep aud Wolves, un long métrage d’animation dont la bande originale a été écrite par Alexandre Lessertisseur. Selon la ligne directrice donnée par le compositeur, j’écris les partitions de chaque instrument, j’affine et parfois je redistribue. C’est passionnant. » Mais cette diversification ne lui fait pas oublier son choix premier qui est de composer de la musique de films. « Et s’il y a un choix que je ne regrette pas, c’est bien celui-là ! »
Nathalie Marcault
(1) France Médias Monde, anciennement l’Audiovisuel extérieur de la France, fédère France 24, RFI et une radio française en langue arabe.
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