Le Dernier des céfrans de Pierre-Emmanuel Urcun vient de recevoir le Prix Jean-Vigo dans la catégorie court métrage. La distinction a été remise au jeune réalisateur hier des mains d’Agnès Varda. Ce film qui a été présenté au dernier festival de Clermont-Ferrand a déjà été couronné du Prix Cinéma Grand Action aux Nuits Méditerranéennes à Corte et du Prix du jury au Festival international du cinéma méditerranéen de Tétouan. Ces récompenses viennent distinguer le travail de Stank, société de production et collectif d’auteurs-réalisateurs dont Pierre-Emmanuel est le co-fondateur. Il dévoile ici la philosophie de cette jeune structure et les projets en cours.
– Stank se présente comme un collectif d’auteurs-réalisateurs, pouvez-vous nous en dire plus sur vos motivations et sur le fonctionnement de votre structure ?
Nous avons créé Stank en septembre 2012. Nous sommes trois anciens de la Fémis et un de l’école des Gobelins. Après l’école, nous avons souhaité créer un espace de développement et de production qui nous permette d’être à la fois auteurs, réalisateurs et producteurs de nos propres films. Nous voulions maîtriser l’aspect artistique et économique de nos projets, avoir la plus grande liberté créatrice possible et confronter nos regards.
Nous développons des projets sans limitation de genre ou de format. Bien sûr, nous nous sommes plutôt orientés pour l’instant vers les formats courts et moyens. Stank ne peut encore apporter l’assise nécessaire à la production d’un film de long-métrage, du moins dans une économie classique.
Nous parlons de collectif car nous nous entraidons beaucoup au cours de la fabrication des films. Aucun de nous n’est « que » producteur. Dans les faits, nous sommes assez dispersés géographiquement : Roy Arida vit et travaille entre Paris et Beyrouth ; Louis Tardivier entre Toulouse, Barcelone et Paris ; Vincent Le Port entre Rennes et Paris ; moi-même entre Brest et Saint-Ouen. Le collectif est malgré tout une réalité, via les nombreux échanges de regards et « allers-retours » sur les projets, ainsi que par la participation de chacun, à différents postes, sur les films des autres.
Et puis, nous travaillons souvent avec les mêmes collaborateurs, techniciens ou artistes, avec qui nous aimons repartir sur de nouvelles aventures. Nous commençons à produire les projets de ces collaborateurs de longue date. Mais ce cas de figure est plus rare, le temps nous manque pour ça.
– Stank a trois ans d’existence, cinq films sont terminés, trois en finitions et de nombreux autres en développement. On peut dire que vous êtes productifs.
Cette productivité vient notamment du fait que certains de ces films ont été faits plus « à l’énergie », parce que c’était cohérent de les faire comme ça. Ce sont des projets qu’on devait faire, on estimait qu’ils devaient vivre coûte que coûte, même si on n’avait pas de soutien financier. Ils sont différents, plus libres, sans doute moins formatés, on se donne ce luxe-là de réaliser certains films « à la hussarde ». Et le fait de ne pas attendre de financement a considérablement accéléré leur fabrication et leur existence.
D’un autre côté, nous avons des films à l’économie et au tournage plus classiques, et pour ceux-là nous prenons notre temps, avec des phases d’écriture et de financement plus longues.
Le fait de jongler entre ces deux façons de faire nous correspond bien. Tant qu’il y a une cohérence entre le projet et les moyens déployés et que l’exigence et le désir de cinéma sont là, cela nous va !
– Vous êtes quatre associés, avec des profils différents, comment vous répartissez vous les rôles ?
C’est différent d’un projet à l’autre, ça tourne. Chacun prend les rênes d’un film pour ce qui est de la production déléguée, mais les décisions importantes se font de manière collégiale. Pour le reste, nous nous répartissons les tâches en fonction du savoir-faire de chacun. Chaque projet trouve sa logique propre.
Certains travaillent aussi à l’extérieur, en parallèle. Louis et moi-même avons travaillé sur le long-métrage Adama (film d’animation de Simon Rouby – en coaching d’écriture au Groupe Ouest en 2009 et en compétition officielle au Festival d’Annecy cette année – ndlr), Roy a travaillé sur Bird People de Pascale Ferran, et a géré via Stank la production exécutive du tournage français de Follow the money, la nouvelle série des créateurs de Borgen.
– Qu’est-ce qui vous réunit ?
Comme souvent notre histoire est faite de rencontres et ensuite d’affinités. On partage une même vision de « faire du cinéma ». On s’est rencontrés à l’école, du coup on a eu la chance de faire nos gammes avec du temps et du confort. C’était une période de rencontres déterminantes, une chance qu’on a su saisir.
Nous avons quatre personnalités différentes et nous n’aimons pas forcément le même cinéma. On a appris dans des genres distincts et ces différences s’incarnent dans les styles de films qu’on réalise. On apprend évidemment de ces confrontations et de ce mélange de styles, cela nous donne d’autant plus de liberté, avec l’exigence comme caractéristique commune.
L’autre chose qui nous réunit est la Bretagne. Vincent vient de Rennes, moi de Brest. Il a été en résidence d’écriture au Groupe Ouest et a tourné ses trois derniers films en Bretagne (Dieu et le raté à Rennes, Les Légendaires dans les Côtes-d’Armor, Le Gouffre dans le Finistère-Nord). Le montage de mon film Le Dernier des céfrans s’est fait ici, à Kerlouan. Louis souhaite tourner L’œil et la terre, dans lequel il filmera des marionnettes en décors réels, sur une île bretonne qui reste à déterminer. Nous avons organisé une résidence artistique en décembre 2013 à Poulancre, dans les Côtes-d’Armor. C’était un peu un test pour nous, et ça s’est très bien passé, on souhaite en refaire une cette année.
– Vous parlez d’exigence, c’est aussi un terme qu’on retrouve sur votre site comme une affirmation, pouvez-vous la définir ?
Il s’agit de respecter la maturation d’un projet avant de le mettre en production. Nous essayons de garder ce niveau d’exigence pendant toutes les étapes de fabrication et de respecter ce qu’est une œuvre de cinéma, dans ce qui la constitue. C’est compliqué et parfois coûteux mais pour l’instant c’est notre priorité ! On y porte une attention toute particulière aussi vis-à-vis des structures qui nous accompagnent.
Exigence et instinct se côtoient. On ne veut pas se poser la question de « ce qui plait », celle du marché. On est pour l’instant sur du court-métrage et c’est un espace de liberté qu’on veut préserver. Il n’y a rien qui nous énerve plus que les films « cartes de visite » ou ceux qui cherchent à plaire à tout le monde avec une forme de consensus tant formel que narratif ou disons « thématique ». C’est peut-être enfoncer des portes ouvertes que de dire ça, mais nous voyons souvent des films pour lesquels seul compte le scénario, exit la mise en scène et le désir de cinéma.
Nous n’en sommes qu’au début et nos films sont encore loin d’être complètement aboutis, mais nous essayons toujours de penser la mise en scène et l’économie du film en même temps que son écriture. C’est donc à la fois de l’exigence et de la cohérence.
– Vous développez des longs métrages, la question se pose-t-elle déjà pour ces projets ?
Non, nous travaillons à des étapes de développement assez précoces. Nous sommes encore éloignés de toute pression. Nos auteurs travaillent sur des versions zéro ou une, ils ont donc encore beaucoup de marges de manœuvre et n’ont pas encore présenté leur projet. Cette liberté, cette authenticité, nous cherchons à les préserver. Et puis, nous n’avons pas encore de visibilité sur ces projets.
– Votre troisième film « Le Derniers des céfrans » a été sélectionné en compétition officielle à Clermont-Ferrand et vient de recevoir le Prix Jean-Vigo. Ce sont de belles récompenses.
Je suis très content d’avoir reçu le Prix Jean-Vigo et être à Clermont, c’était forcément enchantant pour le film ! Ca a aussi été une belle aventure pour les jeunes qui y sont associés. Je faisais des ateliers de réalisations à l’école Miroir en Seine St Denis (école gratuite de formation d’acteurs, de réalisateurs et d’auteurs issus de la diversité culturelle et sociale des quartiers populaires, ndlr). Je leur ai proposé de faire ce film avec moi dans l’idée, qu’en y participant, ils verraient comment ça marche et seraient à même d’en faire ensuite. Nous avons monté le dossier ensemble et tourné dans des conditions professionnelles. Cette sélection et ce prix, c’est une belle visibilité. Je suis d’autant plus heureux que ces jeunes-là soient vus à l’extérieur.
Et c’est une belle occasion pour le film de prendre son envol et de voyager.
– Où en êtes-vous des autres films produits par Stank ?
Vincent a trois projets en cours : Dieu et le raté, Les Légendaires, un documentaire sur la Vallée des Saints, et Le Gouffre qu’il a tourné en fin d’année dernière. Ce moyen métrage est pré-acheté par Arte, et soutenu par la Région Bretagne, le Département du Finistère et le CNC. Nous avons développé le film de Louis, L’œil et la terre, que nous souhaitons tourner courant 2015. Roy écrit son long-métrage Vigipirates et a un projet de documentaire au Liban, Sous le béton, dont le tournage devrait également commencer cette année.
Nous produisons deux autres documentaires, L’Empire de Jean-Baptiste Alazard, et Toujours prêt de Bojina Panayotova,.
Nous devrions avoir une actualité plus forte que ces deux dernières années. Nous souhaitons montrer davantage nos films et notamment Le Dernier des céfrans que j’accompagne au maximum.
Globalement nous sommes contents de nos films et que des gens nous soutiennent, tout en sachant que tout cela demeure bien aléatoire et inconstant. Il nous faut garder cette belle dynamique !
Propos recueillis par Elodie Sonnefraud
Photo de Une : Rémy Ferreira dans Le Dernier des céfrans © Stank
Diaporama : photogrammes des films Dieu et le raté, Les légendaires, Le gouffre, L’oeil et la terre © Stank
Filmographie de Stank
La Terre de Vincent Le Port
Expérimental, 8 minutes
Sélections :
Festival Côté Court 2012
– Festival des Cinémas Différents et Expérimentaux de Paris 2012
– Festival International du Film d’Environnement 2013
– Festival Silence, on court ! 2013
– CinemAmbiente Environmental Film Festival 2013
– Göteborg International Film Festival 2013
– Festival Les Inattendus, Lyon 2014
– Diffusion sur Numéro 23 (émission La 23ème dimension)
Demain c loin de Pierre-Emmanuel Urcun & Jean-Baptiste Saurel
Fiction / Documentaire, 59 minutes
Corpoduction Stank/Diambars
Prix Qualité du CNC
. Sélections :
Torino Film Festival 2012
– London Film Africa Festival 2013
– Mostra de Sao Paulo 2013
En attendant Godard de Pierre-Emmanuel Urcun
Fiction, 16 minutes
Sélection :
Festival Silhouette, Paris
La Buissonnière de Jean-Baptiste Alazard
Documentaire, 59 minutes
Sélections :
FID Marseille – Prix Georges de Beauregard National
– Festival Filmer à tout prix, Bruxelles
– Festival Les Inattendus, Lyon
– Festival Résistances, Foix
– Expériences du regard, Lussas
Le Dernier des céfrans de Pierre-Emmanuel Urcun
Fiction, 30 minutes
Sélections :
Festival international du court-métrage de Clermont-Ferrand – Festival des Nuits Méditerranéennes – Festival international du cinéma méditerranéen. Prix Jean-Vigo.